Amália : les voix du fado = as vozes do fado (2015)
Amália : les voix du fado = as vozes do fado (2015).
Voici que paraît, pour ainsi dire à l’improviste, un album collectif consacré à celle qui siège en gloire au plus haut des cieux du fado depuis ce jour d’octobre 1999 où son cœur a cessé de battre ici-bas. Amália, les voix du fado – as vozes do fado est en effet publié sans occasion particulière : le centenaire n’est que dans cinq ans, le vingtième anniversaire de l’assomption dans quatre.
Il n’y a généralement pas grand chose à attendre de ces hommages discographiques posthumes, qui honorent moins leur dédicataire que la brochette de vedettes sollicitées pour la circonstance, et plus encore l’éditeur de l’album. C’est pourquoi celui-ci est une assez bonne surprise. L’initiative en revient à l’acteur et cinéaste Ruben Alves, Parisien issu d’une famille portugaise immigrée, réalisateur du film à succès La cage dorée (France, 2013). Crédité sur le livret d’accompagnement de la fonction de « directeur artistique » du projet, on peut penser qu’il a présidé au choix des morceaux comme à celui des chanteurs.
Difficile, en 13 morceaux seulement, de couvrir l’ensemble d’une carrière qui se sera étendue sur plus de cinquante ans, et de rendre justice à toutes les facettes d’un répertoire particulièrement profus et diversifié.
Le choix qui a été opéré favorise la seconde moitié de la carrière d’Amália, et singulièrement la partie de l’œuvre née de la collaboration entre la fadiste et le compositeur français Alain Oulman (cinq titres, parmi lesquels trois sont extraits de l’album Com que voz de 1970). C’est précisément par Com que voz, composé sur un sonnet de Camões, que débute le programme : Carminho, un peu grandiloquente. Gisela João en revanche confirme sa classe dans le magnifique Medo, de même que dans un Meu limão de amargura d’une grande intensité, en duo avec Camané. Le duo, exercice obligé dans ce genre d’anthologies collectives, est un piège lorsqu’il s’agit de chansons comme celles-ci, dont tout, texte et musique, évoque l’intime, l’introspection, la solitude. Il faut tout l’art de ces deux interprètes sensibles pour ne pas y tomber. Carminho et Caetano Veloso, trop dissemblables, s’en tirent à mon sens moins bien avec Naufrágio, une des plus grandes réussites d’Alain Oulman, sur des vers de la Brésilienne Cecília Meireles. Enfin Camané seul livre une émouvante version d’Abandono, dont l’enregistrement original avait subi en son temps (1962) une interdiction de diffusion, tant le poème de David Mourão-Ferreira désigne clairement les méthodes de la police politique du régime salazariste.
Deux des morceaux, sur des textes douloureux d’Amália elle-même aux prises avec la maladie (Grito) et l’approche de la mort (Faz-me pena), appartiennent à la vieillesse de la chanteuse. Le premier est réalisé dans une interprétation grandiose de Ricardo Ribeiro, qui le tire vers le flamenco, ce qui n’est nullement un contre-sens lorsqu’on sait qu’Amália se qualifiait elle-même de chanteuse ibérique. Quant au second, qui clôt l’album, nul autre que Celeste Rodrigues, la propre sœur d’Amália, 92 ans, ne pouvait lui rendre justice. C’est un moment d’une grâce miraculeuse si on fait abstraction de l’accompagnement instrumental qui n’est pas du meilleur aloi.
Seuls quatre titres représentent la période « pré-Oulman » (cinq avec Amália, de Frederico Valério et José Galhardo, exécuté en version instrumentale). On y trouve les deux fados « castiços » (traditionnels, si on veut) de l’album, l’un et l’autre sur des musiques d’Alfredo Marceneiro. António Zambujo, accompagné de sa guitare et de la contrebasse de Ricardo Cruz, reconnaissable à la première note, fait du Zambujo dans Estranha forma de vida. Une version élastique bien dans sa manière dépourvue d’emphase, bienvenue après la tension extrême du Medo de Gisela João auquel elle fait suite. Maldição échoit à l’inévitable Ana Moura, qui me donne comme toujours l’impression qu’elle pense à autre chose, ou à rien. De fait moi aussi je me mets à regarder autour de moi, et le cours de mes pensées ordinaires reprend de la vigueur.
Somme toute une sélection à la coloration plutôt sombre, à peine égayée par Lisboa não sejas francesa, une marche du début des années 1950 chantée par un António Zambujo très en verve, tout émoustillé sans doute par la présence de Mayra Andrade (qui lui donne une réplique assez terne dans ce duo), au point de ponctuer son chant de vocalises d’oiseau et de petits cris de ravissement insolites comme sous l’effet d’un léger chatouillis sous une plante de pied, et par Valentim, une danse traditionnelle rapide extraite du troisième des albums de « folclore » des années 60 et 70, enlevée sans difficulté (mais il n’y en a pas) par Ana Moura et Bonga.
Le détail qui fâche |
Surprise en découvrant le livret d’accompagnement du CD diffusé en France, qui comporte pour chaque morceau un court texte de présentation bilingue, portugais et français, citant le plus souvent un extrait des paroles originales et sa traduction française. Or ces traductions, dans tous les cas, sont les miennes. C’est à dire celles qu’il m’arrive de publier ici même de temps à autre. Au mot et à la ponctuation près. Seulement on a oublié d’en citer la source. Oublié aussi que toute utilisation du contenu de ce site à des fins commerciales est interdite. Ces conditions sont clairement précisées dans un encart en haut de la colonne de droite du site. Ça s’appelle comment déjà, cette pratique ? Alors qu’il suffisait de me demander l’autorisation d’utiliser ces traductions. Je l’aurais évidemment accordée bien volontiers, avec pour seule condition la citation de leur source. |
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Détail de la page du livret d’accompagnement de l’album Amalia : les voix du fado (Universal France, 2015) consacrée à Meu limão de amargura. À comparer avec la traduction publiée dans le billet Citron amer. |
Une chanson espagnole complète le programme : Maria la Portuguesa, de Carlos Cano, qui figurait parfois au programme des récitals d’Amália dans les dernières années de sa carrière, mais qu’elle n’a jamais enregistrée. Le tropisme andalou de Ricardo Ribeiro s’y exerce avec bonheur, soutenu par les guitares de Javier Limón et par les talons et les palmas du danseur Nino de los Reyes.
Povo que lavas no rio, le fado préféré d’Amália, celui qui jamais ne manquait au programme de ses récitals, n’a pas été retenu. Est-ce précisément parce qu’elle l’a investi de manière absolue, le rendant inabordable à tout autre interprète ? On regrettera en tout cas que Pedro Homem de Mello, l’auteur du poème et de bien d’autres interprétés par la fadiste qui le tenait en grande estime, soit absent de l’album.
Quant aux interprètes, on peut s’étonner de l’absence de l’hyper-vedette Mariza (je ne m’en plains pas), ou encore de quelqu’un comme Mísia, qui connaît parfaitement le répertoire d’Amália, et sait en apprécier les splendeurs autant qu’en évaluer les faiblesses. Il est vrai qu’elle-même prépare son album d’hommage, dont on peut penser que le programme sera fort différent de celui-ci, et à coup sûr intéressant. Pour ma part je me serais facilement passé d’Ana Moura, on l’aura compris, tandis je n’aurais pas manqué de solliciter Lula Pena.
Un mot des instrumentistes, du moins des guitares portugaises. On a réuni les grosses pointures là aussi : Luís Guerreiro, José Manuel Neto, Ângelo Freire, Ricardo Parreira et autres. On note une tendance, depuis dix ans, vingt ans peut-être, à un jeu raidi, détachant les notes, dû probablement — c’est une hypothèse — à l’habitude des grandes scènes qui nécessitent l’amplification des instruments. Certains guitaristes y sont plus sujets que d’autres. On y perd la merveilleuse subtilité et la fluidité si vivantes des instrumentistes des décennies plus anciennes. Il faudrait que ces jeunes gens écoutent les enregistrements d’Armandinho (Armando Freire, 1891-1941).
Amália : les voix du fado. Gisela João. Universal Music France. Réalisé à l’occasion de la publication de l’album Amália : les voix du fado = as vozes do fado, Universal Music France, 2015.
- Internet : http://www.lesvoixdufado.fr/
- L’album sur Deezer
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Amália : les voix du fado = as vozes do fado (2015)
Amália : les voix du fado = as vozes do fado / Ruben Alves, directeur artistique ; Carminho, Ricardo Ribeiro, Ana Moura, Camané [et 6 autres], chant ; 27 instrumentistes. — Production : France : Decca Records France, ℗2015.
CD : Universal Music France, 2015. — EAN 602547465283.
1. Carminho. Com que voz / poème de Luís Vaz de Camões (?) ; Alain Oulman, musique.
2. Ricardo Ribeiro. Grito / Amália Rodrigues, paroles ; Carlos Gonçalves, musique.
3. Ana Moura. Maldição / Armando Vieira Pinto, paroles ; Alfredo Marceneiro, musique.
4. Camané. Abandono / poème de David Mourão Ferreira ; Alain Oulman, musique.
5. Gisela João. Medo / poème de Reinaldo Ferreira ; Alain Oulman, musique.
6. António Zambujo. Estranha forma de vida / Amália Rodrigues, paroles ; Alfredo Marceneiro, musique.
7. Luís Guerreiro, Ângelo Freire, José Manuel Neto. Amália / Frederico Valério, musique.
8. Mayra Andrade & António Zambujo. Lisboa não sejas francesa / José Galhardo, paroles ; Raúl Ferrão, musique.
9. Ana Moura & Bonga. Valentim / paroles & musique traditionnelles.
10. Camané & Gisela João. Meu limão de amargura / José Carlos Ary dos Santos, paroles ; Alain Oulman, musique.
11. Ricardo Ribeiro. Maria la Portuguesa / Carlos Cano, paroles & musique.
12. Carminho & Caetano Veloso. Naufrágio / poème de Cecília Meireles ; Alain Oulman, musique.
13. Celeste Rodrigues. Faz-me pena / Amália Rodrigues, paroles ; Carlos Gonçalves, musique
Guitare portugaise : Luís Guerreiro (1, 7), Ângelo Freire (2, 3, 7), José Manuel Neto (4, 7, 10), Ricardo Parreira (5), Bernardo Couto (8), Micael Gomes (9), Gaspar Varela (13).
Guitare classique : Diogo Clemente (1, 2, 7, 12, 13), Pedro Soares (3), Carlos Manuel Proença (4, 10), Nelson Aleixo (5), António Zambujo (6), Pedro Soares (9), Javier Limón (11), Rogério Ferreira (13), Paulo Parreira (13).
Basse acoustique : Marino de Freitas (1, 7, 13), André Moreira (3), Francisco Gaspar (5).
Basse portugaise : Ricardo Cruz (8).
Contrebasse : Mário Franco (2), Paulo Paz (4, 10), Ricardo Cruz (6), Jorge Hélder (12).
Claviers : João Gomes (9).
Clarinette : José Conde (8).
Trompette : João Moreira (8).
Danse flamenco : Nino de los Reyes (11).
En vous lisant et sachez que je le regrette, je me rends compte au combien « POPULAIRE » est un gros mot. Ce besoin d’aller forcément à contre sens des goûts du plus grand nombre car évidemment ils ne peuvent avoir raison, la foule est obligatoirement bête et inculte… Vous avez optez pour une vision aristocratique et élitiste du fado, c’est dommage et contre productif.
D’ailleurs ce cd est malheureusement également le reflet de votre vision. C’est dommage Ruben Alves s’est également fourvoyé, je pense! Cela arrive, bien que son intention soit louable… Ainsi j’invite les curieux et tous ceux qui n’ont pas d’apriori à écouter les versions de Mariza, cristina Branco. les cd d’Ana Moura avant le dernier plus jazzy, il est vrai mais avec une réel ouverture. écoutez la version de prece qu’on trouve dans la cage dorée chantée par Bevinda. le fado n’est pas seulement triste, il a la beauté des mots ainsi que celle des sentiments de l’âme humaine…
Mariza n’est pas une fadista mais une drag queen. Belle voix, oui, mais ses interprétations son offensives… à priori.
Gisela Joao est étonnante : elle qui semble la joie de vivre en personne fait tout à coup sortir ce « medo » : d’où ? une mouette, qui aurait en elle l’encre d’un poulpe ! éminemment populaire, y compris dans son habillement (ses tennis blanches à Arles !), et bouleversante..