Mélabú
Il m’a plu dès que je l’ai vu, parmi tous les autres il s’est distingué.
Je ne l’ai pas remarqué tout de suite. Cela ne s’est produit qu’au bout d’une demie heure environ. Je déambulais, en examinant tel ou tel avec plus ou moins d’attention, m’attardant sur quelques uns qui me paraissaient, oui, intéressants au point presque de céder à l’un d’eux, mais non, j’y reviendrai peut-être si je ne trouve pas mieux me suis-je dit. Tandis que lui : tout de suite, au premier regard. Il était seul, petit mais bien proportionné, bien fait, très élégant. Curieusement la couleur des rabats m’a semblé très belle, à moi qui ai horreur du violet. Je ne songerais jamais à porter un vêtement violet, jamais. Il y a des hommes, vous l’avez remarqué comme moi, qui portent par exemple des pantalons violets, ou des cabans, voire des manteaux violets. Des souliers aussi. Moi non, jamais. Mais sur lui cette couleur, alliée au blanc crème de la couverture, convenait parfaitement.
L’auteur est hongrois, du nom de Péter Nádas et le titre : Mélancolie. Sur la couverture le nom de l’auteur est imprimé en noir, le titre en violet, le tout en capitales, ce qui donne à l’ensemble beaucoup d’allure en raison notamment de ces trois accents aigus disposés exactement à égale distance l’un de l’autre. À l’intérieur on retrouve ce titre : Mélancolie, accompagné de son équivalent hongrois : Mélabú. En technique documentaire, ce titre dans une autre langue accompagnant le titre proprement dit s’appelle un titre parallèle, sachez-le. Un titre parallèle hongrois, quelle merveille !
Voici le début du texte :
Mélabú, l’un des plus beaux mots du hongrois, fait aussi partie des plus nobles.
Sans violence aucune, mais non sans acuité, la première syllabe projette dans l’espace ce que la seconde émousse aussitôt ; cette tension entre acuité et matité éclate alors, telle une bulle irisée, sur la consonne de la troisième syllabe, pour que se creuse, long et profond, un vide sonore en fin de mot.
L’absence invoque l’espace dans ce mot à fin ouverte, et l’absence appelle un gigantesque espace de ses vœux ; le plus vaste des espaces imaginables.
Péter Nádas. Mélancolie, traduit de Mélabú (1987) par Marc Martin. Le bruit du temps, 2015. ISBN 978-2-35873-067-9. Page 11.
Comment résister ?
Il s’agit en réalité d’un essai (esszé en hongrois) sur Caspar David Friedrich, dont les reproductions de quelques œuvres illustrent le livre.
Quel dommage et quels regrets de ne pas avoir appris à temps ces langues fascinantes : le hongrois, le grec, le turc. Il est trop tard désormais. La partie du cerveau où s’enregistrent le nouveau, le complexe, est fichue ; inutile d’essayer.
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Merci pour cette belle découverte ! Je viens de voir que l’ouvrage est disponible dans une bibliothèque municipale près de chez moi…
Vive la bibliothèque !
Pas de regret : tu aurais oublié grec et hongrois maintenant, comme moi …
Je n’en crois rien : il te suffirait de retourner en Grèce ou en Hongrie pour que ça te revienne, j’en suis sûr.