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Le grand Lustucru

16 novembre 2020

C’est le grand Lustucru qui passe
Et c’est moi qu’il vient chercher
Moi, parce que ce soir je ne dors guère
Moi, parce que ce soir je ne dors pas !
Roger Fernay (1905-1983) & Jacques Deval (1890-1972). Le grand Lustucru, d’après Le grand Lustukru, chanson populaire (France, XVIIe siècle ?) recueillie par Théodore Botrel (1868-1925). Fait partie de Marie Galante, pièce de théâtre de Jacques Deval.

Il passe, le grand Lustucru.

Si encore il ne faisait que passer…

Cathy Berberian (1925-1983)Le grand Lustucru. Roger Fernay & Jacques Deval, paroles, d’après Le Grand Lustukru, chanson populaire recueillie par Théodore Botrel ; Kurt Weill, musique ; Luciano Berio, adaptation. Extrait de la pièce de théâtre Marie Galante (1934), de Jacques Deval (1890–1972), d’après son roman éponyme (1931).
Cathy Berberian, mezzo-soprano ; Juilliard Ensemble ; Luciano Berio, direction.
Enregistrement : New York (États-Unis), Webster Hall, 21 décembre 1968.
Extrait de l’album Recital 1 for Cathy ; Folk songs ; Songs / Cathy Berberian. ℗ 1995.

Cathy Berberian (1925-1983) a enregistré plusieurs versions du Grand Lustucru. Celle ci-dessus est l’arrangement réalisé spécialement pour elle par Luciano Berio (1925-2003) – qui fut un temps son mari.

Le grand Lustucru est l’une des chansons composées par Kurt Weill, lors de son court exil parisien, pour une pièce de théâtre de Jacques Deval (1890-1972) intitulée Marie Galante (1934). La pièce conte la triste destinée de Marie, une jeune Bordelaise embarquée contre son gré sur un cargo qui fait route vers l’Amérique. Elle échoue au Panama où elle n’aura d’autre issue pour survivre que de se prostituer, tout en économisant dans l’espoir de regagner Bordeaux où elle ne reviendra que morte.

Lors de la création, le 22 décembre 1934, le rôle de Marie était tenu par Florelle (1898-1974) [voir le billet précédent : Florelle • À la belle étoile]. Un enregistrement du Grand Lustucru et des autres chansons de Marie Galante en témoigne. Bien que réalisé quelques jours avant la première de la pièce, on y a substitué un arrangement instrumental de Wal-Berg à l’original de Kurt Weill.

Florelle (1898-1974)Le grand Lustucru. Roger Fernay & Jacques Deval, paroles, d’après Le Grand Lustukru, chanson populaire recueillie par Théodore Botrel ; Kurt Weill, musique. Extrait de la pièce de théâtre Marie Galante (1934), de Jacques Deval (1890–1972), d’après son roman éponyme (1931).
Florelle, chant ; accompagnement d’orchestre ; Wal-Berg, direction et arrangements.
Enregistrement : France, 15 décembre 1934. Publication : France, DL 1940.

Or, le Grand Lustucru de Marie Galante s’inspire largement d’une chanson traditionnelle qui remonterait au XVIIe siècle, reprise par Théodore Botrel (1868-1925), le « barde breton » (dont, étant petit, j’ai entendu chanter La Paimpolaise à chaque réunion de famille et autres, jusqu’à l’écœurement).  Paroles atroces : « Le grand Lustukru […] a faim et mangera, crus-tout-vifs, sans pain ni beurre, tous les petits gâs qui ne dorment pas. » Une partition de la chanson publiée à Paris en 1900 par Georges Ondet porte l’énoncé suivant en complément du titre : « Chanson d’Enfant de Théodore Botrel, Sur un Vieil air chanté par Mme G. Collier et recueilli par Th. Botrel ». On endormait les enfants par la menace et l’effroi en ce temps-là.

En voici une version des années 1930, suivie de celle, très étonnante, de Colette Magny (1926-1997), autrice-compositrice-interprète, l’une des voix les plus singulières de la chanson française des années 1960 à 1990, inspirée par le blues. Puis une troisième, délicieuse, par l’artiste belge Marianne Pousseur.

Renée Viala (active dans les années 1930-1940)Le grand Lustukru. Chanson du XVIIe siècle (France), recueillie et arrangée par Théodore Botrel.
Renée Viala, chant ; orchestre Guttinguer.
Pas d’indication de date.

Colette Magny (1926-1997)Le grand Lustukru. Chanson du XVIIe siècle (France), recueillie et arrangée par Théodore Botrel.
Colette Magny, chant.
Première publication dans l’album Berceuses du monde entier / Colette Magny, Talila, Marina Vlady, Brenda Wootton, Naomi Moody. France, Le Chant Du Monde, ℗ 1983.

Marianne PousseurLustukru. Chanson du XVIIe siècle (France), recueillie par Théodore Botrel ; Marianne Pousseur, adaptation.
Marianne Pousseur, chant ; Maxime Echardour, percussions ; Diederick De Cock, production, enregistrement & mixage.
Enregistrement : Molenbeek (Belgique), École communale N°7.
Extrait de l’album Only / Marianne Pousseur. Belgique, Sub Rosa, ℗ 2016.


Version Marie Galante

Quel est donc, dedans la plaine,
Ce grand bruit, qui vient jusqu’à nous ?
On dirait un bruit de chaînes
Que l’on traîne, que l’on traîne
Que l’on traîne sur les cailloux

C’est le grand Lustucru qui passe
C’est le grand Lustucru qui mangera
Tous les petits gars qui ne dorment guère
Tous les petits gars qui ne dorment pas

Quel est donc sur la rivière
Ce grand bruit qui vient jusqu’ici ?
On dirait un bruit de pierres
Que l’on jette, que l’on jette
Que l’on jette dedans un puits

C’est le grand Lustucru qui passe
C’est le grand Lustucru qui mangera
Tous les petits gars qui ne dorment guère
Tous les petits gars qui ne dorment pas

L’angélus sonne sur Ballanches
Un pigeon tombe du clocher
Quel est donc ce bruit de branches
Que l’on traîne, que l’on traîne
Que l’on traîne sur le plancher ?

C’est le grand Lustucru qui passe
Et c’est moi qu’il vient chercher
Moi, parce que ce soir je ne dors guère
Moi, parce que ce soir je ne dors pas !

Roger Fernay (1905-1983) & Jacques Deval (1890-1972). Le grand Lustucru, d’après Le Grand Lustukru, chanson populaire (France, XVIIe siècle ?) recueillie par Théodore Botrel (1868-1925). Fait partie de Marie Galante, pièce de théâtre de Jacques Deval.


Version Botrel

Entendez-vous dans la plaine
Ce bruit venant jusqu’à nous ?
On dirait un bruit de chaîne
Se traînant sur les cailloux :
C’est le grand Lustukru qui passe,
Qui repasse et s’en ira,
Emportant dans sa besace
Tous les petits gâs
Qui ne dorment pas !
Lon lon la,
Lon lon la,
Lon lon la,
Lire la,
Lon la !

Quelle est cette voix démente
Qui traverse nos volets ?
Non, ce n’est pas la tourmente
Qui joue avec les galets :
C’est le grand Lustrukru qui gronde
Qui gronde… et bientôt rira
En ramassant à la ronde
Tous les petits gâs
Qui ne dorment pas !
Lon lon la,
Lon lon la,
Lon lon la,
Lire la,
Lon la !

Qui donc gémit à la porte
Dans l’enclos, tout près d’ici ?
Faudra-t-il donc que je sorte
Pour voir qui soupire ainsi ?
C’est le grand Lustukru qui pleure
Il a faim… et mangera
Crus-tout-vifs, sans pain ni beurre,
Tous les petits gâs
Qui ne dorment pas !
Lon lon la,
Lon lon la,
Lon lon la,
Lire la,
Lon la !

Qui voulez vous que je mette
Dans le sac au vilain vieux ?
Mon Dorik et ma Jeannette
Viennent de fermer les yeux :
Allez-vous en, méchant homme,
Quérir ailleurs vos repas !
Puisqu’ils font leur petit somme,
Non vous n’aurez pas
Mes deux petits gâs !
Lon lon la,
Lon lon la,
Lon lon la,
Lire la,
Lon la !

Le Grand Lustukru, chanson populaire (France, XVIIe siècle ?) recueillie par Théodore Botrel (1868-1925) vers 1890.

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