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Ó meu amor marinheiro

11 Mai 2024

Voici un « fado chanson » des années 1960, qui a connu un regain d’intérêt depuis que Carminho l’a inscrit au programme de son premier album (Fado, 2009).

L’auteur de ce fado, António Campos (1934-2014), de même que son compositeur, Joaquim Pimentel (1910-1978), l’un et l’autre fadistes, originaires du Nord du Portugal, ont accompli l’essentiel de leurs carrières respectives au Brésil. Le premier enregistrement de Ó meu amor marinheiro a été publié en 1967 par Adélia Pedrosa (née en 1941), elle aussi installée au Brésil.

Adélia Pedrosa (née en 1941)Ó meu amor marinheiro. António Campos, paroles ; Joaquim Pimentel, musique.
Adélia Pedrosa, chant ; Jorge Fontes, guitare portugaise ; José Maria Nóbrega, guitare.
Extrait du disque 45 t Tema para um fado ; Minha guitarra querida ; Ó meu amor marinheiro ; …. Portugal, FF, ℗ 1967.

Tenho ciúme das verdes ondas do mar
Que teimam em querer beijar
teu corpo erguido às marés.

Je suis jalouse des vertes vagues de la mer
Obstinées dans leur désir
De ton corps dressé face aux marées.
Tenho ciúme do vento que me atraiçoa
Que vem beijar-te na proa
E morre pelo convés.

Je suis jalouse du vent qui me trahit :
À la proue il pose sur toi ses baisers
Puis s’en va mourir sur le pont.
Tenho ciúme do luar da lua cheia
Que no teu corpo se enleia
Para contigo ir bailar.

Je suis jalouse de l’éclat de la pleine lune
Qui enlace ton corps
Pour t’emmener danser.
Tenho ciúme das ondas que se levantam
E das sereias que cantam
Que cantam p’ra te encantar.

Je suis jalouse des vagues qui se lèvent
Et des sirènes qui chantent
Qui chantent pour t’enchanter.
Ó meu amor marinheiro
Oh dono dos meus anelos
Não deixes que à noite a lua
Roube a côr aos teus cabelos.

Oh mon marin mon amour
Maître de mes désirs brûlants
Ne laisse pas la lune cette nuit
Dérober la couleur de tes cheveux.
Não olhes para as estrelas
Porque elas podem roubar
O verde que há nos teus olhos
Teus olhos da cor do mar.

Ne regarde pas les étoiles
Car elles pourraient voler
Ce vert que tu as dans les yeux
Dans tes yeux couleur de mer.

António Campos (1934-2014). Ó meu amor marinheiro (années 1960, pas après 1967). António Campos (1934-2014). Oh mon marin mon amour, traduit de : Ó meu amor marinheiro (années 1960, pas après 1967) par L. & L.

La sobriété de l’interprétation convient bien à cette belle mélodie qui se suffit à elle-même. Autre belle version de Ó meu amor marinheiro : celle de Saudade dos Santos (1939-2015) — malheureusement accompagnée par un orchestre de variété —, à qui plusieurs sources attribuent la création de la chanson. Toujours est-il que son enregistrement, paru en 1968, est postérieur à celui d’Adélia Pedrosa.

Saudade dos Santos (1939-2015)Ó meu amor marinheiro. António Campos, paroles ; Joaquim Pimentel, musique.
Saudade dos Santos, chant ; accompagnement d’orchestre ; Rocha Oliveira, direction.
Extrait du disque 45 t Ó meu amor marinheiro / Saudade dos Santos. Portugal, Discos Estúdio, ℗ 1968.

Le dernier enregistrement en date de Ó meu amor marinheiro est l’œuvre d’un duo français, voix et guitare classique, dont le répertoire est constitué principalement (mais non exclusivement) de chansons des pays lusophones. Le fado y trouve sa place, ainsi que l’annonce le titre de leur premier album, à paraître le 4 juin prochain : Valeu a pena, d’après un fado célèbre du répertoire de Maria da Fé. Ó meu amor marinheiro en est le premier extrait divulgué.

Chloé Breillot & Pierrick HardyMeu amor marinheiro. António Campos, paroles ; Joaquim Pimentel, musique.
Chloé Breillot, chant ; Pierrick Hardy, guitare.
Extrait de l’album Valeu a pena / Chloé Breillot & Pierrick Hardy. France, ℗ 2024.

Giovanna Marini • Son la mondina, son la sfruttata

9 Mai 2024

Un hommage posthume à la grande Giovanna Marini, morte hier à Rome. La voici, en concert à Paris, une ville à laquelle elle était très liée, dans une chanson de « mondina » de la plaine du Pô, datant du début des années 1950. Les mondine étaient les ouvrières qui travaillaient, dans des conditions réputées exécrables, dans les rizières. Leurs chants constituent un vaste répertoire, mis en valeur par des interprètes telles que Giovanna Marini, ou encore Giovanna Daffini..

Giovanna Marini (1937-2024) & Quartetto UrbanoSon la mondina, son la sfruttata. Pietro Besate, paroles ; musique traditionnelle (« La rondinella »).
Giovanna Marini, chant & guitare ; Quartetto Urbano (Xavier Rebut, Germana Mastropasqua, Flaviana Rossi, Michele Manca), quatuor vocal.
Enregistrement public : Paris (France), Théâtre de la Ville, 3 juillet 2009.
Extrait de l’album Canti gloriosi per una patria che trema. Italie, Nota, ℗ 2011.

Son la mondina, son la sfruttata,
son la proletaria che giammai tremò:
mi hanno uccisa, incatenata,
carcere e violenza, nulla mi fermò,

Je suis la mondina, je suis l’exploitée,
Je suis la prolétaire qui n’a jamais tremblé.
Ils m’ont tuée, enchaînée,
Mais ni prison ni violence, rien ne m’a arrêtée.
Coi nostri corpi sulle rotaie,
noi abbiam fermato il nostro sfruttator;
c’è molto fango sulle risaie,
ma non porta macchia il simbol del lavor,

De nos corps en travers des rails
Nous avons arrêté notre exploiteur.
Les rizières sont pleines de boue
Mais le symbole du travail reste sans tache.
Questa bandiera gloriosa e bella
noi l’abbiam raccolta e la portiam più in su
dal Vercellese a Molinella,
alla testa della nostra gioventù.

Ce drapeau de gloire et de beauté,
Nous l’avons conquis et nous le répandons
De Vercelli à Molinella,
À la tête de notre jeunesse.
E se qualcuno vuol far la guerra,
tutti uniti insieme noi lo fermerem:
vogliam la pace qui sulla terra
e più forti dei cannoni noi sarem.

Et si quelqu’un veut faire la guerre,
Tous ensemble, unis, nous l’arrêterons:
Nous voulons la paix ici, sur la Terre
Et nous serons plus forts que les canons.
E lotteremo per il lavoro,
per la pace, il pane e per la libertà,
e creeremo un mondo nuovo
di giustizia e di nuova civiltà.

Et nous lutterons pour le travail,
Pour la paix, le pain et la liberté
Et nous créerons un monde nouveau
De justice et d’une nouvelle civilité.

Pietro Besate (1919-1984). Son la mondina, son la sfruttata (vers 1950). Pietro Besate (1919-1984). Je suis la « mondina », je suis l’exploitée, traduit de : Son la mondina, son la sfruttata (vers 1950) par L. & L.

Inquietação

3 Mai 2024

Edmundo Alberto Bettencourt (1899-1973) a été l’un des maîtres de la Chanson (ou « Fado ») de Coïmbre.

Inquietação pourrait se traduire par « Intranquillité », si ce terme n’avait déjà servi à désigner, en français, le desassossego de Pessoa qu’il évoque irrésistiblement. Disons alors : « Tourment ».

Edmundo Bettencourt (1899-1973)Inquietação. Edmundo Bettencourt, paroles ; Alexandre de Rezende, musique.
Edmundo Bettencourt, ténor ; Albano de Noronha & Artur Paredes, guitare portugaise ; Mário da Fonseca, guitare.
Enregistrement : Lisbonne, février 1928.
Première publication : Portugal, 1928.

Quanto mais foges de mim,
Mais corro e menos te alcanço;
O meu amor não tem fim,
Morrerei mas não me canso.

Plus tu t’éloignes de moi,
Plus je cours et moins je te rejoins.
Mon amour est infini,
Je mourrais plutôt que d’y renoncer.
Todo o bem que não se alcança
Vive em nós, morto de dor;
Quem ama, de amar não cansa
E se morrer é de amor.

Hors d’atteinte, le bonheur
Vit en nous, qui mourons de douleur ;
Celui qui aime ne renonce pas
Et s’il meurt, c’est d’amour.

Edmundo Bettencourt (1899-1973). Inquietação (vers 1915-1920). Edmundo Bettencourt (1899-1973). Tourment, traduit de : Inquietação (vers 1915-1920) par L. & L.

Dès les premiers enregistrements phonographiques, réalisés dans les années 1920, Inquietação a été gravé par plusieurs chanteurs, avec des textes (et des titres) différents. José Afonso, revenant au genre de la Chanson de Coïmbre en 1981 pour un album nommé Fados de Coimbra e outras canções (« Fados de Coïmbre et autres chansons »), conserve le titre et la seconde strophe de la version de Bettencourt, empruntant le premier quatrain à une variante.

José Afonso (1929-1987)Inquietação. Paroles : auteur inconnu (1ère strophe), Edmundo Bettencourt (2e strophe) ; Alexandre de Rezende, musique.
José Afonso, chant ; Octávio Sérgio, guitare portugaise ; Durval Moreirinhas, guitare.
Enregistrement : Lisbonne (Portugal), studios de Rádio Triunfo.
Extrait de l’album Fados de Coimbra e outras canções / José Afonso. Portugal, Orfeu, ℗ 1981.

És linda, se foras feia
Mesmo assim eu te queria
Não é por ser lua cheia
Que a lua mais alumia.

Tu es belle, mais si tu étais laide
Je t’en aimerais autant.
La pleine lune n’est pas
La plus brillante des lunes
Todo o bem que não se alcança
Vive em nós, morto de dor;
Quem ama, de amar não cansa
E se morrer é de amor.

Hors d’atteinte, le bonheur
Vit en nous, qui mourons de douleur ;
Celui qui aime ne renonce pas
Et s’il meurt, c’est d’amour.

Auteur inconnu (1ère strophe) et Edmundo Bettencourt (1899-1973) (2e strophe). Inquietação (vers 1915-1920). Auteur inconnu (1ère strophe) et Edmundo Bettencourt (1899-1973) (2e strophe). Tourment, traduit de : Inquietação (vers 1915-1920) par L. & L.

Amália Rodrigues • Cais de outrora (1962)

30 avril 2024

Cais de outrora (littéralement : « Quai d’autrefois », ici traduit par « Quai du souvenir ») est l’une des premières contributions d’Alain Oulman au répertoire d’Amália Rodrigues. Composé sur un poème de Luís de Macedo, il figure sur le singulier album dit « du buste » (Busto), publié en 1962, sorte de manifeste — bien involontaire — pour un renouvellement du fado. L’album, qui ne comptait que neuf morceaux (parmi lesquels Abandono, immédiatement interdit de passage à la radio et à la télévision en raison de son sujet brûlant, ainsi que le génial et célèbre Povo que lavas no rio) s’ouvrait sur l’étrange Asas fechadas, auquel succédait ce Cais de outrora d’humeur sombre.

Amália Rodrigues (1920-1999)Cais de outrora. Luís de Macedo, paroles ; Alain Oulman, musique.
Amália Rodrigues, chant ; José Nunes, guitare portugaise ; Castro Mota, guitare.
Enregistrement : Lisbonne, théâtre Taborda (studios Valentim de Carvalho), entre 1960 et 1962.
Première publication dans l’album Amália Rodrigues (« Busto »). Portugal, Ed. Valentim de Carvalho, ℗ 1962.

Nos cais d’outrora há navios vazios
E há velas esquecidas do alto mar.
São sombrios os rios do recordar!

Navires vides amarrés aux quais du souvenir,
Voiles oubliées de la haute mer.
Ils sont obscurs, les fleuves de la mémoire !
Nos cais de outrora há só barcos cansados
E há remos esquecidos por não partir.
Sinto cansaço vago de me fingir.

Aux quais du souvenir flottent des bateaux las
Et leurs rames oubliées parce qu’elles ne servent plus.
Lassitude vague de toujours feindre d’être moi.
Não há barcos nem velas, já não há remos.
Em frente ao mar d´outrora perdi meu cais.
Em noite nos perdemos e nada mais.

Il n’y a ni bateaux ni voiles, il n’y a plus de rames.
Face à la mer du souvenir mon quai se dérobe.
Nous nous perdons dans la nuit et voilà tout.

Luís de Macedo (1925-1987). Cais d’outrora (vers 1960). Luís de Macedo (1925-1987). Quai du souvenir, traduit de : Cais d’outrora (vers 1960), par L. & L.

Amália Rodrigues (1920-1999)
Asas fechadas ; Cais de outrora ; Estranha forma de vida… (1962)


Amália Rodrigues. Busto (Asas fechadas). Portugal, 1962Asas fechadas ; Cais de outrora ; Estranha forma de vida… / Amália Rodrigues, chant ; ; José Nunes, guitare portugaise ; Castro Mota, guitare classique ; Alain Oulman, production artistique. — Production : Portugal : Valentim de Carvalho, ℗ 1962.

Avec la participation d’Alain Oulman, piano, sur 3 titres. Enregistrement : Teatro Taborda, Lisbonne (Portugal), 1962.

Généralement désigné sous le titre : « Album do busto » ou « Busto ».

1ère publication : Portugal, 1962. Disque 33 t 30 cm. Columbia SX 1440.

1. Asas fechadas / Luís de Macedo, paroles ; Alain Oulman, musique.
2. Cais de outrora / Luís de Macedo, paroles ; Alain Oulman, musique.
3. Estranha forma de vida / Amália Rodrigues, paroles ; Alfredo Marceneiro, musique.
4. Maria Lisboa / David Mourão Ferreira, paroles ; Alain Oulman, musique.
5. Madrugada de Alfama / David Mourão Ferreira, paroles ; Alain Oulman, musique.
6. Abandono / David Mourão Ferreira, paroles ; Alain Oulman, musique.
7. Aves agoirentas / David Mourão Ferreira, paroles ; Alain Oulman, musique.
8. Povo que lavas no rio / Pedro Homem de Melo, paroles ; Joaquim Campos, musique.
9. Vagamundo / Luís de Macedo, paroles ; Alain Oulman, musique.

José Afonso • Fui à beira do mar

25 avril 2024

Il y a cinquante ans aujourd’hui, le 25 avril 1974, avait lieu au Portugal la Révolution des œillets, qui mettait fin au régime de dictature en place depuis le coup d’état militaire de 1926. 48 ans.

Comment est la fête du cinquantenaire ? Car l’extrême-droite a réalisé une percée spectaculaire aux élections législatives anticipées du 10 mars dernier : 50 sièges sur les 230 de l’Assemblée de la République, soit quatre fois plus qu’au scrutin précédent (2022).

Fui à beira do mar (« Je suis allé sur le rivage »), publiée avant la Révolution des œillets, était une chanson d’espérance. Elle est extraite du très bel album Eu vou ser como a toupeira (« Je serai comme la taupe »), enregistré à Madrid en novembre 1972, publié en décembre de la même année.

José Afonso (1929-1987)Fui à beira do mar. José Afonso, paroles & musique.
José Afonso, chant ; instrumentistes non identifiés.
Enregistrement : Madrid (Espagne), studios Celada, du 6 au 13 novembre 1972.
Extrait de l’album Eu vou ser como a toupeira / José Afonso. Portugal, Orfeu, ℗ 1972.

Fui à beira do mar
Ver o que lá havia
Ouvi uma voz cantar
Que ao longe me dizia

Je suis allé sur le rivage
Voir ce qui s’y trouvait.
Là une voix chantait,
De loin elle me disait :
Ó cantador alegre
Que é da tua alegria
Tens tanto para andar
E a noite está tão fria

« Ô toi joyeux chanteur,
Qu’en est-il de ta joie ?
Ton chemin est si long
Et la nuit est si froide ! »
Desde então a lavrar
No meu peito a Alegria
Ouço alguém a bradar
Aproveita que é dia

Depuis, la joie
Se répand dans mon cœur
Et j’entends quelqu’un crier
« Profite du jour qui vient ! »
Sentei-me a descansar
Enquanto amanhecia
Entre o céu e o mar
Uma proa rompia

Je me suis assis pour me reposer
Tandis que le jour se levait.
Entre le ciel et l’eau
Une étrave fendait les flots.
Desde então a bater
No meu peito em segredo
Sinto uma voz dizer
Teima, teima sem medo

Depuis, frémissant
En secret dans mon cœur,
J’entends une voix qui dit
« Persévère, n’aie pas peur ! »
Desde então a lavrar
No meu peito a Alegria
Ouço alguém a bradar
Aproveita que é dia

Depuis, la joie
Se répand dans mon cœur
Et j’entends quelqu’un crier
« Profite du jour qui vient ! »

José Afonso (1929-1987). Fui à beira do mar. José Afonso (1929-1987). Je suis allé sur le rivage, traduit de : Fui à beira do mar par L. & L.

La chanson du dimanche [51]

21 avril 2024

Impeccable.

Les frères JacquesMonsieur Lepetit, le chasseur. Jean-Claude Massoulier, paroles ; César Gattégno, musique.
Les frères Jacques, quatuor vocal ; orchestre sous la direction de Hubert Degex.
Enregistrement : Paris, Comédie des Champs-Élysées.
Extrait de l’album Les fesses / Les frères Jacques. France, Arion, ℗ 1975.

Le samedi matin, lorsque point l’aurore,
Monsieur Lepetit, le chasseur
Embrasse tendrement sa femme qui dort,
Prend son grand fusil à vapeur,

Sa grande carnassière en peau de banane,
Son chien médaillé comme un sauveteur
Et s’en va chasser la zippopotame
Et la souris blanche en Seine-Inférieure.

La femme du chasseur,
Dans son grand lit blanc,
La femme du chasseur
Accueille son amant :
« Bonjour, mon grand ! »

Ils prennent du café
Avec des croissants,
Ils s’font des baisers
Et ils sont contents.

Taïaut, taïaut, taïaut !

En Seine-Inférieure, quand vient l’crépuscule,
Monsieur Lepetit, le chasseur
S’fait photographier sur un monticule
Et prend des poses d’artilleur,

Sur un monticule de puces géantes,
De rhinoféroces et d’anacondas
Et à l’auberge du zéléphant qui chante,
Notre homme s’endort d’un sommeil de bois.

La femme du chasseur,
Dans son grand lit blanc,
La femme du chasseur
Raccueille son ramant :
« R’bonjour, mon r’grand ! »

Ils reprennent du r’café
Avec des r’croissants,
Ils s’refont des r’baisers
Et ils sont r’contents.

R’taïaut, r’taïaut, r’taïaut !

Le dimanche soir, quand tombe la nuit,
Monsieur Lepetit, le chasseur
Retrouve sa femme qui tricote pour lui
Une gaine de fusil-mitrailleur.

Il jette sur la table un zippopotame,
Un rhinoféroce, un lapin zénorme
Et d’sa carnassière, il tire pour sa femme
Une extraordinaire paire de cornes.

La femme du chasseur,
Dans son grand blanc lit,
La femme du chasseur
Accueille son mari :
« Bonsoir, mon petit ! »

Comme il est flapi,
Notre homme s’endort
Dans le grand blanc lit
En berçant Médor.

Taïaut, taïaut, taïaut !

Mais l’samedi d’après, quand repoint l’aurore
Monsieur Lepetit, le chasseur
Rembrasse tendrement sa femme qui dort
Reprend son fusil à r’vapeur

Sa grande carnassière en peau de r’banane
Son chien médaillé comme un resauveteur
Et s’en va chasser la zippopotame
Et la souris blanche en Seine-Inférieure

Jean-Claude Massoulier (1932-2009). Monsieur Lepetit, le chasseur.

Donovan • Widow with a shawl (a portrait)

20 avril 2024

Donovan (né en 1946)Widow with a shawl (a portrait). Donovan Leitch, paroles & musique.
Donovan, chant & guitare.
Enregistré en direct et en concert au Anaheim Convention Center, Anaheim, Californie, États-Unis, le 17 novembre 1967.
Extrait de l’album Donovan in concert. Royaume-Uni, Pye Records, ℗ 1968.

J’avais ce disque quand j’étais adolescent, en Bretagne, dans la maison qui regardait la mer. J’aimais sa pochette et plus encore son contenu, tout particulièrement cette chanson-là : Veuve avec châle (portrait). L’accent écossais de Donovan — qui devait paraître bien exotique à son public californien — m’enchantait, que ce soit dans sa présentation de la chanson :

This next song, you must imagine, takes place in the 18th century, in England somewhere. And this song tells the story of a young lady who is lamenting her lover who has gone to sea. This is in the days of the sailing ships and when they went to sea, they went away for a long time. 25 years, maybe 30 years. Well this is a widow; she supposes she’s a widow and she’s walking along the beach and this is her song.
Donovan Leitch (né en 1946). Présentation de la chanson Widow with a shawl (a portrait), Anaheim Convention Center, Anaheim, Californie, États-Unis, le 17 novembre 1967.

La prochaine chanson, il faut imaginer qu’elle se passe au 18e siècle, quelque part en Angleterre. Elle raconte l’histoire d’une jeune femme pleurant son amoureux qui a pris la mer. Ce sont les temps de la marine à voile et quand ils s’embarquaient, c’était pour de longues périodes. 25 ans, 30 ans peut-être. Elle est veuve, ou du moins elle suppose qu’elle l’est. Elle marche le long de la plage et voici sa chanson.
Traduction L. & L.

que dans la chanson elle-même :

Dear wind that shakes the barley free
Blow home my true love’s ship to me, fill her sail
I a-weary wait upon the shore.

Bon vent qui passe dans les épis,
Ramène-moi la nef de mon amour, gonfle sa voile,
Je suis si lasse d’attendre sur le rivage !
Forsake her not in times of storm
Protect her oaken beams from harm, fill her sail
I a-weary wait upon the shore.

Ne l’abandonne pas dans l’ouragan,
Protège ses mâts de chêne, gonfle sa voile,
Je suis si lasse d’attendre sur le rivage !
Whether he be in Africa
Or deep asleep in India, fill his dreams
I a-weary wait upon the shore.

Et qu’il parcoure l’Afrique,
Ou qu’il s’endorme en Inde, exauce ses rêves.
Je suis si lasse d’attendre sur le rivage !
And in my chariot of sleep,
I ride the vast and dreamy deep deep sea.
I awake a-weary on the shore.

Et dans le char de mon sommeil,
Je parcours en rêve la vaste mer profonde.
Exténuée, je m’éveille sur le rivage.
Dear snow white gulls upon the wave
I like you am lamenting for my love.
I a-weary cry upon the shore.

Ô blanches mouettes sur la vague,
Comme vous je me lamente sur mon amour,
Je suis si lasse et je pleure sur le rivage !
Seven years and seven days,
No man has seen my woman ways, dear God.
I a-weary cry upon the shore.

Voici sept ans et sept jours
Que nul homme ne m’a regardée, Seigneur !
Je suis si lasse et je pleure sur le rivage !
Along the shingled beach I go
The wind about me as I make my way
To my weary dream upon my bed.

Le long des galets de la plage,
Le vent m’enveloppe et je marche
Vers ma couche et vers mon rêve las.
Dear wind that shakes the barley free
Blow home my true love’s ship to me, fill her sail.
I a-weary wait upon the shore.

Bon vent qui passe dans les épis,
Ramène-moi la nef de mon amour, gonfle sa voile,
Je suis si lasse d’attendre sur le rivage !

Donovan Leitch (né en 1946). Widow with a shawl (a portrait) (1967). Donovan Leitch (né en 1946). Veuve avec châle (portrait), traduit de : Widow with a shawl (a portrait) (1967) par L. & L.

José Afonso • Ó minha amora madura

18 avril 2024

Ó minha amora madura
Ai, diz-me quem te amadurou
Foi o sol, foi a geada
Ai, foi o calor que ela apanhou

Traditionnel (Alentejo, Portugal)

Oh ma mûre bien mûre,
Dis-moi qui t’a fait mûrir !
C’est le soleil, c’est la froidure
C’est la chaleur qu’elle a reçue !
Traditionnel (Alentejo, Portugal). Traduction L. & L.

José Afonso (1929-1987)Ó minha amora madura. Paroles & musique traditionnelles (Alentejo, Portugal) ; José Afonso, arrangement.
José Afonso, chant ; instrumentistes non identifiés.
Enregistrement : Madrid (Espagne), studios Celada, du 6 au 13 novembre 1972.
Extrait de l’album Eu vou ser como a toupeira / José Afonso. Portugal, Orfeu, ℗ 1972.

Cette petite chanson traditionnelle de l’Alentejo n’est guère représentative du caractère général de l’album Eu vou ser como a toupeira (« Je serai comme la taupe ») dont elle fait partie. Paru en 1972, une période où José Afonso ne pouvait pratiquement plus se produire au Portugal, l’album recèle quelques titres particulièrement graves, notamment A morte saiu à rua (« La mort est sortie dans la rue »).

Bien sûr, les paroles ont un double sens : amora (« mûre » [le fruit]) est tellement proche de amor (« amour »)… « Qui t’a fait mûrir » peut (doit ?) s’entendre autrement. D’ailleurs d’autres versions comportent plusieurs strophes, plus explicites. Par exemple :

Ó minha amora madura
quem foi que te amadurou?
Foi o sol e a geada
e o calor que ela apanhou.

Oh ma mûre bien mûre,
Ah dis-moi qui t’a fait mûrir !
C’est le soleil, c’est la froidure
C’est la chaleur qu’elle a reçue !
E o calor que ela apanhou
debaixo da silveirinha;
Ó minha amora madura
minha amora madurinha.

C’est la chaleur qu’elle a reçue
En-dessous des ronciers ;
Oh ma mûre bien mûre,
Ma petite mûre bien mûre.
Há silvas que dão amoras
há outras que as não dão
há amores que são leais
e há outros que o não são

Certaines ronces donnent des mûres,
D’autres n’en donnent pas.
Certaines amours sont fidèles
Et d’autres ne le sont pas.

Traditionnel (Alentejo, Portugal). Ó minha amora madura. Traditionnel (Alentejo, Portugal). Oh ma mûre bien mûre, traduit de : Ó minha amora madura par L. & L.

Amália Rodrigues • Partindo-se

16 avril 2024

Les musiques composées par Alain Oulman sur la poésie médiévale et celle de la Renaissance sont parmi ses plus belles, je trouve. Ainsi en va-t-il de celle destinée à la « cantiga » (« chanson ») Partindo-se de João Roiz (ou Rodrigues) de Castelo Branco, un gentilhomme de la maison royale, né vers 1450, mort à Castelo Branco, dans le centre-est du pays, après 1515.

Amália Rodrigues (1920-1999)Partindo-se. Poème de João Roiz de Castelo Branco ; Alain Oulman, musique.
José Fontes Rocha, guitare portugaise ; Pedro Leal, guitare.
Enregistrement : Portugal, Paço de Arcos (Lisbonne), studios Valentim de Carvalho, 22 novembre 1968.
Première publication dans le coffret de 8 CD Amália 50 anos. CD 2, Os poetas. Portugal, EMI, ℗ 1989.

Senhora*, partem tão tristes
meus olhos por vós, meu bem,
que nunca tão tristes vistes
outros nenhuns por ninguém.

Madame*, ils sont si tristes,
Mes yeux, mon amie, qui ne vous verront plus,
Que jamais nul ne vit
D’yeux si tristes pour personne.
Tão tristes, tão saüdosos,
tão doentes da partida,
tão cansados, tão chorosos,
da morte mais desejosos
cem mil vezes que da vida,
partem tão tristes os tristes,
tão fora de esperar bem,
que nunca tão tristes vistes
outros nenhuns por ninguém.

Si tristes, si affligés,
Si navrés de partir,
Si las, si pleins de larmes,
Aspirant plus à la mort
Cent mil fois qu’à la vie,
Ils partent si tristes ces yeux tristes,
Si loin d’espérer bonne fortune,
Que jamais nul ne vit
D’yeux si tristes pour personne.

João Roiz de Castel-Branco (14??-après 1515). Cantiga, Partindo-se (15e siècle).
* Chanté : « Senhor » (« Seigneur »)
João Roiz de Castel-Branco (14??-après 1515). Chanson « Les adieux », traduit de : Cantiga, Partindo-se (15e siècle) par L. & L.
* Chanté : « Senhor » (« Seigneur »)

Partindo-se, qui pourrait se traduire par « Les adieux », « La séparation », est extrait du Cancioneiro geral (1516), le premier recueil de poésie portugaise imprimé au Portugal, compilé par le chroniqueur, poète et musicien Garcia de Resende (1470?-1536). On y recense près de mille poèmes, de 286 poètes différents.

C’est un poème d’amour déchirant, avec son insistance sur le mot tristes présent à six reprises — à raison parfois de deux dans le même vers — et avec, dans sa seconde partie, son rythme passionné scandé par l’adverbe tão (« si », dans le sens de « tellement »). La musique d’Alain Oulman l’exalte encore ; l’interprétation splendide d’Amália le sublime. Cet enregistrement, réalisé en novembre 1968 et peut-être destiné à l’album Com que voz dont il possède tous les traits — notamment la guitare portugaise de José Fontes Rocha qui lui confère un caractère de ballade de Coimbra, accompagnée par la seule guitare de Pedro Leal — a été laissé de côté pour n’être finalement publié qu’en 1989 dans une compilation de 8 CD réalisée à l’occasion des cinquante ans de carrière d’Amália.

Jusque là, la chanson Partindo-se était connue dans une version enregistrée en 1966 avec le Conjunto de guitarras (« l’Ensemble de guitares ») de Raúl Nery et qui, bien sûr, sonnait de ce fait plus lisboète, plus « fadiste ». Elle était parue en 1968, avec une autre chanson médiévale mise en musique par Alain Oulman, Nós, as meninhas, du troubadour Pero Viviães, sur un disque 45 tours intitulé Amália canta poesia medieval portuguesa (« Amália chante la poésie médiévale portugaise »).

Amália Rodrigues (1920-1999)Partindo-se. Poème de João Roiz de Castelo Branco ; Alain Oulman, musique.
Amália Rodrigues, chant ; Conjunto de guitarras de Raul Nery (Raul Nery & José Fontes Rocha, guitare portugaise ; Castro Mota, guitare ; Joel Pina, basse acoustique).
Enregistrement : Portugal, Paço de Arcos (Lisbonne), studios Valentim de Carvalho, 1966.
Première publication : disque 45 t Amália canta poesia medieval portuguesa. Portugal, Columbia, ℗ 1968.

Fado Proença. 4. Carminho, Matilde Cid (et Mísia)

9 avril 2024

Fait suite à :

L’un des plus récents emplois du Fado Proença figure dans le second album de Matilde Cid, paru fin 2023 sous le titre très pessoien de Desassosego (« Intranquillité » ou « Inquiétude »). La chanteuse est l’autrice (moyennement inspirée, disons) des paroles de ce fado, Inesperado (« Inattendu »), qu’elle chante comme toujours avec un léger vibrato qui affecte sa voix par ailleurs assez chaude.

Matilde Cid (née en 1983)Inesperado. Matilde Cid, paroles ; Júlio Proença, musique (Fado Proença).
Matilde Cid, chant ; Bernardo Couto & Luís Guerreiro, guitare portugaise ; Bernardo Saldanha, guitare ; Francisco Gaspar, basse acoustique.
Extrait de l’album Desassosego / Matilde Cid. Portugal, Espelho de cultura, ℗ 2023.

Foi sem querer que eu te quis
É sem querer que me sorris
E me falas ao ouvido
Às vezes sem perguntar
O amor vem acordar
Um coração adormecido.

Je t’ai aimé sans le vouloir,
Sans le vouloir tu me souris
Et tu me parles à l’oreille.
Parfois sans qu’on le cherche,
L’amour vient réveiller
Un cœur endormi.
Não consigo ver quem sou
Nem sei bem p’ra onde vou
Meu amor ainda é cedo
Cantei, chorei, fugi
Foi assim que descobri
Não te quero só por medo.

Je ne sais pas bien qui je suis
Je ne sais pas bien où je vais.
Mon amour, il est encore tôt.
J’ai chanté, j’ai pleuré, j’ai fui.
Voilà comment j’ai découvert
Que mon amour n’est pas engendré par la peur.
Penso em ti a toda a hora
Penso em ti p’la noite fora
Não me acordem nunca mais
No meu sonho há liberdade
Não há ódio nem maldade
Quero ir p’ra onde vais.

Je pense à toi tout le jour,
Je pense à toi toute la nuit.
Ne me réveillez plus jamais.
Dans mon rêve, il y a la liberté,
Il n’y a ni haine ni malice,
Je veux aller là où tu vas.

Matilde Cid (née en 1983). Inesperado (2023). Matilde Cid (née en 1983). Inattendu, traduit de : Inesperado (2023) par L. & L.

J’ai beau me méfier de Carminho qui a tendance à surcharger son expression, parfois jusqu’à la grimace, je dois reconnaître que ce qu’elle a fait du Fado Proença dans son deuxième album (Alma, 2012) est d’excellente tenue. Elle est ici sa propre parolière ; le fado se nomme Folha (« Feuille »).

Carminho (née en 1984)Folha. Carminho, paroles ; Júlio Proença, musique (Fado Proença).
Carminho, chant ; Bernardo Couto, guitare portugaise ; Marino De Freitas, guitare.
Extrait de l’album Alma / Carminho. Portugal, Mundo records, ℗ 2012.

Folha maldita, obedeces
Às mãos que nem tu mereces
Às mentiras do poeta.
Toda a negrura dos traços
Descreveram mil abraços,
Histórias de uma porta aberta.

Feuille maudite, tu obéis
Aux mains que tu ne mérites pas,
Aux mensonges du poète.
Cette noire écriture, ces lettres,
Ont décrit mille étreintes,
Histoires d’une porte ouverte.
Só tu sabes, folha branca,
A arte de tornar estanque
Essa seiva da verdade.
Contou-me histórias de amor,
Esse pobre fingidor,
Fez-me crer que tem saudade.

Feuille blanche, toi seule connais
L’art de figer
La sève de la vérité.
Il m’a tant parlé d’amour,
Ce pauvre simulateur,
Que j’ai cru qu’il aimait encore.
E tu, oh folha rendida
À mão que na despedida
Diz adeus sem ter partido,
Vai dizer a toda a gente
Que finge o que deveras sente
O meu poeta perdido.

Et toi, feuille soumise
À la main qui prend congé
Tout en ne partant pas,
Va dire au monde entier
Qu’il feint ce qu’en fait il sent,
Mon poète perdu.

Carminho (née en 1984). Folha (2012). Carminho (née en 1984). Feuille, traduit de : Folha (2012) par L. & L.

Ici encore on croise en eaux pessoiennes, avec une claire référence à Autopsicografia (« Autopsychographie »), l’un des poèmes les plus connus de Pessoa, publié en 1932 dans la revue Presença sous son « orthonyme », selon le terme employé par les spécialistes du poète — c’est à dire : son propre nom, « Fernando Pessoa », et non l’un de ses hétéronymes.

O poeta é um fingidor.
Finge tão completamente
que chega a fingir que é dor
a dor que deveras sente.

Le poète sait l’art de feindre.
Il feint si complètement
Qu’il en vient à feindre qu’est douleur
La douleur qu’en fait il sent.
E os que lêem o que escreve,
na dor lida sentem bem,
não as duas que ele teve,
mas só a que eles não têm.

Et ceux qui lisent ses écrits
Dans la douleur lue sentent bien
Non les deux qu’il a connues,
Mais celle qu’ils n’éprouvent point.
E assim nas calhas de roda
gira, a entreter a razão,
esse comboio de corda
que se chama coração.

Et ainsi, en ses engrenages
Tourne, jouet de la raison,
Ce petit train mécanique
Qui de cœur a reçu le nom.

Fernando Pessoa (1888-1935). Autopsicografia (1er avril 1931 [écriture] ; 1932 [première publication]). Fernando Pessoa (1888-1935). Autopsychographie, traduit de : Autopsicografia (1er avril 1931 [écriture] ; 1932 [première publication]) par Armand Guibert.

Il se trouve que Mísia, dans son album Ruas de 2009, avait chanté Autopsicografia, non sur la musique du Fado Proença (à laquelle elle a eu recours, deux ans plus tard, pour Que o meu coração se cansou), mais sur celle du très beau Fado Meia-noite.

Mísia (née en 1955)Autopsicografia. Poème de Fernando Pessoa ; Filipe Pinto, musique (Fado Meia-noite).
Mísia, chant ; Ângelo Freire, guitare portugaise ; Carlos Manuel Proença, guitare ; Daniel Pinto, basse acoustique ; Luís Pacheco Cunha, violon ; Daniel Mille, accordéon.
Enregistrement : Paris, studio Acousti.
Extrait de l’album Ruas / Mísia. France, Universal music France, ℗ 2009.