Há festa na Mouraria • Amália, Marceneiro
Fait suite à :
………
Arco do Marquês do Alegrete (Lisboa, Portugal) = Arc du marquis d’Alegrete (Lisbonne, Portugal). Photographe : Estúdio Mário Novais. [Avant 1946]. Biblioteca de arte, Fundação Calouste Gulbenkian.
L’arc (aussi appelé Porta da Mouraria) était l’une des portes pratiquées dans la muraille de 1375. Il fait face à la chapelle de la Senhora da Saúde, dont la façade est visible au second plan. À gauche, on aperçoit la face orientale du palais du marquis d’Alegrete, démoli en 1946. L’immeuble que traverse l’arc (et l’arc lui-même) ont été démolis en 1961.
………
Toute personne visitant Lisbonne débouche tôt ou tard sur l’étrange place Martim Moniz, une vaste balafre dans le tissu urbain, si absurde qu’aucun des plans d’aménagement qui se sont succédés depuis les années 60 ne parvient à la sauver de sa laideur. Elle n’est située qu’à quelques minutes de marche du Rossio, le cœur de Lisbonne. Sur son rebord, juste à la rupture de la pente de la colline du Château où se déploie la Mouraria : la chapelle de la Senhora da Saúde, comme échouée, déposée ici par une ancienne marée.
Au lieu de la place Martim Moniz (et de quelques espaces contigus) s’étendait jusqu’aux années 1950 la Baixa da Mouraria — la partie basse du quartier — qui abritait une population aux conditions de vie précaires. On y trouvait quelques édifices remarquables : la grande église du Socorro, construite après le tremblement de terre de 1755 ; le théâtre Apolo, inauguré en 1866 ; le palais du marquis d’Alegrete, commencé en 1694, jamais complètement achevé. Abîmé par le tremblement de terre, mal entretenu, il se trouvait dans les années 1940 en piteux état, voué à des échoppes d’artisans, scierie, barbier, marchand de machines à écrire et autres, mais toujours orné de ses somptueux portails. Il s’appuyait sur l’une des portes pratiquées dans la muraille de 1375, la Porta da Mouraria (le quartier se trouvant à cette époque hors les murs) désignée ensuite du nom « d’arc du marquis d’Alegrete » (Arco do marquês do Alegrete).
Les bordels, dans lesquels le fado a probablement éclos, les cabarets et les guinguettes, dans lesquels il s’est diffusé, existaient à profusion dans la Baixa da Mouraria, particulièrement réputée pour ses lupanars.
Or, prise d’un désir « d’hygiénisation » et de modernisation (en excipant notamment de la nécessité d’un axe de circulation large et continu reliant le petit noyau central de la capitale à la sortie nord de l’agglomération), la Ville de Lisbonne a fait démolir entre 1946 et 1958 toute la Baixa da Mouraria. Seule la chapelle de la Senhora da Saúde, favorisée par sa valeur symbolique et sa situation marginale, s’est sauvée de cette passion destructrice.
C’est à cela que fait référence le refrain du Fado da Senhora da Saúde, que chantait Hermínia Silva en 1953 (voir le billet précédent) : « Ma chère Mouraria, / Le progrès peut te démolir / Il y aura toujours pour toi / La tendresse d’une prière. / Mouraria, Mouraria, / On veut te moderniser / Mais aujourd’hui ta gaieté / Ne convainc ni ne trompe », Lourenço Rodrigues, 1898-1975, Fado da Nossa Senhora da Saúde, 1953, extrait).
………
Arco do Marquês do Alegrete (Lisboa, Portugal) = Arc du marquis d’Alegrete (Lisbonne, Portugal). Photographe : Estúdio Mário Novais. [Entre 1946 et 1961]. Biblioteca de arte, Fundação Calouste Gulbenkian sur Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
La photo est prise dans une perspective inverse du cliché précédent et lui est postérieure. Le palais du marquis d’Alegrete n’existe déjà plus. L’immeuble que traverse l’arc (et l’arc lui-même) résisteront jusqu’en 1961. À leur place s’élève aujourd’hui un centre commercial. La construction basse à gauche était un cinéma de quartier, le Salão Lisboa, qui a fermé en 1971, désormais privé de son public. Le bâtiment a été conservé ; il existe toujours.
………
Le fado d’Hermínia prend pour sujet la procession annuelle de la Senhora da Saúde. Ce thème a inspiré deux autres fados, très célèbres l’un et l’autre. Leurs textes respectifs, antérieurs au début des démolitions, évoquent l’atmosphère qui régnait dans toute la Mouraria vers les années 1920, alors que le fado prospérait dans son biotope d’origine et que le terme même de fadista revêtait une toute autre connotation qu’aujourd’hui : il en émanait un fort relent de « mauvaise vie ».
Ces deux fados portent le même titre : Há festa na Mouraria (« La Mouraria est en fête ») et se chantent sur la même musique : le Fado Marcha d’Alfredo Marceneiro. Ils comportent quelques vers en commun, l’un étant une sorte de glose, ou de variation, sur l’autre. Le premier en date est celui de Gabriel de Oliveira (1891-1953), dans lequel apparaît pour la première fois le personnage de Rosa Maria, la prostituée de la Rua do Capelão, érigée par la suite en une sorte d’archétype que plusieurs autres fados mettent à contribution, à commencer par le second Há festa na Mouraria, d’António Amargo (1886-1933). Marceneiro a créé les deux versions, mais n’a enregistré que la seconde, assez tard (1965).
C’est Amália Rodrigues qui, la première, en 1952, a publié sur disque la version de Gabriel de Oliveira. En voici un enregistrement réalisé par elle l’année précédente (1951), resté inédit jusqu’en 2014 :
………
Amalia Rodrigues (1920-1999) • Há festa na Mouraria. Gabriel de Oliveira, paroles ; Alfredo Marceneiro, musique (Fado Marcha do Marceneiro).
Amália Rodrigues, chant ; Raul Nery, guitare portugaise ; Santos Moreira, guitare.
Enregistrement : Lisbonne (Portugal), Établissements Valentim de Carvalho, 97-99, rua nova do Almada, 1951.
Première publication dans l’album No Chiado / Amália. Portugal, Edições Valentim de Carvalho, ℗ 2014.
………
Há festa na Mouraria,
é dia da procissão
da senhora da saúde.
Até a Rosa Maria
da rua do Capelão
parece que tem virtude.
La Mouraria est en fête,
C’est le jour de la procession
De Notre-Dame de la Santé
Et même la Rose-Marie
De la rue du Chapelain
Semble toute chasteté.
Naquele bairro fadista
calaram-se as guitarradas:
não se canta nesse dia,
velha tradição bairrista,
vibram no ar badaladas,
há festa na Mouraria.
Dans ce quartier si fadiste
Les guitares se sont tues :
En ce jour on ne chante pas,
Le quartier a ses traditions.
L’air résonne de carillons,
Il y fête à la Mouraria.
Colchas ricas nas janelas,
pétalas soltas no chão.
Almas crentes, povo rude
anda a fé pelas vielas:
é dia da procissão
da senhora da saúde.
Dessus de lits aux fenêtres,
Pétales répandus sur le sol,
Âmes pieuses, peuple rude,
La foi défile dans les ruelles
C’est le jour de la procession
De Notre-Dame de la Santé.
Após um curto rumor
profundo siléncio pesa:
por sobre o largo da Guia
passa a Virgem no andor.
Tudo se ajoelha e reza,
até a Rosa Maria.
Une courte rumeur s’élève
Et sombre dans un profond silence
Car voici, sur le Largo da Guia
La Madone sur sa litière.
Tous s’agenouillent en prière,
Jusqu’à la Rose-Marie.
Como que petrificada,
em fervorosa oração,
é tal a sua atitude,
que a rosa já desfolhada
da rua do Capelão
parece que tem virtude.
Comme pétrifiée
En une fervente oraison,
Son attitude est telle
Que la rose déjà fanée
De la rue du Chapelain
Semble toute chasteté.
Gabriel de Oliveira (1891-1953). Há festa na Mouraria (années 1920). Gabriel de Oliveira (1891-1953). La Mouraria est en fête, trad. par L. & L. de Há festa na Mouraria (années 1920).
………
Alfredo Marceneiro a choisi d’enregistrer la version d’António Amargo, qui recherche le pittoresque et emploie volontiers l’imagerie traditionnellement associée à l’univers fadiste. C’est une scène de genre vigoureuse, qui convient à ce chanteur au timbre singulier, à la voix fluette mais si expressive. Son Há festa na Mouraria est aux antipodes de celui d’Amália.
………
Alfredo Marceneiro (1891-1982) • Há festa na Mouraria. António Amargo, paroles ; Alfredo Marceneiro, musique (Fado Marcha do Marceneiro).
Alfredo Marceneiro, chant ; Francisco Carvalinho & Ilídio dos Santos, guitare portugaise ; Orlando Silva, guitare.
Enregistrement : Paço d’Arcos (Portugal), studios Valentim de Carvalho, 1964.
Première publication dans l’album Há festa na Mouraria / Alfredo Marceneiro. Portugal, Edições Valentim de Carvalho, ℗ 1965.
………
Desde manhã, os fadistas
Jaquetão, calça esticada
Se aprumam com galhardia
Seguem as praxes bairristas
É data santificada
Há festa na Mouraria
Depuis ce matin les fadistes,
Veste croisée, culotte ajustée,
Se redressent et portent beau
Selon la coutume du quartier.
Car c’est une date sacrée :
Il y fête à la Mouraria.
Toda aquela que se preza
De fumar, falar calão
Pôr em praça a juventude
Nessa manhã chora e reza
É dia da procissão
Da senhora da saúde
Toute cette plèbe qui s’honore
De fumer, parler l’argot
Et de mettre à l’encan la jeunesse,
Ce matin soupire et prie,
Car c’est jour de procession
De Notre-Dame de la Santé.
Nas vielas do pecado
Reina a paz tranquila e santa
Vive uma doce alegria
À noite, é noite de fado
Tudo toca, tudo canta
Até a Rosa Maria
Dans les ruelles du péché
Règne une paix tranquille et sainte.
Une douce joie s’est établie
Et la nuit au fado est vouée.
On joue de la guitare, on chante,
Même la Rose-Marie.
A chorar de arrependida
A cantar com devoção
Numa voz fadista e rude
Aquela rosa perdida
Da Rua do Capelão
Parece que tem virtude
Elle pleure son repentir
Et chante avec dévotion
D’une voix fadiste et rude
Et cette rose corrompue
De la rue du Chapelain,
Paraît pénétrée de vertu.
António Amargo (António Correia Pinto de Almeida, 1886-1933). Há festa na Mouraria (années 1920). António Amargo (António Correia Pinto de Almeida, 1886-1933). La Mouraria est en fête, trad. par L. & L. de Há festa na Mouraria (années 1920).
………
Eduardo Portugal (1900-1958). Rua da Mouraria, Lisbonne, novembre 1950. Arquivo municipal de Lisboa, PT/AMLSB/CMLSBAH/PCSP/004/EDP/001055.
………
En épilogue de ce long billet, revoici Amália. Lorsque j’ai commencé à m’intéresser à elle, Há festa na Mouraria figurait parmi mes fados préférés. Toutes ces rimes en -ude m’enchantaient, surtout ce vers : Almas crentes, povo rude. Je ne connaissais alors que l’enregistrement réalisé en 1967, avec un ensemble instrumental plus fourni qu’en 1951 (et 1952), un timbre de voix plus riche et une science de l’interprétation consommée. Cette version est restée ma préférée, probablement parce que c’était la première entendue.
………
Amália Rodrigues (1920-1999) • Há festa na Mouraria. Gabriel de Oliveira, paroles ; Alfredo Marceneiro, musique (Fado Marcha do Marceneiro).
Amália Rodrigues, chant ; Raul Nery & José Fontes Rocha, guitare portugaise ; Castro Mota, guitare ; Joel Pina, basse acoustique.
Enregistrement : Paço de Arcos (Lisbonne, Portugal), studios Valentim de Carvalho, mars-avril 1967.
Première publication dans l’album Fados 67 / Amália Rodrigues. Portugal, Edições Valentim de Carvalho, ℗ 1967.
………
À suivre.
.
.
Hermínia Silva • Fado da Senhora da Saúde
Voici, au long des quelques billets à venir — trois, quatre, je ne sais pas encore — une évocation de l’un des quartiers les plus anciens de Lisbonne et des plus célébrés par le fado : la Mouraria.
………
Albertino Guimarães (1891-1967), Largo da Senhora da Saúde (1939). Lisbonne, Museu de Lisboa. Photo : Pedro Ribeiro Simões sur Flickr (CC BY 2.0).
………
La Mouraria (littéralement : « la Maurerie ») s’est constituée suite à la conquête de Lisbonne, arrachée aux « Maures » par le premier roi du Portugal, Afonso Henriques, en 1147. Chassée d’Alfama, où se trouvait probablement la grande mosquée de la ville, la population musulmane qui n’avait pas pu fuir s’est rassemblée un peu plus au Nord, sur les pentes occidentale et septentrionale de la colline que couronne le château Saint-Georges. La grande mosquée fut bientôt détruite tandis qu’était promptement entreprise la construction de la Sé, la cathédrale.
À la fin du XIXe et au début du XXe siècles, la Mouraria, dont la structure n’a guère changé, est un quartier pauvre de venelles escarpées, d’escaliers, de tavernes, de bordels et autres : un terrain d’élection pour le fado, devenu la chanson emblématique de la ville. C’est au cœur de la Mouraria, dans l’étroite rua do Capelão (rue du Chapelain), que « la Severa » (Maria Severa, 1820-1846), la première fadiste connue, a vécu l’essentiel de sa courte vie. Et c’est ce même quartier qu’on imagine être le décor de la fameuse casa da Mariquinhas rendue célèbre par Alfredo Marceneiro.
La Mouraria descend jusqu’à la ville basse et englobe la très jolie chapelle baroque de la Senhora da Saúde (Notre-Dame de la Santé), située hors les murs lors de sa construction. La procession qui s’y déroule tous les premiers dimanches de mai (aujourd’hui, en principe) fournit le motif de plusieurs fados. Le Fado da Senhora da Saúde pèche par ses paroles nunuches, truffées de naphtaline et arrosées d’eau bénite — encore que son refrain décoche quelques coups de griffe à la politique d’aménagement urbain de la capitale en ce début des années 1950, comme on le verra dans le prochain billet. Par bonheur, sa musique est une marche allègre et convient à merveille à l’incomparable Hermínia Silva (1907-1993), qui ne se prend pas au sérieux et dont on n’est jamais tout à fait assuré qu’elle ne persifle pas.
………
Hermínia Silva (1907-1993) • Fado da Senhora da Saúde. Lourenço Rodrigues, paroles ; João Nobre, musique.
Hermínia Silva, chant ; Raúl Nery, guitare portugaise ; Armando Silva, guitare.
Première publication : Portugal, 1953.
………
O povo comovido sem alarde
Em multidões enormes se amontoa
E a Mouraria nessa linda tarde
É sala de visitas de Lisboa
Tout un peuple ému et simple
Se presse en foule énorme
Et la Mouraria, en ce bel après-midi
Est le salon de réception de Lisbonne.
E coberto de flores surge o andor
Anda um cheiro a incenso pelo ar
Qual tela colorida dum pintor
Um quadro de ternura popular
Sur sa litière de fleurs voici la Madone
Et l’air se parfume d’encens.
On dirait la toile multicolore d’un peintre,
Un tableau de ferveur populaire.
Mouraria, Mouraria,
Não te enjeito nem te esqueço
[És o riso do sagrado]*
Onde a fé nunca esmorece
Mouraria, Mouraria,
Je ne te néglige ni ne t’oublie.
[Tu es le rire du sacré]*
Où la foi ne faiblit pas.
Minha querida Mouraria,
Pode arrasar-te o progresso
Que terás sempre a teu lado
O carinho duma prece.
Ma chère Mouraria,
Le progrès peut te démolir**,
Tu seras toujours accompagnée
Du réconfort d’une prière.
Mouraria, Mouraria,
Querem fazer-te moderna
Mas hoje a tua alegria
Não convence nem ilude.
Mouraria, Mouraria,
On veut te moderniser**
Mais aujourd’hui ta gaieté
Ne convainc ni ne trompe.
Só será p’ra sempre eterna
Em respeito à tradição
A ingénua procissão
Da Senhora da Saúde!
Seule durera éternellement,
Comme le veut la tradition,
La procession sans prétention
De Notre-Dame de la Santé !
As colchas e as bandeiras pelos ares
Transformam este bairro honesto e pobre
E ao ver os seus santinhos populares,
O pobre humildemente se descobre.
Les dessus de lit aux fenêtres et les drapeaux
Transforment ce quartier honnête et pauvre
Et lorsque défilent ses saints populaires,
Humblement, le pauvre se découvre.
Mas volta a procissão à capelinha
As pétalas de rosa vão murchar
E lá fica outra vez triste e sozinha
A Mouraria que me viu criar.
Mais la procession rentre à la chapelle,
Les pétales de rose vont faner
Et cette Mouraria qui m’a vue grandir
Retourne à sa tristesse et à sa solitude.
Lourenço Rodrigues (1898-1975). Fado da Senhora da Saúde (1953).
*Transcription incertaine.
.
.
.
.
Lourenço Rodrigues (1898-1975). Fado de Notre-Dame de la Santé, trad. par L. & L. de Fado da Senhora da Saúde (1953).
*Transcription de l’original incertaine.
**Allusion aux démolitions massives, commencées en 1949, d’une large part de la partie basse du quartier (essentiellement l’emplacement actuel de la vaste place Martim Moniz).
………
Berta Cardoso • Cruz de guerra
Berta Cardoso (1911-1997) • Cruz de guerra. Armando [de Silva] Neves, paroles ; Miguel Ramos, musique (Fado Cruz de guerra).
Berta Cardoso, chant ; 1 guitare portugaise ; 1 guitare.
Première publication : Royaume-Uni, Columbia, 1936.
………
Quando vieram dizer à pobre mãe
Que o filho tinha morrido lá na guerra
Ela ajoelhou, a tremer, sentindo bem
O desgosto mais dorido que há na terra.
Quand on est venu dire à la pauvre mère
Que son fils, là-bas, était mort à la guerre,
Elle s’agenouilla, tremblante, éperdue
De la plus grande des douleurs de la terre.
Trouxeram-lhe a cruz de guerra que o seu filho
Como valente soldado merecera
E sobre ela a mãe poisou o olhar sem brilho,
Recordando o filho amado que perdera.
On lui remit la croix de guerre que son enfant,
Par sa bravoure au combat, avait méritée.
La mère y posa son regard éteint,
Pensant au fils aimé qu’elle venait de perdre.
Na cruz de guerra pegou, como quem sente
Um reconforto divino que sonhara — :
Com ternura a colocou serenamente
No berço em que pequenino o embalara.
Saisissant la médaille, elle sembla éprouver
Un divin réconfort, comme en rêve.
Tendrement, sereinement, elle la plaça
Dans le berceau où elle endormait son petit.
Pobre mãe — santa do céu em pleno inferno —,
Pôs-se a embalar o berço e a dizer :
« Dorme, dorme, filho meu o sono eterno,
Como eterna é a mina dor em te perder ».
Pauvre mère — une sainte du ciel en plein enfer !
Elle se mit à balancer doucement le berceau,
Disant : Dors, mon fils, du sommeil éternel,
Éternel comme ma douleur de t’avoir perdu.
E a pobre mãe rematou neste contraste :
« Dorme, dorme, o sono eterno, filho meu.
Por causa da cruz de guerra que ganhaste
Quantas mães estão chorando como eu. »
Et la pauvre mère, dans son malheur, de conclure :
Dors mon enfant, dors du sommeil éternel.
Pour cette croix de guerre qu’on t’a remise,
Combien de mères pleurent comme moi ?
Armando [de Silva] Neves (1899-1944). Cruz de guerra (1935). Armando [de Silva] Neves (1899-1944). Croix de guerre, trad. par L. & L. de Cruz de guerra (1935).
………
Il a existé des fados sur le thème de la guerre.
Non pas sur les guerres coloniales menées en Afrique par le Portugal : la censure ne laissait passer que des textes allusifs (faute, parfois, d’en avoir compris la portée). Ni sur la Seconde guerre mondiale, à laquelle le Portugal n’a pas pris part. En revanche la Première, dans laquelle le pays s’est engagé en 1916 aux côtés des Alliés, a fourni au fado passablement de matière. L’entrée en guerre, souhaitée par le Portugal (qui voyait l’Allemagne menacer l’intégrité de ses colonies africaines), a longtemps été empêchée par la Grande-Bretagne : le Corps expéditionnaire portugais n’a rejoint la France qu’en 1917. Pour autant, la participation portugaise aux combats menés sur le front des Flandres s’est soldée par un désastre humain qui a durablement marqué les esprits.
C’est ainsi que le plus célèbre des fados écrits sur ce thème date de 1935. Intitulé Cruz de guerra (« Croix de guerre »), ses paroles évoquent une mère qui reçoit, en même temps que l’annonce de la mort de son fils au front, la croix de guerre que lui a value sa bravoure au combat. Ce texte, mis en musique par le guitariste et compositeur Miguel Ramos, est immédiatement entré au répertoire de l’une des grandes vedettes du fado d’alors, la très populaire Berta Cardoso (1911-1997), qui en a tiré un si grand succès qu’elle l’a enregistré trois fois (en 1936, 1954 et 1974).
Bien que créé en pleine période salazariste, abondamment diffusé par la radio nationale, Cruz de guerra n’est ni militariste, ni nationaliste (contrairement à certains autres fados sur le même thème) : son dernier vers, pour le moins inattendu, aurait même pu lui attirer un froncement de sourcil de la censure. En 1935, son texte a remporté le 1er prix du concours littéraire de poésie organisé par le Secrétariat de la propagande nationale ; mais avec le déclenchement des guerres de libération des colonies africaines, au début des années 60, il pouvait passer pour défaitiste et le régime aurait pu juger sa diffusion inopportune. Or Berta Cardoso n’a cessé de le chanter et de l’enregistrer jusque dans les années 70.
Mais comment les autorités auraient-elles soupçonné de malice cette Berta qui avait mené à bien, par précaution, des études d’infirmière obstétricienne et qui présentait l’aspect rassurant d’une maman ordinaire et aimante ? Voyez-la, sur cette photo prise dans les années 50, serrant contre elle Amália Rodrigues dont elle accueille la tête sur sa confortable épaule tout en lui caressant les cheveux d’un geste maternel :
De g. à d. : Celeste Rodrigues, une personne non identifiée, Berta Cardoso, Amália Rodrigues. Photo : Thurston Hopkins. Vers 1958. Coll. Caixa Geral de Depósitos. Extrait de : Amália : coração independente, Lisboa, Museu colecção Berardo, 2009.
………
Voici le deuxième des trois enregistrements de Cruz de guerra réalisés par Berta Cardoso. Elle y est accompagnée par les deux frères Ramos : Miguel (le compositeur dudit fado) à la guitare et Casimiro (lui aussi compositeur), à la guitare portugaise.
………
Berta Cardoso (1911-1997) • Cruz de guerra. Armando [de Silva] Neves, paroles ; Miguel Ramos, musique (Fado Cruz de guerra).
Berta Cardoso, chant ; Casimiro Ramos, guitare portugaise ; Miguel Ramos, guitare.
Enregistrement : 1954.
Première publication : Portugal, 1954.
………
La Daffini (Giovanna)
C’est le 25 avril : l’anniversaire de la libération de l’Italie du fascisme en 1945. Fêtons-le encore : nous savons que le mal est en train de reprendre force. En Italie, en France, au Portugal — qui commémore ce jour sa Révolution des œillets —, en Espagne, partout.
………
Giovanna Daffini (1913-1969) • Festa d’aprile. Franco Antonicelli, paroles ; Sergio Liberovici, musique.
Giovanna Daffini, chant & guitare ; chœur ; Paolo Ciarchi, guitare basse.
Première publication : Italie, 1967.
………
È già da qualche tempo che i nostri fascisti
si fan vedere poco e sempre più tristi,
hanno capito forse, se non son proprio tonti,
che sta per arrivare la resa dei conti.
Depuis déjà quelque temps, voici que nos fascistes
Se font plus discrets et plus tristes.
Ils ont peut-être compris, s’ils ne sont pas idiots,
Qu’il va bientôt falloir rendre des comptes.
Refrain
Forza che è giunta l’ora, infuria la battaglia
per conquistare la pace, per liberare l’Italia!
Scendiamo giù dai monti a colpi di fucile,
evviva i partigiani! È festa d’Aprile.
Refrain
Courage, car la bataille fait rage et voici l’heure
De conquérir la paix pour libérer l’Italie !
Nous descendons des montagnes avec nos fusils,
Et vive les partisans ! Voici la fête d’avril.
Quando un repubblichino omaggia un germano
alza la mano destra al saluto romano,
ma se per caso incontra noialtri partigiani
per salutare alza entrambe le mani.
Quand un fasciste* salue un congénère,
il lève la main droite en un salut romain,
mais si par hasard c’est nous les partisans qu’il rencontre,
En guise de salut il lève les deux mains !
Nera camicia nera, che noi t’abbiam lavata,
non sei di marca buona, ti sei ritirata;
si sa, la moda cambia quasi ogni mese,
ora per i fascisti s’addice il borghese.
Noire chemise noire, nous on t’a bien lavée !
Tu es de piètre qualité, tu as rétréci.
On le sait, la mode change presque tous les mois,
Et voici que les fascistes s’habillent en bourgeois.
In queste settimane, miei cari tedeschi,
maturano le nespole persino sui peschi;
l’amato Duce e il Führer ci davano per morti,
ma noi partigiani siam sempre risorti.
Ces dernières semaines, mes chers Allemands,
Les nèfles mûrissent jusque sur les pêchers.
Ce cher Duce et le Führer nous donnaient pour morts,
Mais nous les partisans, nous ressuscitons toujours !
Franco Antonicelli (1902-1974). Festa d’aprile (1948).
.
.
.
.Franco Antonicelli (1902-1974). Fête d’avril, trad. par L. & L. de Festa d’aprile (1948).
*En italien : « repubblichino », terme dépréciatif dérivé de « repubblicano », républicain. Désigne les tenants de la « République sociale italienne », ou République de Salò.
………
Giovanna Daffini (1913-1969) est l’une des voix les plus émouvantes de la chanson populaire européenne du XXe siècle. Elle a vécu toute sa vie dans la plaine du Pô : née près de Mantoue, en Lombardie, elle s’est établie ensuite à Gualtieri, qui se trouve au Nord de Reggio Emilia, en Émilie-Romagne. Entre temps elle a travaillé dans les rizières de Pavie et d’ailleurs comme mondina. Avec son mari, le violoniste Vittorio Carpi, elle s’est produite très tôt dans les fêtes de son voisinage, s’accompagnant elle-même d’une guitare assez sommaire, jusqu’à acquérir une notoriété locale qui lui vaut d’être invitée à intégrer le Nuovo Canzoniere Italiano, fondé à Milan en 1962. Ce groupe (dont a aussi fait partie Giovanna Marini, entre beaucoup d’autres) proposait des spectacles chantés dont le programme reprenait quantité de chansons traditionnelles et de lutte — notamment le fameux Bella ciao.
Le répertoire de la Daffini se composait surtout de chansons de mondine et d’autres chansons de lutte et de résistance. Cependant elle connaissait aussi quelques compositions traditionnelles telles que Donna lombarda, ou encore le très beau O Venezia che sei la più bella, hommage à la rébellion vénitienne de 1848-1849 face à l’occupant autrichien (voir dans Wikipédia : République de Saint-Marc).
………
Giovanna Daffini (1913-1969) • O Venezia. Auteur & compositeur inconnus (Italie, 19e siècle).
Giovanna Daffini, chant & guitare ; Vittorio Carpi, violon.
Extrait de l’album : Una voce, un paese / Giovanna Daffini, Vittorio Carpi. Italie, ℗ 1967.
………
O Venezia che sei la più bella
e tu Mantova che sei la più forte
gira l’acqua d’intorno alle porte
sarà difficile poterla pigliar.
Ô Venise, toi qui es la plus belle
Et toi Mantoue, qui es la plus forte !
L’eau bouillonne à l’entour des portes,
Elle sera difficile à prendre !
Un bel giorno, entrando in Venezia
Tutto il sangue scorreva per terra
i soldati sul campo di guerra
e tutto il popolo gridava pietà.
Un beau jour, entrant dans Venise,
Tout le sang se répandait sur le sol,
Les soldats sur le champ de bataille
Et le peuple entier implorait pitié.
O Venezia, ti vuoi maritare?
[E/ma] per marito ti daremo Ancona
Per corredo [e per dote] le chiavi di Roma
e per anello le onde del mar.
Ô Venise, tu veux te marier ?
Pour époux, nous te donnerons Ancône,
Pour trousseau les clefs de Rome
Et pour anneau les vagues de la mer.
Anonyme (Italie). O Venezia che sei la più bella (XIXe siècle).
.Anonyme (Italie). Ô Venise, toi qui es la plus belle, trad. par L. & L. de O Venezia che sei la più bella (XIXe siècle).
………
- Voir Giovanna Daffini dans enciclopediadelledonne.it
Salamalec o rocoha, ia ta fia tihilaca
Propos mystérieux, digne d’Arcabonne ou de Mélusine.
Gérard de Nerval (1808-1855). Chansons et légendes du Valois (1854).
………
Étienne Moulinié (1599-1676) • Salamalec o rocoha (Air du juif errant), 1639. Étienne Moulinié, musique ; auteur des paroles non identifié.
Le Poème harmonique, ensemble instrumental et vocal (Claire Lefilliâtre, dessus ; Marc Pontus, haute-contre ; Serge Goubioud, taille ; Arnaud Marzoratti, basse-contre ; Vincent Dumestre, luth, théorbe, guitare baroque ; Nanja Breedijk, harpe ; Friederike Heumann, Sophie Watillon, dessus de viole ; Sylvia Abramowicz, ténor de viole ; Françoise Enock, basse de viole, violone ; Joël Grare, cloche de bois, castagnettes, tambourin) ; Vincent Dumestre, direction.
Enregistrement : Paris, chapelle de l’hôpital Notre-Dame de Bon Secours, septembre & novembre 1999.
Extrait de l’album : L’humaine comédie / Estienne Moulinié, Le Poème harmonique, Vincent Dumestre. France, Alpha, ℗ 2000.
………
Salamalec o rocoha,
Ia ta fia tihilaca :
Amate liebitz on boch gros,
Car volust & fata vor os.Vor no caba a casana
Et etentas qui piachera,
No quiero bor tangro & qui tab
Sed drinquen sempré gou serab.
Anonyme (XVIIe siècle). Salamalec o rocoha (1638).
………
Françoise Hardy • Les glaces
Françoise Hardy • Les glaces. Étienne Roda-Gil, paroles ; Bernard Estardy, musique.
Françoise Hardy, chant ; Bernard Estardy, production.
Enregistrement : Paris, studio CBE.
Première publication dans les albums : Françoise in French / Françoise Hardy, Afrique du Sud, ℗ 1970 et Soleil ; Je fais des puzzles ; Les glaces… / Françoise Hardy, Brésil, ℗ 1970.
………
Une curiosité : cet enregistrement de Françoise Hardy n’a jamais été publié en France, ni même en Europe. On ne le trouve, en tout et pour tout, que sur deux compilations (qui ont sept chansons en commun, dont Les glaces) parues en 1970, l’une en Afrique du Sud, l’autre au Brésil.
………
Je ne peux plus rien y faire
Quand un beau matin
S’installe dans ma tête claire
Le temps du dédain.
Je vole, je file, je cours, je peine, je fuis
Dans les glaces où je vis.
Dans les profonds miroirs,
Je peine, je cours, je vole, je vis et puis
Je m’expatrie.
J’abandonne ma peau si douce
Et c’est sans espoir
Que je donne mes sourires
Et mon teint d’ivoire.
Je vole, je file, je cours, je peine, je fuis
Dans les glaces où je vis.
Dans les profonds miroirs,
Je peine, je cours, je vole, je vis et puis
Je m’expatrie.
Les glaces froides ravissent
Le fond de mes nuits
Et j’attends l’ombre complice
Qui me dira oui.
Je vole, je file, je cours, je peine, je fuis
Dans les glaces où je vis.
Dans les profonds miroirs,
Je peine, je cours, je vole, je vis et puis
Je m’expatrie.
Je ne peux plus rien y faire,
Quand un beau matin
S’installe dans ma tête claire
Le temps du dédain.
Étienne Roda-Gil (1941-2004). Les glaces (1970, 1ère publication).
………
Carminho • As fontes
Carminho • As fontes. Poème de Sophia de Mello Breyner Andresen ; Carminho, musique (Fado Sophia).
Carminho, chant, production ; André Dias, guitare portugaise ; Flávio César Cardoso, guitare ; Pedro Geraldes, guitare électrique ; Tiago Maia, basse acoustique ; João Pimenta Gomes, mellotron.
Enregistrement : Lisbonne, studio Namouche, mars 2022.
Première publication dans l’album : Portuguesa / Carminho. Portugal, Warner, ℗ 2023.
………
Deuxième extrait de Portuguesa (« Portugaise »), le récent album de Carminho (voir le billet précédent). As fontes (« Les sources ») est encore un choix littéraire : le poème est extrait de Poesia (« Poésie », 1944), le premier recueil publié de Sophia de Mello Breyner Andresen (1919-2004). Carminho a voulu donner à la musique qu’elle a composée pour ce texte un tour de fado traditionnel, allant jusqu’à lui attribuer un nom, comme pour une musique de fado castiço consacrée par la tradition : « Fado Sophia », en hommage à l’une des grandes voix de la poésie portugaise au XXe siècle.
………
Um dia quebrarei todas as pontes
Que ligam o meu ser, vivo e total,
À agitação do mundo do irreal,
E calma subirei até às fontes.
Un jour je briserai tous les ponts
Qui relient mon être, vivant et total,
À l’agitation du monde de l’irréel,
Et, tranquille, je monterai jusqu’aux sources.
Irei até às fontes onde mora
A plenitude, o límpido esplendor
Que me foi prometido em cada hora,
E na face incompleta do amor.
J’irai jusqu’aux sources, où demeure
La plénitude, la limpide splendeur
Dont la promesse résidait dans chaque heure
Et dans le visage incomplet de l’amour.
Irei beber a luz e o amanhecer,
Irei beber a voz dessa promessa
Que às vezes como um voo me atravessa,
E nela cumprirei todo o meu ser.
J’irai boire la lumière et l’aurore,
J’irai boire la voix de cette promesse
Qui parfois, comme un vol, me traverse
Et, en elle, j’accomplirai tout mon être.
Sophia de Mello Breyner Andresen (1919-2004). As fontes, extrait de Poesia (1944). Sophia de Mello Breyner Andresen (1919-2004). Les sources, trad. par L. & L. de As fontes, extrait de Poesia (1944).
………
Carminho • Palma
Carminho • Palma. Poème de David Mourão-Ferreira ; Carminho, musique.
Carminho, chant, production ; André Dias, guitare portugaise ; Flávio César Cardoso, guitare ; Pedro Geraldes, guitare électrique ; Tiago Maia, basse acoustique ; João Pimenta Gomes, mellotron.
Enregistrement : Lisbonne, studio Namouche, mars 2022.
Première publication dans l’album : Portuguesa / Carminho. Portugal, Warner, ℗ 2023.
………
Au début de ce mois, Carminho publiait son sixième album, au titre comme toujours laconique : Portuguesa (« Portugaise »). Au fil de ses enregistrements on la voit abandonner peu à peu sa posture de Sarah Bernhardt du fado et progresser vers un style d’interprétation plus naturel. De ce point de vue, Portuguesa est un pas supplémentaire dans la bonne direction. C’est surtout un très bon album, conçu et réalisé avec intelligence. Beaucoup des musiques sont de Carminho elle-même : toutes sont excellentes, certaines sonnent vraiment comme des fados traditionnels. Telle était certainement l’intention de leur compositrice, qui leur a donné à chacune un nom de fado (« Fado Sophia », Fado flores »), comme pour inviter tout fadiste à les réemployer à sa convenance, selon la coutume. Pour autant Portuguesa ne sent aucunement la naphtaline ni le remugle. En témoigne ce Palma, composé sur un poème de David Mourão-Ferreira (1927-1996), l’un des poètes de prédilection d’Amália. Palma est un choix curieux, tant il ne semble vraiment pas fait pour être interprété en fado. Le résultat est étonnant.
………
Lisas, as costas da mão;
cerrada, rugosa, a palma:
teu corpo deixou-me a alma
na sombra da confusão.
Lisas, as costas da mão:
mas por dentro, lá por dentro,
que labirinto sangrento
as unhas encontrarão!
Lisse, le revers de la main ;
Dense, rugueuse, la paume :
Ton corps m’a laissé l’âme
Dans un trouble obscur.
Lisse, le revers de la main ;
Mais dedans, mais au-dedans,
Quel labyrinthe saignant
Les ongles trouveront !
Ai, quando a palma se alcança!
Ai, quando a alma se acalma!
Na superfície da palma,
que sorrisos de criança!
Ai! quando a palma se alcança,
logo, no dorso da mão,
veias, nervos, mostrarão:
inquietação, desesperança!
Ah, quand la paume se laisse atteindre !
Ah, quand l’âme se rassérène !
Sur l’étendue de la paume,
Quels sourires d’enfant !
Ah ! quand la paume se laisse atteindre,
Sur le dos de la main,
Veines et nerfs bientôt trahissent :
Inquiétude, désespoir !
David Mourão-Ferreira (1927-1996). Palma, 4e poème de O ciclo dos trinta anos, extrait de Os quatro cantos do tempo (1958).
.David Mourão-Ferreira (1927-1996). Paume, trad. par L. & L. de Palma, 4e poème de O ciclo dos trinta anos [« Le cycle des trente années »], extrait de Os quatro cantos do tempo [« Les quatre chants du temps »] (1958).
………
Toc toc
Catherine Sauvage (1929-1998) • On frappe. Jacques Prévert, paroles ; Joseph Kosma, musique.
Catherine Sauvage, chant; accompagnement de piano (instrumentiste non identifié).
Première publication dans l’album : Démons et merveilles / Catherine Sauvage. France, Jacques Canetti, ℗ 1991.
………
Qui est là
Personne
C’est simplement mon cœur qui bat
Qui bat très fort
À cause de toi
Mais dehors
La petite main de bronze sur la porte de bois
Ne bouge pas
Ne remue pas
Ne remue pas seulement le petit bout du doigt.
Jacques Prévert (1900-1977). On frappe, extrait de : Histoires (1946).
………
Les 100 ans de Celeste
On célèbre ces jours-ci le centenaire de la naissance de Celeste Rodrigues, née le 4 mars 1923, non à Lisbonne comme sa sœur aînée Amália, mais au Fundão, dans le centre-est du Portugal. Elle est morte à plus de 95 ans, le 1er août 2018. Une exposition lui est consacrée en ce moment au Muée du Fado, à Lisbonne.
La voici en 2008 — c’est à dire à l’âge de 85 ans —, interprétant à la Mesa de Frades, une célèbre casa de fados de Lisbonne, la fameuse Lágrima (« Larme »), l’un des grands succès de la dernière partie de la carrière d’Amália.
………
Celeste Rodrigues (1923-2018) • Lágrima. Amália Rodrigues, paroles ; Carlos Gonçalves, musique.
Celeste Rodrigues, chant ; Pedro de Castro, guitare portugaise ; Marco Oliveira, guitare ; 1 basse acoustique (instrumentiste non identifié).
Captation : Lisbonne, Mesa de Frades, juin 2008.
Vidéo : Maria Antónia Mendes, 2009 (mise en ligne).
………
Cheia de penas
Cheia de penas me deito
E com mais penas
Com mais penas me levanto.
J’ai le cœur en peine
Lorsque je me couche
Et plus encore
Lorsque je me lève.
No meu peito
Já me ficou no meu peito
Este jeito
O jeito de te querer tanto.
Car dans mon cœur
Dans mon cœur s’est fichée
Cette obsession
Cette obsession de toi.
Desespero
Tenho por meu desespero
Dentro de mim
Dentro de mim um castigo.
Désespoir,
Pour mon désespoir
Je porte en moi
Je porte en moi une malédiction.
Não te quero
Eu digo que não te quero
E de noite
De noite sonho contigo.
Je ne t’aime pas
Je dis que je ne t’aime pas
Mais la nuit
Mes rêves sont pleins de toi.
Se considero
Que um dia hei-de morrer
No desespero
Que tenho de te não ver
Lorsque je pense
Qu’un jour je mourrai
Dans le désespoir
De ne jamais te voir
Estendo o meu xaile
Estendo o meu xaile no chão
Estendo o meu xaile
E deixo-me adormecer.
J’étends mon châle
J’étends mon châle sur le sol
J’étends mon châle
Et j’attends le sommeil.
Se eu soubesse
Se eu soubesse que morrendo
Tu me havias
Tu me havias de chorar
Mais si j’avais
La certitude qu’à ma mort
Tu verserais
Tu verserais pour moi
Uma lágrima
Por uma lágrima
Por uma lágrima tua
Que alegria me deixaria matar.
Une larme,
Pour une larme
Pour une larme de toi
Avec quel bonheur je me laisserais tuer !
Amália Rodrigues (1920-1999). Lágrima (1983).
.Amália Rodrigues (1920-1999). Larme, trad. par L. & L. de Lágrima (1983).
………
En vieillissant, la voix de Celeste est devenue grave et beaucoup plus belle. Son style de chant aussi a changé. Autrefois assez banal, il s’est transformé pour accéder sur le tard à la noblesse d’un véritable art du fado. En atteste cette splendide interprétation de Meu corpo (« Mon corps ») au cours du spectacle Cabelo branco é saudade dans lequel elle tenait compagnie à Ricardo Ribeiro (alors presque inconnu), Argentina Santos et Alcindo de Carvalho. Ce fado appartient au répertoire de Beatriz da Conceição.
………
Celeste Rodrigues (1923-2018) • Meu corpo. José Carlos Ary dos Santos, paroles ; Fernando Tordo, musique.
Celeste Rodrigues, chant ; Bernardo Couto, guitare portugaise ; Diogo Clemente, guitare ; Nando Araujo, basse acoustique.
Captation : Porto, Teatro nacional São João, juillet 2005. Extrait du spectacle Cabelo branco é saudade, concept & direction Ricardo Pais, avec Argentina Santos, Celeste Rodrigues, Alcindo de Carvalho et Ricardo Ribeiro.
Vidéo : Extrait du DVD Cabelo branco é saudade. Portugal, Promo Music, ℗ 2005.
………
Meu corpo é um barco sem ter porto
Tempestade no mar morto, sem ti
Meu corpo é apenas um deserto
Quando não me encontro perto de ti.Mon corps est un navire sans attache
Une tempête dans une mer morte, sans toi
Mon corps n’est rien d’autre qu’un désert
Lorsque je ne me trouve pas près de toi.
Teus olhos são memórias do desejo
São as praias que eu não vejo, em ti
Meus olhos são as lágrimas do Tejo
Onde eu fico e me revejo, sem ti.
Tes yeux sont les souvenirs du désir
Et ces plages que je ne vois pas, en toi
Mes yeux sont les larmes du Tage
Où je me tiens et me revois, sans toi.
Refrain
Quem parte de tão perto nunca leva
A saudade da partida
E as amarras de quem sofre
Quem fica é que se lembra toda a vida
Das saudades de quem parte
E dos olhos de quem morre.
Refrain
Celui qui part n’emporte pas
La douleur de la séparation
Ni les amarres de celui qui souffre
Celui qui reste porte en soi toute sa vie
Le manque de celui qui part
Et les yeux de celui qui meurt.
Não sei se o orgulho da tristeza
Nos dói mais do que a pobreza, não sei
Mas sei que estou para sempre presa
À ternura sem defesa, que eu dei.
J’ignore si l’orgueil de la tristesse
Nous fait plus mal que la pauvreté
Mais je sais que pour toujours je suis liée
À cette tendresse que j’ai donnée sans compter.
Sózinha numa cama que é só minha
Espero o teu corpo que eu tinha, só meu
Se ouvires o chorar duma criança
Ou o grito da vingança, sou eu.
Seule, dans un lit qui n’est plus qu’à moi
J’attends ton corps, que j’avais pour moi.
Si tu entends les sanglots d’un enfant
Ou un cri de vengeance, c’est moi.
Sou eu, de cabelo solto ao vento
Com olhar e pensamento, no teu
Sou eu na raíz do pensamento
Contra ti e contra o tempo, sou eu.
C’est moi, les cheveux au vent
Les yeux et la tête pleins de toi
C’est moi, à la racine de la souffrance
Contre toi et contre le temps, c’est moi.
José Carlos Ary dos Santos (1937-1984). Meu corpo.
.José Carlos Ary dos Santos (1937-1984). Mon corps, trad. par L. & L. de Meu corpo.
………