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Amália Rodrigues • Lisboa não sejas francesa

6 juin 2020

Amália Rodrigues (1920-1999)Lisboa, não sejas francesa. José Galhardo, paroles ; Raul Ferrão, musique.
Amália Rodrigues, chant ; Domingos Camarinha, guitare portugaise ; Santos Moreira, guitare.
Enregistrement : New York (États-Unis), mars 1954.
États-Unis, Angel Records ℗ 1954, puis Portugal, Valentim de Carvalho, ℗ 1955.

Amália Rodrigues, dont Lisboa, não sejas francesa (« Lisbonne, ne sois pas française ») a été un des plus grands succès dans les années 1955 et suivantes, n’en est pourtant pas la créatrice. Cette marche rapide est tirée d’une « opérette romantique en deux actes et douze tableaux » de 1944 intitulée A Invasão (« L’invasion »), donnée à partir de février 1945 à Lisbonne, au théâtre Maria Vitória. L’intrigue se déroule sur fond de la première invasion du Portugal par les troupes françaises du général Junot en 1807 et 1808 – un thème assez étrange vu l’époque et le contexte de la création du spectacle. Il est vrai que le Portugal était officiellement neutre durant la Seconde guerre mondiale.

La vedette en était Mirita Casimiro (1914-1970), une actrice et chanteuse alors en pleine ascension mais qui connaîtra ensuite une destinée tragique. Affreuse. Elle y tenait un rôle à transformations et changements de costumes ultra-rapides : celui de deux sœurs, l’une se laissant volontiers courtiser par les officiers français, l’autre patriote intransigeante. Lisboa, não sejas francesa, chantée au second acte par la patriote à la frivole, était le clou de ce spectacle qui est alors resté deux ans à l’affiche.

Mirita Casimiro n’a jamais enregistré la chanson sur disque, laissant le champ libre à Amália Rodrigues qui l’a gravée en 1954, en même temps que Barco negro et Solidão, les deux chansons de la bande originale du film Les amants du Tage d’Henri Verneuil, sorti en 1955. Des mêmes auteurs (Raul Ferrão, musique et José Galhardo, paroles) elle avait déjà mis à son répertoire le célèbre Coimbra, connu en France sous le titre Avril au Portugal.

On trouvait il y a quelques mois sur le site de l’INA un extrait d’une émission de la télévision française datant vraisemblablement du début des années 1960 (1963 ?) montrant Amália, accompagnée de Domingos Camarinha à la guitare portugaise et de Castro Mota à la guitare, superbement filmée, chantant avec une grâce et une expressivité inouïes ce Lisboa não sejas francesa qu’elle transcende absolument. Il faut entendre et voir, par exemple, quelle nuance de dédain elle imprime au mot « Paris » dans le passage « Lisbonne, quelle mauvaise idée […] d’épouser Paris ! ». Une copie de cette vidéo est encore visible, du moins au moment où ce billet s’écrit, sur un compte Facebook intitulé Lágrimas de Portugal [lien vers la vidéo].


Não namores os franceses,
Menina Lisboa!
Portugal é meigo, às vezes,
Mas certas coisas não perdoa!
Vê-te bem no espelho
Desse honrado velho!
Que o seu belo exemplo atrai!
Vai, segue este leal conselho:
Não dês desgostos ao Teu Pai!

Ne badine pas avec les Français,
Lisbonne, ma petite !
Le Portugal a beau être gentil,
Il y a des choses qu’il ne pardonne pas.
Regarde-toi bien au miroir
De ce noble vieillard,
Et que son exemple t’inspire !
Allons, suis ce juste conseil :
Ne fais pas de peine à ton père !

Lisboa, não sejas francesa!
Com toda a certeza
Não vais ser feliz!
Lisboa, que ideia daninha,
Vaidosa alfacinha,
Casar com Paris!
Lisboa, tens cá namorados
Que dizem, coitados,
Co’as almas na voz:
Lisboa, não sejas francesa!
Tu és portuguesa!
Tu és só p’ra nós!

Lisbonne, ne sois pas française,
Car à coup sûr
Tu ne seras pas heureuse.
Lisbonne, quelle mauvaise idée
Coquette « alfacinha* »
D’épouser Paris !
Lisbonne, ici tu ne manques pas d’amoureux
Qui te disent, pauvres d’eux,
Le cœur au bord des lèvres :
« Lisbonne, ne sois pas française
Tu es portugaise
Tu nous appartiens ! »

Tens amor às lindas fardas,
Menina Lisboa?
Vê lá tu p’ra quem te guardas!
Donzela sem recato, enjôa!
Tens aí tenentes,
Bravos e valentes,
Nados e criados cá!
Vá, tenha modos mais decentes,
Menina caprichosa e má!

Tu aimes les beaux uniformes,
Lisbonne, ma petite ?
Songe à l’homme à qui tu te destines.
Une jeune fille immodeste n’inspire que dégoût.
Il ne manque pas de lieutenants
Valeureux et braves
Qui sont nés et ont grandi ici.
Allons, prends des manières plus décentes,
Capricieuse et méchante enfant !
José Galhardo (1905-1967). Lisboa, não sejas francesa (1945).
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José Galhardo (1905-1967). Lisbonne, ne sois pas française, trad. par L. & L. de Lisboa, não sejas francesa (1945).
*Alfacinha (littéralement : « petite laitue ») est le surnom traditionnel des Lisboètes.

Alors que Lisbonne semble aujourd’hui de plus en plus livrée aux touristes étrangers au détriment des Lisboètes qui, pour des raisons économiques, désertent les quartiers anciens comme Alfama, Graça, Bairro alto et autres, Lisboa, não sejas francesa a connu ces dernières années de nouvelles reprises, que ce soir de la part de Mísia, de Mariza ou encore d’António Zambujo et Mayra Andrade (dans l’album collectif Amália : les voix du fado, 2015). Autre signe de la vitalité de cette chanson : son détournement en Lisboa, não sejas racista (« Lisbonne, ne sois pas raciste ») par le duo queer Fado Bicha. Voir le billet Actualité de la saudade. 3. Fado Bicha.

António Zambujo & Mayra AndradeLisboa, não sejas francesa. José Galhardo, paroles ; Raul Ferrão, musique.
António Zambujo & Mayra Andrade, chant ; Bernardo Couto, guitare portugaise ; Ricardo Cruz, basse portugaise ; José Conde, clarinette ; João Moreira, trompette.
Enregistrement : Lisbonne (Portugal), studio Valentim de Carvalho, 28 avril 2015.
France, ℗ 2015.

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