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Un peu belge moi, tu sais

7 septembre 2022

Mercredi dernier j’ai déjeuné au restaurant — seul, événement désormais exceptionnel. J’avais ainsi le loisir d’observer les autres clients : entre les plats il n’y avait que ça à faire.

Dans cette salle oblongue il y avait : un couple de septuagénaires, elle très vive (fine de corps et de visage, regard agile et curieux, quelque chose d’une Anna Magnani en cheveux blancs), lui un peu affaissé ; d’anciens universitaires, ai-je pensé.

Un groupe de trentenaires banals qui réglaient leur addition (il était près de 14 heures, grand temps pour eux de retourner à leurs N+1, leur coworking, leurs process, vidéoconférences et patin couffin).

Et puis une table de quatre personnes, trois femmes et un homme, qui parlaient avec une grande animation. Ils étaient placés au plus loin de moi, de sorte que c’est d’abord le son de leurs voix, leur accent, leur manière de moduler les phrases qu’on percevait : une façon de parler ancienne, que je reconnaissais et qui me semblait avoir disparu depuis des décennies. Du Nord-Ouest à coup sûr. De la Haute-Bretagne — le côté de Redon, Malestroit, Questembert, enfin cette région-là, voyez. Ils étaient tous plus jeunes que moi, pourtant.

Au moment où je commençais à m’intéresser à eux, la plus âgée (elle pouvait avoir 55 ans) disait ceci : « Je suis un peu belge moi, tu sais. » Je n’ai pas su quelle portée assigner à cette déclaration qui prenait place, je m’en suis rendu compte aussitôt, dans une discussion sur la nourriture. Étaient-ils en vacances ? Près de la dame « un peu belge », qui portait une robe à petits motifs floraux sur fond bleu indigo, se trouvait une jeune femme d’une vingtaine d’années, aux traits encore ordinaires, potelée, les yeux et la bouche en forme de points (Tintin — mais les cheveux tirés en arrière), un peu à l’étroit dans sa marinière. En face d’eux (je les voyais de dos, parfois de profil suivant leurs postures), un homme volubile au crâne dégarni, la quarantaine, vêtu comme un employé du cadastre ou comme un prêtre en civil, et une femme « bien portante » comme on dit, robe groseille semée de fleurettes, cheveux blonds vigoureux, noués en cuche au-dessus de la nuque. En couple, ces deux ? Parents de la jeune fille en marinière ? « Mais si, le riz aussi », disait l’homme. « C’est comme les pommes de terre : certaines ont du goût et d’autres non. » Accent de Redon, Malestroit, Questembert. Années soixante, soixante-dix. À des années lumière.

Je me suis intéressé à ma nourriture, j’ai été moins attentif. À un moment il a été question d’une omelette norvégienne — une omelette norvégienne, pensez ! Je n’en ai jamais vu qu’à la fin de repas de première communion ou autres, et pour la dernière fois vers 1969 et encore.

(À la réflexion : non, pas en couple, pas parents de la jeune fille en marinière, crois pas.)

L’homme volubile : « La pénurie de moutarde, qui est quand même fondamentale pour… [inaudible] Ah ben si ! »

Et puis encore : « Nina Hagen. Elle a fait le conservatoire à Berlin-Est, Nina Hagen ! »

Plutôt années soixante-dix, quatre-vingts, alors. Et peut-être venaient-ils de la Mayenne, après tout.

Nina Hagen BandUnbeschreiblich weiblich. Nina Hagen, paroles ; Manfred Praeker, musique.
Nina Hagen Band, ensemble instrumental & vocal (Nina Hagen, chant ; Reinhold Heil, claviers, chœurs ; Bernhard Potschka, guitare, chœurs ; Manfred Praeker, basse, chœurs ; Herwig Mitteregger, batterie, chœurs).
Vidéo : extrait d’une émission de la série Rockpalast. Production : République fédérale d’Allemagne, WDR (Westdeutscher Rundfunk), 1978.
Captation : Dortmund (République fédérale d’Allemagne), Westfalenhalle, 9 décembre 1978.

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Toulouse (Occitanie, France), Hôtel de Bagis (« Hôtel de pierre »), 26 août 2022

2 commentaires leave one →
  1. Alain Fabre permalink
    7 septembre 2022 12:29

    J’aimerais bien savoir qui tu es. Je n’ai jamais lu de toi que de belles ou intéressantes choses. J’ai toujours aimé ton érudition. La qualité de tes analyses. Bref je suis fan. Continue. Alain Fabre. Journaliste honoraire. En couple avec une dame.

    • 9 septembre 2022 10:53

      Merci !
      Quant à savoir « qui je suis », mon nom ne dirait rien à personne, sinon aux habitants de mon immeuble qui l’ont sans doute aperçu sur ma boîte aux lettres (mais je serais étonné qu’ils soient déjà venus sur ce site). Je m’appelle Philippe et je vis à Toulouse. Je suis né dans le Finistère il y a très longtemps, ce qui explique que je sois à la retraite depuis… 4 ans déjà.
      Voilà 🙂

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