Amália Rodrigues • Fado português
Constantino Fernandes (1878 – 1920). O marinheiro (1913). Museu do Chiado, Lisbonne
………
Fado português (« Fado portugais ») est l’unique poème du romancier, poète et essayiste José Régio (1901-1969) qu’ait chanté Amália Rodrigues. Encore ce poème, qui date de 1941, n’a-t-il pas été écrit pour elle et elle n’en chante d’ailleurs qu’une partie. C’est Alain Oulman, le compositeur français avec qui elle collaborait depuis la fin des années 1950, qui a obtenu du poète l’autorisation d’en mettre quelques fragments en musique à l’intention de la fadiste. Régio et lui sont tombés d’accord sur le choix des strophes et sur le principe de la répétition de l’une d’elle (« Ai, que lindeza tamanha… ») à la fin du fado, comme un refrain.
Fado português évoque le mythe de l’origine maritime du Fado, qui serait né de la solitude des marins portugais parcourant les océans du monde et dont les racines seraient donc associées de longue date à l’histoire du Portugal. Ce type de récit, poétique mais privé de tout fondement historique, pourrait passer pour de la complaisance à l’égard d’un pouvoir nationaliste comme l’était l’Estado novo. Pour autant ni Alain Oulman ni José Régio (co-fondateur de la revue Presença, l’une des plus importantes revues littéraires portugaises du XXe siècle, liée au Modernisme et qui comptait parmi ses collaborateurs Miguel Torga ou encore les peintres Maria Helena Vieira da Silva et Árpád Szenes), n’étaient aucunement favorables au régime salazariste.
Ce fado donne son titre au deuxième album composé essentiellement de musiques d’Alain Oulman : Fado português (1965).
………
Amália Rodrigues (1920-1999) • Fado português. José Régio, paroles ; Alain Oulman, musique.
Amália Rodrigues, chant ; Domingos Camarinha, guitare portugaise ; Castro Mota, guitare classique.
Vidéo : production RTP [Rádio e Televisão de Portugal]. Portugal, années 1960 (1964?).
………
O Fado nasceu um dia
Quando o vento mal bulia
E o céu o mar prolongava
Na amurada dum veleiro
No peito dum marinheiro
Que, estando triste, cantava.
Le Fado est né un jour
Où le vent soufflait à peine
Et où le ciel prolongeait la mer,
Au bastingage d’un voilier,
Dans le cœur d’un marin
Qui était triste et chantait.
Ai, que lindeza tamanha
Meu chão, meu monte, meu vale
De folhas, flores, frutos de oiro
Vê se vês terras de Espanha
Areias de Portugal
Olhar ceguinho de choro!
Ah, quelle immense beauté,
Ma terre, ma montagne, ma vallée,
Feuilles, fleurs, fruits d’or !
Vois si tu aperçois les côtes d’Espagne,
Les plages du Portugal,
Regard aveuglé de larmes !
Na boca dum marinheiro
Do frágil barco veleiro
Morrendo a canção magoada
Diz o pungir dos desejos
Do lábio a queimar de beijos
Que beija o ar, e mais nada.
Dans la bouche d’un matelot
Sur le frêle voilier,
La douloureuse chanson qui se meurt
Dit la morsure du désir
Sur les lèvres brûlantes de baisers
Qui ne reçoivent que le baiser du vent.
Mãe, adeus. Adeus, Maria
Guarda bem no teu sentido
Que aqui te faço uma jura
Que ou te levo à sacristia
Ou foi Deus que foi servido
Dar-me no mar sepultura.
Mère, adieu. Adieu Maria
Garde bien dans ta mémoire
Ce serment que je te fais :
Je te mènerai à la sacristie
À moins qu’il plaise à Dieu
De faire de la mer ma sépulture.
Ora eis que embora outro dia
Quando o vento nem bulia
E o céu o mar prolongava
À proa de outro veleiro
Velava outro marinheiro
Que, estando triste, cantava.
Or voici qu’un autre jour
Où le vent soufflait à peine
Et le ciel prolongeait la mer,
À la proue d’un autre voilier
Veillait un autre marin
Qui était triste et chantait.
José Régio (1901 -1969). Fado português (1941).
.
José Régio (1901 -1969). Fado portugais, traduit de : Fado português (1941) par L. & L.
………
Amália Rodrigues (1920-1999) • Fado português. José Régio, paroles ; Alain Oulman, musique.
Amália Rodrigues, chant ; Domingos Camarinha, guitare portugaise ; Castro Mota, guitare classique.
Enregistrement : studio Valentim de Carvalho (Paço de Arcos, Portugal), 1964.
Première publication : album Fado português. Portugal : Edições Valentim de Carvalho, 1965.
………
Juste pour l’histoire littéraire, les deux vers « Vê se vês terras d’Espanha / Areias de Portugal », qui font comme un refrain à ce magnifique fado, sont en réalité une citation d’un « romance » traditionnel bien connu au Portugal et au Brésil : « A nau Catrineta ». Le capitaine d’un navire perdu en mer demande cela à l’un de ses matelots, qui s’avèrera en fait être le diable déguisé… Celui-ci tente d’obtenir l’âme du capitaine contre l’espoir d’un retour sur la terre ferme. Le capitaine refuse et ce geste lui vaut la miséricorde divine, un ange sauvant le navire du désastre et le ramenant à bon port.
Merci de le préciser !
Cela pourrait faire la matière d’un billet, d’ailleurs.
Bonne soirée !
« Nau Catrineta » est aussi un long poème d’ Almeida Garett (que l’on apprend à l’école un peu comme une comptine) où se répète effectivement la référence : « as terras de Espanha » et « as aerias do Portugal «