Bidú Sayão | Toi, le cœur de la rose (Ravel, L’enfant et les sortilèges)
Ce pourrait être à l’occasion de Noël, ou parce que les journées sont courtes, les plus courtes de l’année. C’est une pièce très courte, merveilleuse : l’une des plus belles pages de L’enfant et les sortilèges, « fantaisie lyrique » de Maurice Ravel sur un livret de Colette, créée en 1925.
On l’entend ici par Bidú Sayão (1902-1999), cantatrice brésilienne dont la carrière, après des débuts européens, s’est principalement déroulée aux États-Unis. C’est elle qui chante dans le premier enregistrement, réalisé en 1945, de la célèbre aria de la Bachiana brasileira no. 5 de Villa-Lobos.
Elle donne ce Toi, le cœur de la rose accompagnée simplement au piano, dans un français remarquablement articulé. L’air se situe à peu près au milieu de l’œuvre, après que l’Enfant, vexé d’avoir été puni pour n’avoir pas fait ses devoirs et « éclaboussé d’encre le tapis », fait passer sa rage sur ce qui se trouve à sa portée : la tasse, la théière, le chat, la bouilloire, l’écureuil dans sa cage, l’horloge, le papier peint, les livres. Tandis qu’il s’effondre, épuisé de colère, toutes ses victimes s’animent l’une après l’autre et lui parlent, jusqu’à La Princesse du conte merveilleux, déchirée dans le livre mis en pièces : voici l’Enfant soudain seul, avec « un reflet d’or et les débris d’un rêve ».
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Bidú Sayão (1902-1999) | Toi, le cœur de la rose, extrait de L’enfant et les sortilèges. Maurice Ravel, musique ; Colette, livret.
Bidú Sayão, soprano ; Milne Charnley, piano.
Enregistré le 23 juin 1947. Première publication : États-Unis, 1949. ℗ Sony BMG Music Entertainment.
L’ENFANT (seul et désolé, à mi-voix)
Toi, le cœur de la rose,
Toi, le parfum du lys blanc,
Toi, tes mains et ta couronne,
Tes yeux bleus et tes joyaux…
Tu ne m’as laissé, comme un rayon de lune,
Qu’un cheveu d’or sur mon épaule,
Un cheveu d’or… et les débris d’un rêve…(Il se penche, et cherche parmi les feuillets épars la fin du conte de Fées, mais en vain… Il cherche…)
Sidonie-Gabrielle Colette, dite Colette (1873-1954). L’enfant et les sortilèges, livret pour la « fantaisie lyrique » de Maurice Ravel (extrait).