Estrela da tarde | Ary dos Santos (António Zambujo, Yamandú Costa, Carlos do Carmo, Mafalda Arnauth)
L’autre jour on a parlé d’António Zambujo à la radio, à propos d’un spectacle donné conjointement avec l’ensemble Doulce Mémoire il y a de cela plus d’un an, à Orléans je crois. Vu que je m’en suis désintéressé ces derniers mois (du bel António), il était temps de voir ce qu’il devenait ; réparer un tant soit peu cette négligence. J’ai donc consulté le célèbre moteur de recherche qui sait tout sur tout le monde, suffit d’ouvrir les vannes et il en tombe des cataractes.
Là-dedans il y a des choses parfois intéressantes — de quoi me fournir la matière de deux ou trois billets –, mais ces choses intéressantes le sont moins pour ce brave António, qui poursuit sa route gentiment, que pour ceux ou celles avec qui il collabore, l’espace d’un duo sur telle scène du Brésil, de France ou d’ailleurs.
Par exemple cette Estrela da tarde (« Étoile du soir »), une chanson des années 1970 appartenant au répertoire du fadiste Carlos do Carmo, sur un poème de José Carlos Ary dos Santos (1937-1984) dont j’ai déjà parlé plusieurs fois [voir : Amália Rodrigues et alii — Cantigas d’amigos (1971). Édition 2012].
Ary dos Santos est mort le 18 janvier 1984, c’est à dire 30 ans jour pour jour — à quelques heures près–, avant le concert où cette vidéo a été prise. On peut donc penser qu’il s’agit de la part du chanteur d’un hommage au poète, et peut-être aussi à son ami Fernando Tordo, compositeur de cette chanson comme de beaucoup d’autres écrites par Ary dos Santos, et dédicataire du poignant Cantiga de amigo (chanté par Amália sous le titre Meu amigo está longe, repris récemment par Gisela João). [Voir : Gisela João, dans la nuit bleue du fado.]
António Zambujo & Yamandú Costa | Estrela da tarde / José Carlos Ary dos Santos, paroles ; Fernando Tordo, musique ; António Zambujo, chant ; Yamandú Costa, guitare. Captation : la Miranda, à Lagoa, Rio de Janeiro (Brésil), 17 janvier 2014.
Internet :
- Yamandú Costa dans Wikipédia (fr)
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Comme toujours, António Zambujo chante bien, avec toute la sobriété requise, un peu du nez. Rien à dire. Manque peut-être un peu d’engagement. Mais la véritable découverte, ou les découvertes plutôt, sont respectivement le guitariste, Yamandú Costa, originaire du sud du Brésil, aux confins de l’Argentine et de l’Uruguay : étincelant. Un émerveillement. N’est-ce pas ? (Je ne le connaissais pas, alors qu’il est célèbre au Brésil et ailleurs. Tout le monde le connaît, sauf moi. À suivre désormais.)
Et la chanson elle-même, dont j’ai certainement entendu la version originale de Carlos do Carmo puisque j’en possède un enregistrement, mais que j’avais oubliée. Il faut dire qu’elle est desservie par un accompagnement orchestral qui n’incite guère à y revenir. En tout cas je n’en avais jamais écouté les paroles, vraiment belles. J’ai tenté de les rendre en français sans y parvenir — mais ça donne une idée, même poussive, de la tonalité du poème.
Era a tarde mais longa de todas as tardes que me acontecia Eu esperava por ti, tu não vinhas, tardavas e eu entardecia Era tarde, tão tarde, que a boca, tardando-lhe o beijo, mordia Quando à boca da noite surgiste na tarde tal rosa tardia. |
C’était le soir le plus long de tous les soirs de ma vie Je t’attendais, et tu ne venais pas, Tu tardais et je perdais espoir. Il était tard, si tard, que la bouche, À qui tant tardait le baiser, mordait. Alors à l’embouchure de la nuit tu surgis Dans le soir comme une rose tardive. |
Quando nós nos olhámos tardámos no beijo que a boca pedia E na tarde ficámos unidos ardendo na luz que morria Em nós dois nessa tarde em que tanto tardaste o sol amanhecia Era tarde de mais para haver outra noite, para haver outro dia. |
Regard dans regard nous avons retardé Ce baiser que tant voulait la bouche Et dans le soir nous étions un même feu Brûlant dans la lumière mourante. Dans ce soir où tu avais tardé, en nous deux Le soleil s’éveillait Il était trop tard désormais pour toute autre nuit, Et pour tout autre jour. |
Meu amor, meu amor Minha estrela da tarde Que o luar te amanheça e o meu corpo te guarde Meu amor, meu amor Eu não tenho a certeza Se tu és a alegria ou se és a tristeza Meu amor, meu amor Eu não tenho a certeza. |
Mon amour, mon amour, Mon étoile du soir, Que la lune t’éveille et que mon corps te garde Mon amour, mon amour. Et je ne sais pas Si tu es la tristesse ou si tu es la joie, Mon amour, mon amour, Je ne le sais pas. |
Foi a noite mais bela de todas as noites que me adormeceram Dos nocturnos silêncios que à noite de aromas e beijos se encheram Foi a noite em que os nossos dois corpos cansados não adormeceram E da estrada mais linda da noite uma festa de fogo fizeram. |
Cette nuit fut la plus belle de toutes les nuits Qui m’aient jamais bercé, Nuit des silences que l’ombre a remplis D’arômes et de baisers. Cette nuit fut celle où nos deux corps Exténués n’eurent pas de repos, Illuminant le chemin de la nuit De leur propre feu. |
Foram noites e noites que numa só noite nos aconteceram Era o dia da noite de todas as noites que nos precederam Era a noite mais clara daqueles que à noite amando se deram E entre os braços da noite de tanto se amarem, vivendo morreram. |
Des nuits et des nuits dans une seule nuit contenues… Ce jour était celui de la nuit de toutes les nuits écoulées Cette nuit était la plus claire pour les amants Qui se sont donnés à la nuit Et qui dans les bras de la nuit, de tant s’aimer, Moururent frémissants. |
Eu não sei, meu amor, se o que digo é ternura, se é riso, se é pranto É por ti que adormeço e acordo e acordado recordo no canto Essa tarde em que tarde surgiste dum triste e profundo recanto Essa noite em que cedo nasceste despida de mágoa e de espanto. |
Ce que je dis mon amour, est-ce rire, est-ce larme Ou tendresse, je ne sais. C’est pour toi que je m’endors et m’éveille, Et qu’éveillé j’évoque dans le chant Ce soir-là où tu surgis si tard D’une ombre profonde et triste Cette nuit délivrée de toute peine en laquelle tu naquis. |
Meu amor, nunca é tarde nem cedo para quem se quer tanto! |
Mon amour, il n’est jamais trop tard, ni trop tôt Pour qui s’aime d’un tel amour ! |
José Carlos Ary dos Santos (1937-1984). Estrela da tarde
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José Carlos Ary dos Santos (1937-1984). Étoile du soir, traduit de Estrela da tarde par L. & L. |
La version originale, la voici.
Pour bien comprendre ce qui se passe dans la vidéo, il faut savoir qu’il s’agit d’un extrait du Festival RTP da canção de 1976. Ce festival est destiné à désigner la chanson qui représentera le Portugal au Concours Eurovision. En 1976, huit chansons, toutes interprétées par Carlos do Carmo, étaient en compétition, parmi lesquelles donc Estrela da tarde, classée finalement 6e [source : Wikipédia (pt)]. Il faut dire que l’intervention du poète lui-même, qui déclame deux couplets, produit un effet presque comique (mais probablement pas en 1976, au Portugal). L’accompagnement d’orchestre, identique à celui de l’enregistrement publié, gâche la prestation sensible de Carlos do Carmo.
Carlos do Carmo | Estrela da tarde / José Carlos Ary dos Santos, paroles ; Fernando Tordo, musique ; Carlos do Carmo, chant ; José Carlos Ary dos Santos, voix parlée ; Joaquim Luís Gomes, arrangements ; orchestre sous la direction de Thilo Krasmann.
Vidéo : extrait du Festival da canção 1976. RTP [Rádio e Televisão de Portugal], 28 février 1976.
Pour la petite histoire, c’est Uma flor de verde pinho, une belle chanson je dois dire, sur un poème de Manuel Alegre, qui a gagné. Et qui s’est classée 12e sur 18 à l’Eurovision (la moitié de ses points provenant du jury français, qui lui a attribué la note maximale) [source : Wikipédia (fr)].
Une dernière version d’Estrela da tarde, réalisée celle-ci dans le cadre d’un hommage (discographique) à Ary dos Santos publié en 2009, pour le 25e anniversaire de sa mort. L’album, intitulé Rua da Saudade (cette rue existe vraiment à Lisbonne, dans le quartier d’Alfama, et Ary dos Santos y demeurait), réunit quatre chanteuses parmi lesquelles Mafalda Arnauth, qu’on entend ici.
Mafadla Arnauth | Estrela da tarde / José Carlos Ary dos Santos, paroles ; Fernando Tordo, musique ; Mafadla Arnauth, chant. 2009.
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La traduction que vous faites de ce poème est en elle-même magnifique.
Merci.
En petit remerciement de toutes ces magnifiques traductions, un extrait d’un film du finlandais Mika Kaurismaki – Brasileirinho – où l’on peut retrouver le public brésilien communier avec Yamandu Costa sur un des plus grands titres de leur patrimoine « Carinhoso »
Magnifique, merci 🙂