Maria Teresa de Noronha • Fado antigo
Maria Teresa de Noronha (1918-1993) • Fado antigo. João do Carmo Noronha, paroles & musique.
Maria Teresa de Noronha, chant ; Raul Nery & António Chainho, guitare portugaise ; Joaquim do Vale, guitare ; Joel Pina, basse acoustique.
Extrait de l’album Fado antigo / Maria Teresa de Noronha. Enregistrement : Paço de Arcos (Portugal), studios Valentim de Carvalho, 1971. Portugal, ℗ 1972.
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Encore une fois Maria Teresa de Noronha, dont le visage, sur cette photo, évoque à la fois Ingrid Bergman (période Rossellini) et la célèbre reine Elisabeth 2 d’Angleterre. Ses extraordinaires qualités de chanteuse sont particulièrement flagrantes dans ce Fado antigo enregistré en 1971, à la fin de sa carrière. On est émerveillé — surtout si on ne comprend pas le portugais, ou si on fait complètement abstraction des paroles, assez faibles.
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Corria a vida, voava
Surgiste no meu caminho
E o tempo quando passava
Passava devagarinho
La vie passait, le temps courait.
Tu es apparu sur mon chemin
Et le temps, quand il passait,
Prenait son temps.
Antes ceguinha ficasse
Naquela maldita hora
Se em vez de ver-te cegasse
Sofria menos agora
Que n’ai-je été frappée de cécité
À ce maudit instant !
Si, au lieu de te voir, j’étais aveugle
Je souffrirais moins à présent.
Jurei há muito esquecer-te
E a jura tão bem cumpri
Que não te esqueço a pensar
Que me hei-de esquecer de ti
J’ai juré de t’oublier
Et je suis si fidèle à mon serment
Qu’à force de penser que je dois t’oublier
Je ne t’oublie pas.
Chorai guitarras, chorai
Acompanhem meu sentir
Que eu também choro e não tenho
Ninguém que me queira ouvir
Pleurez, guitares, pleurez,
Accompagnez mon malheur,
Car moi aussi je pleure
Sans personne pour m’écouter.
João do Carmo Noronha. Fado antigo (1971).
.João do Carmo Noronha. Fado ancien, trad. par L. & L. de Fado antigo (1971).
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Admirable interprétation en effet.
Je suis frappé également de la proximité de ce « Fado antigo » avec le « Fado corrido » de Coimbra : même profil mélodique et même rythme syncopé caractéristique. Malgré une vocalité très différente et un répertoire de sérénades bien éloigné du ton lisboète, certaines pièces paraissent suggérer que les deux traditions ont pu autrefois communiquer, ou possèdent peut-être une origine commune.
Mais oui, vous avez tout à fait raison ! Je n’avais pas fait ce rapprochement… Il faut enquêter.
Une première hypothèse serait la suivante : le « fado corrido » est plutôt une forme lisboète, qui a pu être « importée » à Coimbra. Cela dit, la base rythmique du « Corrido de Coimbra », moins rapide que celle des « corridos » de Lisbonne, évoque plutôt celle du « Mouraria », vous ne trouvez pas ? Idem d’ailleurs du « Fado antigo » de Maria Teresa de N., dont la mélodie, par un juste retour des choses, aurait en effet pu être inspirée de celle du « Corrido de Coimbra ». Je ne sais pas.
Bravo en tout cas pour avoir relevé la ressemblance !
Merci ! Je dois dire que le sujet me trotte dans la tête depuis que j’ai entendu Rui Vieira Neiry évoquer à la RTP l’importance de la rythmique syncopée dans le fado, qui aurait d’après lui une origine brésilienne (et qui rappelle, comme on l’oublie souvent, que le fado à l’origine était aussi dansé).
Je me suis rendu compte alors que certains fados de Coimbra, en particulier les plus traditionnels, possédaient ce même profil rythmique : le Corrido, mais aussi le fado Hilario, qui alterne des moments de sérénade avec des passages syncopés selon le même schéma (par ailleurs, l’introduction de guitare du « Corrido » de Coimbra rappelle celle du « Menor » lisboète, qu’on aurait pour ainsi dire électrifié).
L’hypothèse d’une « importation » me paraît en effet la plus vraisemblable, la danse lisboète se trouvant ainsi « gentrifiée » à Coimbra, et mêlée aux traditions belcantistes qui y avaient cours. Malgré cette transformation vocale, il me semble que la persistance de l’identité rythmique justifie que l’on utilise le terme de fado pour désigner au moins une partie du répertoire de Coimbra. Peut-être est on amené à conclure qu’avant d’être une vocalité, le fado est d’abord un rythme, et l’art du fadiste, celui de savoir (s’)en jouer ?
Quant à ce fado antigo, il se peut qu’il y ait eu en effet une influence en retour, à moins que le compositeur ait choisi de donner à sa mélodie un profil archaïsant (« antigo ») qui l’ait rapproché par hasard de cet ancien fado de Coimbra.
Excusez-moi pour ce roman, mais je trouve le sujet passionnant, et digne d’un billet !
Superbe l’interprétation mais ne parlons plus de la reine d’Angleterre car je frise l’overdose 🤪 !
Et encore, j’ai renoncé à ajouter : …récemment décédée, vous l’avez peut-être appris.