Amália Rodrigues | Amêndoa amarga (1969)
Meu perfume de tudo minha essência
meu lume minha lava meu labéu
como é possível não chegar ao cume
de tão lavado céu?
José Carlos Ary dos Santos (1936-1984). Retrato de Amigo (1970).
Toi qui tout parfumes, mon essence
Ma braise ma lave mon infamie
Comment ne pas être transporté
Au plus haut de cieux si purs ?
Autre inédit publié en supplément de la réédition de 2019 de l’album Com que voz : la première captation connue d’Amêndoa amarga (« Amande amère »). Datée de 1969, elle provient de la même source que celle de É da torre mais alta et de Fui à fonte lavar os cabelos, à savoir une maquette de travail conservée sur une bande magnétique (copie de la bande d’origine, aujourd’hui introuvable).
Amêndoa amarga – ou plutôt Retrato de Amigo (« Portrait de l’Ami ») selon son titre original – est un poème d’amour écrit par un homme, adressé à un autre homme. Son auteur, José Carlos Ary dos Santos (1937-1984), ne faisait pas mystère de son homosexualité.
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Amália Rodrigues (1920-1999) | Amêndoa amarga. José Carlos Ary dos Santos, paroles ; Alain Oulman, musique.
Amália Rodrigues, chant ; Fontes Rocha, guitare portugaise ; Pedro Leal, guitare classique. L’enregistrement est une maquette de travail réalisée en 1969.
Extrait de l’album Com que voz, nouvelle édition « remastered ». Portugal : Edições Valentim de Carvalho, ℗ et © 2019.
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Une version d’Amêndoa amarga, la seule connue jusqu’à présent, figure dans l’album Cantigas numa língua antiga. Publié en 1977, ce recueil reproduit certaines des caractéristiques de Com que voz : musiques d’Alain Oulman sur des poèmes d’auteurs contemporains ou non, accompagnement réduit à deux instruments. Mais le son en est différent : l’enregistrement s’est étalé sur une période de trois ans au lieu des deux nuits prodigieuses de Com que voz – et il faut admettre que la voix d’Amália, qui entre temps a subi la tourmente des lendemains immédiats de la Révolution des œillets (1974), montre quelques signes d’altération : moins de brillant, parfois un peu de vibrato.
Voici l’enregistrement de Amêndoa amarga publié dans Cantigas numa língua antiga (1977) :
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Amália Rodrigues (1920-1999) | Amêndoa amarga. José Carlos Ary dos Santos, paroles ; Alain Oulman, musique.
Amália Rodrigues, chant ; José Fontes Rocha, guitare portugaise ; Martinho d’Assunção, guitare classique.
Extrait de l’album Cantigas numa língua antiga / Amália Rodrigues. Portugal, ℗ 1977.
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La version de É da torre mais alta enregistrée en 1975 aurait pu être intégrée à cet album mais n’a pas été retenue [voir le billet précédent], contrairement à Amêndoa amarga. À cette différence près, les deux fados ont une genèse analogue : l’un et l’autre sont composés sur un poème d’Ary dos Santos issu du recueil Fotos-grafias publié en 1970 ; l’un et l’autre ont été mis en musique dès 1969 ; enfin, les versions ultérieures de l’un comme de l’autre ont été amputées d’une strophe sur laquelle la musique d’Alain Oulman se tend pour atteindre un climax dramatique, résolu dans les derniers vers qui reviennent à la mélodie des strophes précédentes.
Dans le cas d’Amêndoa amarga, c’est la strophe transcrite au début du présent billet qu’ignore l’enregistrement de 1977, alors qu’elle figure intégralement dans l’enregistrement de 1969 moyennant deux changements dans le texte : suppression de « de tudo » dans le premier vers, remplacement de « cume » par son synonyme « cimo » (« sommet ») dans le troisième :
Meu perfume minha essência
meu lume minha lava meu labéu
como é possível não chegar ao cimo
de tão lavado céu?
José Carlos Ary dos Santos (1936-1984). Amêndoa amarga, d’après Retrato de Amigo (1970).
Mon parfum, mon essence
Ma braise ma lave mon infamie
Comment ne pas être transporté
Au plus haut de cieux si purs ?
Comme pour la partie supprimée de É da torre mais alta, ce passage est chanté sur un motif mélodique particulier qui introduit une variation par rapport aux deux strophes précédentes et atteint un acmé sur le mot cimo (« sommet »), avant de céder au caractère désespéré de la fin du poème. Dans le cas d’Amêndoa amarga comme dans celui de É da torre mais alta, on se demande pourquoi l’avoir supprimé dans l’enregistrement studio de Cantigas numa língua antiga.
Le poème publié dans Fotos-grafias ne comporte pas la dernière strophe. On trouvera ci-dessous les différentes versions du texte.
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Amêndoa amarga (fado) Por ti falo e ninguém pensa
mas eu digo minha amêndoa, meu amigo, meu irmão
meu tropel de ternura, minha casa
meu jardim de carência, minha asa.Amande amère (fado) C’est pour toi que je parle et nul ne sait
Mais je dis mon amande, mon ami, mon frère
Mon déferlement de tendresse, ma maison
Mon jardin du manque, mon aile.Por ti vivo e ninguém pensa
mas eu sigo um caminho de silvas e de nardos
uma intensa ternura que persigo
rodeada de cardos por tantos lados.
Pour toi je vis et nul n’y pense,
Mais je poursuis, sur un chemin de ronces et de nards,
Une intense tendresse,
De tous côtés cernée de chardons.
*Meu perfume minha essência
meu lume minha lava meu labéu
como é possível não chegar ao cimo
de tão lavado céu?
*Mon parfum, mon essence
Ma braise ma lave mon infamie
Comment ne pas être transporté
Au plus haut de cieux si purs ?
Por ti morro e ninguém sabe
mas eu espero o teu corpo que sabe a madrugada
o teu corpo que sabe a desespero
ó minha amarga amêndoa desejada.
Pour toi je meurs et nul n’y pense,
Mais j’attends ton corps qui a le goût de l’aube,
Ton corps qui a le goût du désespoir,
Ô mon amande amère, que je désire.
… … José Carlos Ary dos Santos (1936-1984). Amêndoa amarga, version de Retrato de Amigo (1970).
* Strophe présente dans la version de 1969, absente de celle de 1977.José Carlos Ary dos Santos (1936-1984). Amande amère, traduit de : Amêndoa amarga, version de Retrato de Amigo [« Portrait de l’Ami »] (1970) par L. & L.
* Strophe présente dans la version de 1969, absente de celle de 1977.
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Retrato de Amigo (1970)
Por ti falo. E ninguém sabe. Mas eu digo
meu irmão minha amêndoa meu amigo
meu tropel de ternura minha casa
meu jardim de carência minha asa.Por ti morro e ninguém pensa. Mas eu sigo
um caminho de nardos empestados
uma intensa e terrífica ternura
rodeado de cardos por muitíssimos lados.Meu perfume de tudo minha essência
meu lume minha lava meu labéu
como é possível não chegar ao cume
de tão lavado céu?
José Carlos Ary dos Santos (1937-1984). Retrato de Amigo, extrait de : Fotos-grafias (avec Nuno Calvet, photographies). 1970. Dans le même recueil : É da torre mais alta (Retrato do povo de Lisboa).………
C’est pour toi que je parle. Et nul ne sait. Mais je dis
Mon frère mon amande mon ami
Mon déferlement de tendresse, ma maison
Mon jardin du manque mon aile.Pour toi je meurs et nul n’y pense. Mais je poursuis
Sur un chemin de nards nauséabonds
Une intense et terrifiante tendresse
De tous côtés cerné de chardonsToi qui tout parfumes, mon essence
Ma braise ma lave mon infamie
Comment ne pas être transporté
Au plus haut de cieux si purs ?
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Amália Rodrigues (1920-1999)
Com que voz (Édition 2019)
Com que voz / poèmes de Cecília Meireles, David Mourão-Ferreira, Manuel Alegre, etc. ; Alain Oulman, musiques ; Amália Rodrigues, chant ; José Fontes Rocha, guitare portugaise ; Pedro Leal, guitare,… [etc.]. — Production : Portugal : Edições Valentim De Carvalho, ℗ 2019.
Nouvelle édition remastérisée de l’album Com que voz (enregistré en 1969 et publié pour la première fois en 1970), augmentée de 8 morceaux réunis en un ensemble intitulé « À maneira do Com que voz », parmi lesquels des versions inédites de titres précédemment publiés ainsi qu’un titre inédit (Fui à fonte lavar os cabelos, poème de João Soares Coelho, musique d’Alain Oulman). Dates d’enregistrement : 8 et 9 janvier 1969 (édition originale de Com que voz) ; dates diverses, comprises entre novembre 1968 et 1969 (« À maneira do Com que voz »).
CD : Valentim de Carvalho, 2019. — EAN 3760220460752.
Voir la description complète de l’album sur Discogs