Eurovisão
- Voir aussi le billet : Salvador Sobral | Amar pelos dois
Il n’y a pas de sondages avant l’Eurovision. Il y a les classements établis par les bookmakers tout au long des semaines, des mois même, qui précèdent l’événement. Ces listes se constituent dès l’annonce des premières sélections, vers janvier, et ne fluctuent guère jusqu’au début des répétitions sur le lieu, sur la scène même, du concours. Dès ce moment tout peut changer, des favoris dériver, des outsiders s’insinuer dans les premières places. Quoi qu’il en soit l’état des cotes tel qu’il s’était fixé juste avant les deux demi-finales (qui se sont déroulées cette semaine à Kiev) en a préfiguré les résultats d’une manière assez convenable.
La finale a lieu ce soir. L’Italie a constamment tenu le premier rang des pronostics dès l’annonce, par le vainqueur du Festival de Sanremo 2017, le Toscan Francesco Gabbani, qu’il acceptait de représenter son pays à l’Eurovision avec son étonnant Occidentali’s karma (voir ci-dessous). Avec lui dans le groupe de tête — mais derrière lui : la Suède et la Bulgarie avec des chansons et des mises en scène typiquement « Eurovision », c’est à dire sans intérêt, sans utilité en dehors de ce contexte.
Or voici que le Portugal, représenté par l’inattendu Salvador Sobral et sa chanson Amar pelos dois, qui montait doucement dans l’estime des parieurs depuis une dizaine de jours, s’est hissé hier à la première place des pronostics (quoique de justesse).
Salvador Sobral, grand garçon qui s’exprime autant par sa gestuelle que par un chant absolument dépourvu d’artifice, a manqué la première semaine de répétitions à Kiev pour raisons de santé. Sa sœur Luísa (l’autrice et compositrice de la chanson) a été son homme de paille au cours des séances de réglage des éclairages, des cadrages etc. Elle chantait à sa place. Aucune scénographie à ajuster : il chante sur une petite scène annexe, devant un micro fixe, comme au Festival da canção. Le voici lors de sa demi-finale de mardi :
Salvador Sobral | Amar pelos dois. Luísa Sobral, paroles et musique.
Salvador Sobral, chant ; accompagnement d’orchestre.
Vidéo : Concours Eurovision de la chanson 2017, 1re demi-finale, 9 mai 2017 (extrait). Production : European Broadcasting Union, 2017.
Arrivé à Kiev il y a moins d’une semaine, il a découvert avec un certain effarement les coulisses frénétiques de ce qui est devenu, paraît-il, le spectacle télévisuel non sportif le plus suivi au monde. Fan zone en ville comme pour une coupe du monde de foot, inauguration fastueuse à laquelle les délégations se rendent en cortège au long d’un interminable tapis rouge bordé de photographes pour lesquels il faut poser, de micros dans lesquels il faut répondre chaque fois aux mêmes questions. Il faut vraiment endurer ça ?
Le lieu du spectacle lui-même : une halle immense où une scène démesurée, bourrée d’électronique, a été construite, et avec ça une salle de presse, des loges pour les artistes des 42 pays participants, des policiers partout. Des concurrents plus ou moins doués, plus ou moins sympathiques, prenant parfois la compétition très au sérieux. Des mises en scène extravagantes, incroyables, tout ça pour trois minutes exactement sur scène pour chacun, pas une seconde de plus, et des chansons qui, pour la plupart, ne valent même pas la peine qu’on les écoute.
Il a dit qu’il ne s’attendait pas à un tel cirque.
La chanson de Gabbani lui plaît, il l’a dit aussi.
C’est surtout le texte d’Occidentali’s karma qui est remarquable, son ton sarcastique et ses références à Shakespeare par ci, à l’essai Le singe nu de Desmond Morris par là, à Marx (Karl), Héraclite (la formule « panta rhei ») et autres. Mais c’est probablement sa musique pop et ses arrangements bien fichus qui ont valu au clip officiel de dépasser les 100 millions de visualisations sur YouTube.
Qui va gagner ? Peut-être aucun des deux finalement. Ça leur sera probablement égal, à l’un comme à l’autre.
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Francesco Gabbani | Occidentali’s karma. Francesco Gabbani, Fabio Ilacqua et Luca Chiaravalli, paroles ; Francesco Gabbani, Filippo Gabbani et Luca Chiaravalli, musique.
Francesco Gabbani, chant ; accompagnement d’orchestre.
Vidéo : Festival di Sanremo 2017, 11 février 2017 (extrait). Production : Italie, RAI 1, 2017.
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Essere o dover essere
Il dubbio amletico contemporaneo
Come l’uomo del neolitico
Nella tua gabbia 2×3 mettiti comodo
Intellettuali nei caffè, internettologi
Soci onorari del gruppo dei selfisti anonimi.
Être ou devoir être :
Le doute hamlétique contemporain.
Comme l’homme du néolithique,
Mets-toi à l’aise dans ta niche de 2 m sur 3.
Intellectuels de comptoir, internettologues,
membres d’honneur de l’association des selfistes anonymes. L’intelligenza è démodé
Risposte facili, dilemmi inutili
Cercasi
Storie dal gran finale
Sperasi
Comunque vada, panta rei
And singing in the rain.
L’intelligence est démodée.
Réponses faciles, dilemmes inutiles…
Cherche
histoires grandioses
(si possible).
De toute façon : panta rhei
and Singing in the rain. Lezioni di Nirvana
C’è il Buddha in fila indiana
Per tutti un’ora d’aria, di gloria
La folla grida un mantra
L’evoluzione inciampa
La scimmia nuda balla
Occidentali’s karma
La scimmia nuda balla
Occidentali’s karma!
Cours de Nirvana,
voici Bouddha en file indienne :
pour tous une heure d’oxygène, de gloire.
La foule crie un mantra,
l’évolution trébuche
et le singe nu danse.
Occidentaux’s karma
Le singe nu danse
Occidentaux’s karma ! Piovono gocce di Chanel
Su corpi asettici
Mettiti in salvo
Dall’odore dei tuoi simili
Tutti tuttologi col web
Coca dei popoli
Oppio dei poveri
Cercasi
Umanità virtuale
Sex appeal
Comunque vada, panta rei
And singing in the rain
Il pleut des gouttes de Chanel
sur des corps ascétiques
Protège-toi bien
de l’odeur de tes semblables !
Tous toutologues grâce au Web,
cocaïne du peuple,
opium du pauvre.
Cherche
humanité virtuelle,
sex appeal.
De toute façon : panta rhei
and Singing in the rain. Quando la vita si distrae
cadono gli uomini…
Occidentali’s karma
La scimmia si rialza
Namastè! Alè!
Quand la vie est distraite
les hommes trébuchent…
Occidentaux’s karma
Mais le singe se relève
Namaste ! Allez ! …… Francesco Gabbani, Fabio Ilacqua et Luca Chiaravalli.
Occidentali’s karma.Francesco Gabbani, Fabio Ilacqua et Luca Chiaravalli.
Occidentali’s karma. Traduction L. & L.
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Super ! C’est bien Salvador Sobral qui reprend du Dorival Caimmy, non ? C’est Lula Pena mon coup de coeur cette année, mais j’aime bien aussi. Viva a gerigonça !
Je voulais écrire « Caymmi » 😉
Bravo. Quel flair ! je me suis retrouvée devant l’écran à guetter les résultats et à assister, incrédule, à cette orgie de paillettes et musique hormonée…. Mais voila, miracle ! la grâce et la simplicité l’ont emporté portées par Salvador et sa soeur, leur grâce et simplicité.
Un miracle comme il en arrive parfois.
Je me trompe où bien, il l’a chanté avec une espèce de désinvolture voire de dérision ?
ou de « n’importe quoi » face à ce cirque baroque? Il a fait sourire sa soeur non ?
Ce fut une belle revanche intime pour quelques uns non ?
Merci encore de nous avoir aiguiller vers cet Objet chantant non identifié.
C’est une très belle chanson pleine de coeur et d’intensité. A des lieux de ce qui fut proposé.
Le plus étonnant, c’était cette quasi unanimité aussi bien des jurys « professionnels » que du public.
J’ai aimé aussi la manière dont il a accueilli cette victoire, avec simplicité et sans chauvinisme national. Un simple « Um abraço a Portugal » plein d’affection avant de rechanter sa chanson.