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Amália Rodrigues | É da torre mais alta (1969)

22 octobre 2019

É da voz do meu povo uma criança
seminua nas docas de Lisboa
que eu ganho a minha voz
caldo verde sem esperança
laranja de humildade
amarga lança
até que a voz me doa.

José Carlos Ary dos Santos (1936-1984). Retrato do povo de Lisboa (1970).

C’est de la voix de mon peuple, un enfant
À demi nu dans les docks de Lisbonne,
Que je tire ma voix,
« caldo verde » de désespoir,
Orange d’humilité,
Amère lance,
Jusqu’à la douleur.

Jusqu’à présent, le seul enregistrement connu du splendide É da torre mais alta par Amália Rodrigues était celui publié en 1997, dans le très bel album d’inédits intitulé Segredo (« Secret »). Réalisé en 1975, l’année suivant la Révolution des œillets, il était resté « secret » pendant plus de vingt ans. La réédition de 2019 de l’album Com que voz en propose, parmi ses suppléments, une captation bien antérieure, datée de 1969, c’est à dire avant même la publication du poème d’Ary dos Santos sur lequel il s’appuie (1970). Cet enregistrement provient de la même source que celui de Fui à fonte lavar os cabelos, à savoir une maquette de travail conservée sur une bande magnétique (copie de la bande d’origine, aujourd’hui introuvable).

La version de 1969 diffère de celle de 1975 par sa plus grande fidélité au poème original : la strophe ci-dessus, ignorée dans l’enregistrement de 1975, y figure intégralement moyennant une légère altération du texte (« uma criança / nua nas docas de Lisboa » au lieu de « uma criança / seminua … » : « un enfant / nu dans les docks de Lisbonne » au lieu de « un enfant / à demi nu … »). Ce passage est chanté sur un motif mélodique particulier, très beau (notamment la vigoureuse montée dans l’aigu sur « que eu ganho a minha voz »), absent du reste du fado. On se demande ce qui a conduit à sa suppression en 1975. Il est vrai qu’à l’époque l’enregistrement n’avait finalement pas été publié.

Amália Rodrigues (1920-1999) | É da torre mais alta. José Carlos Ary dos Santos, paroles ; Alain Oulman, musique.
Amália Rodrigues, chant ; Fontes Rocha, guitare portugaise ; Pedro Leal, guitare classique. L’enregistrement est une maquette de travail réalisée en 1969.
Extrait de l’album Com que voz, nouvelle édition « remastered ». Portugal : Edições Valentim de Carvalho, ℗ et © 2019.

Voici par comparaison l’enregistrement de 1975, publié en 1997 :

Amália Rodrigues (1920-1999) | É da torre mais alta. José Carlos Ary dos Santos, paroles ; Alain Oulman, musique.
Amália Rodrigues, chant ; José Fontes Rocha, guitare portugaise ; Pedro Leal, guitare. Enregistrement : 1975. Extrait de l’album Segredo / Amália Rodrigues. Portugal, 1997.

É da torre mais alta est une composition d’Alain Oulman sur un poème de José Carlos Ary dos Santos (1937-1984), homosexuel déclaré, adhérent au Parti communiste portugais, cela même sous l’ancien régime. Il n’en était pas moins un familier d’Amália Rodrigues qui le recevait chez elle – comme en témoigne l’album Amália / Vinicius, enregistré en 1968 lors d’une de ces soirées amicales qu’avait coutume d’organiser la fadiste, à laquelle participaient cette fois-là, outre Amália et Vinicius de Moraes, les poètes Ary dos Santos, Natália Correia et David Mourão Ferreira, entre autres.

Intitulé Retrato do povo de Lisboa (« Portrait du peuple de Lisbonne »), le poème original a paru en 1970 dans un recueil illustré de photographies en noir et blanc de Nuno Calvet intitulé Fotos-Grafias – rapidement interdit par la censure. Les modifications pratiquées pour le fado consistent non seulement en suppressions, mais aussi en ajouts. On trouvera ci-dessous les différentes versions du texte.

É da torre mais alta (fado)

É da torre mais alta
Que eu canto este meu pranto
Que eu canto este meu sangue,
Este meu povo
Dessa torre maior
Em que apenas sou grande
Por me cantar de novo,
Por me cantar de novo.

C’est de la plus haute tour (fado)

C’est de la plus haute tour
Que je chante mon sanglot,
Que je chante mon sang,
Mon peuple que voici,
Du haut de cette tour,
Le seul lieu où je suis grand,
Où je peux me chanter à nouveau
Où je peux me chanter à nouveau

Cantar como quem despe
A ganga da tristeza
Como quem bebe
A água da saudade,
Chama que nasce e cresce
E vive e morre acesa
Chama que nasce e cresce
Em plena liberdade.

Chanter comme on se dépouille
De sa gangue de tristesse
Comme on boit
L’eau de la saudade
Flamme qui naît et croît
Et vit, et meurt ardente
Flamme qui naît et croît
En pleine liberté.
*É da voz do meu povo uma criança
nua nas docas de Lisboa
que eu ganho a minha voz
caldo verde sem esperança
laranja de humildade
amarga lança
até que a voz me doa.

*C’est de la voix de mon peuple, un enfant
Nu dans les docks de Lisbonne,
Que je tire ma voix,
« caldo verde » de désespoir,
Orange d’humilité,
Amère lance,
Jusqu’à la douleur.
Mas nunca se dói só
Quem a cantar magoa
Dói-me o Tejo vencido
Dói-me a secura
Dói-me o tempo perdido
Dói-me ele de lonjura
Dói-me o povo esquecido
E morro de ternura
Dói-me o tempo perdido
E morro de ternura.

Mais quiconque chante à s’en meurtrir
Ne souffre jamais pour soi seul
J’ai mal au Tage vaincu
J’ai mal à la sécheresse
J’ai mal au temps perdu
Je souffre qu’il soit loin de moi
J’ai mal au peuple oublié
Et je meurs de tendresse.
J’ai mal du temps perdu
Et je meurs de tendresse.

José Carlos Ary dos Santos (1936-1984). É da torre mais alta, version de Retrato do povo de Lisboa (1970).
* Strophe présente dans la version de 1969, absente de celle de 1975.
José Carlos Ary dos Santos (1936-1984). C’est de la tour la plus haute, traduit de : É da torre mais alta, version de Retrato do povo de Lisboa [« Portrait du peuple de Lisbonne »] (1970) par L. & L.
* Strophe présente dans la version de 1969, absente de celle de 1975.

Retrato do povo de Lisboa (1970)

É da torre mais alta do meu pranto
que eu canto este meu sangue este meu povo.
Dessa torre maior em que apenas sou grande
por me cantar de novo.

Cantar como quem despe a ganga da tristeza
e põe a nu a espádua da saudade
chama que nasce e cresce e morre acesa
em plena liberdade.

É da voz do meu povo uma criança
seminua nas docas de Lisboa
que eu ganho a minha voz
caldo verde sem esperança
laranja de humildade
amarga lança
até que a voz me doa.

Mas nunca se dói só quem a cantar magoa
dói-me o Tejo vazio dói-me a miséria
apunhalada na garganta.

Dói-me o sangue vencido a nódoa negra
punhada no meu canto.

José Carlos Ary dos Santos (1936-1984). Retrato do povo de Lisboa (1970).

………

C’est de la plus haute tour de mon sanglot
Que je chante mon sang, mon peuple que voici.
Du haut de cette tour, le seul lieu où je suis grand,
Où je peux me chanter à nouveau.

Chanter comme on se dépouille de sa gangue de tristesse
Mettant à nu l’épaule de la saudade
Flamme qui naît et croît et meurt ardente
En pleine liberté.

C’est de la voix de mon peuple, un enfant
À demi nu dans les docks de Lisbonne,
Que je tire ma voix,
« caldo verde » de désespoir,
Orange d’humilité,
Amère lance,
Jusqu’à la douleur.

Mais quiconque chante à s’en meurtrir ne souffre jamais seul
J’ai mal au Tage vide, à la misère
Poignardée dans la gorge.

J’ai mal au sang vaincu, aux bleus,
Coup de poing dans mon chant.

José Carlos Ary dos Santos (1936-1984). Portrait du peuple de Lisbonne, traduit de : Retrato do povo de Lisboa (1970) par L. & L.

Amália Rodrigues (1920-1999)
Com que voz (Édition 2019)

Amália Rodrigues | Com que voz (nouvelle édition, 2019)Com que voz / poèmes de Cecília Meireles, David Mourão-Ferreira, Manuel Alegre, etc. ; Alain Oulman, musiques ; Amália Rodrigues, chant ; José Fontes Rocha, guitare portugaise ; Pedro Leal, guitare,… [etc.]. — Production : Portugal : Edições Valentim De Carvalho, ℗ 2019.
Nouvelle édition remastérisée de l’album Com que voz (enregistré en 1969 et publié pour la première fois en 1970), augmentée de 8 morceaux réunis en un ensemble intitulé « À maneira do Com que voz », parmi lesquels des versions inédites de titres précédemment publiés ainsi qu’un titre inédit (Fui à fonte lavar os cabelos, poème de João Soares Coelho, musique d’Alain Oulman). Dates d’enregistrement : 8 et 9 janvier 1969 (édition originale de Com que voz) ; dates diverses, comprises entre novembre 1968 et 1969 (« À maneira do Com que voz »).

CD : Valentim de Carvalho, 2019. — EAN 3760220460752.

Voir la description complète de l’album sur Discogs

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