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Sabiá | Chico Buarque & Tom Jobim ; et aussi Carminho & António Zambujo – et même Françoise Hardy

12 novembre 2019


Antônio Carlos (« Tom ») Jobim et Chico Buarque au Festival international de la chanson de Rio (1968)


Vou voltar
Sei que ainda vou voltar
Para o meu lugar
Foi lá e é ainda lá
Que eu hei de ouvir cantar
Uma sabiá
Cantar uma sabiá

Je reviendrai
Je sais que je reviendrai
Chez moi
Là où j’ai entendu, là
Où j’entendrai encore chanter
Le merle
Chanter le merle
Chico Buarque de Holanda. Sabiá (1968). Chico Buarque de Holanda. Sabiá (1968)

Il n’y a pas si longtemps a été publié ici même un billet sur le scandale du 3e Festival de la chanson populaire de Rio de Janeiro au cours duquel, en septembre 1968, le jury a refusé la victoire au favori du public, Geraldo Vandré, et à sa chanson Pra não dizer que não falei das flores (Caminhando) clairement dirigée contre le régime de dictature militaire en place au Brésil depuis 1964.

Des ordres, ou des recommandations expresses, avaient en effet été adressés au jury afin qu’il en soit ainsi. La colère et la frustration du public ensevelirent alors les sœurs Cynara e Cybele, interprètes de Sabiá, la chanson déclarée gagnante, sous des huées et des grondements pareils à ceux qui accueilleraient le ministre Castaner dans un congrès de gilets jaunes.

(La sabiá, ou sabiá-laranjeira, est une variété de merle typique de l’est et du sud du Brésil, présent aussi dans les pays voisins. Son nom français est « merle à ventre roux ».)

Ladite chanson ne méritait certainement pas une telle réception et ses auteurs eux-mêmes en ont été meurtris. Sabiá est l’œuvre d’Antônio Carlos (dit « Tom ») Jobim, l’un des fondateurs de la bossa nova, extrêmement célèbre au Brésil et à l’étranger, et de son cadet Chico Buarque de Holanda qui comptait déjà plusieurs albums et quelques succès à son actif.

Tom Jobim partageait alors sa vie entre le Brésil et les États-Unis où il enregistrait beaucoup. Quant à Chico Buarque, ce n’est que l’année suivante, en 1969, qu’il jugera prudent de quitter le Brésil pour l’Europe, comme Caetano Veloso ou Gilberto Gil. Les paroles de Sabiá en font pourtant une chanson d’exil avant la lettre, d’autant plus qu’elles font clairement référence à la Canção do exílio (1843) de l’écrivain brésilien Gonçalves Dias (1823- 1864), écrite en exil au Portugal :


Minha terra tem palmeiras,
Onde canta o Sabiá;
As aves, que aqui gorjeião,
Não gorjeião como lá.

Mon pays a des palmiers
Où chante le Merle ;
Les oiseaux d’ici ne gazouillent pas
Comme ceux de là-bas.
[…] […]

Não permitta Deos que eu morra,
Sem que eu volte para lá;
Sem que eu desfructe os primores
Que não encontro por cá;
Sem qu’inda aviste as palmeiras,
Onde canta o Sabiá.
Coimbra, julho 1843.

Plaise à Dieu que je ne meure pas
Avant de retourner là-bas,
Jouir encore des splendeurs
Qu’ici je ne trouve pas ;
Avant de revoir les palmiers
Où chante le Merle.
Coimbra, juillet 1843.
Gonçalves Dias (1823-1864). Canção do Exílio (1843). La graphie respecte celle de la première édition. Gonçalves Dias (1823-1864). Chanson de l’exil (1843)

Voici quelques-unes des nombreuses versions existantes de Sabiá. Celle enregistrée en 1968 par Chico Buarque lui-même d’abord, suivie d’un duo Tom Jobim – Chico Buarque capté en 1973 sur une scène de Los Angeles. Puis un autre duo, très émouvant je trouve, constitué par deux artistes portugais bien connus, Carminho et António Zambujo, à l’occasion d’un hommage à Tom Jobim dans le cadre d’un équivalent brésilien des « Victoires de la musique » en 2013. L’arrangement reprend celui de Tom Jobim, avec les réparties d’une flûte assez ravélienne. En 2016, Carminho consacrera un album à Tom Jobim (l’excellent Carminho canta Tom Jobim) en y incluant une interprétation de Sabiá. La même année paraîtra Até pensei que fosse minha, hommage d’António Zambujo à Chico Buarque.

Enfin une curiosité : Françoise Hardy était présente à Rio en 1968 lors du fameux 3e Festival Internacional da Canção où elle représentait la France lors du gala international. Elle y a entendu Sabiá, dont elle a fait faire une adaptation française – bien éloignée de l’original – à son retour. Du moins y est-il aussi question d’un oiseau : « La mésange ».

Chico Buarque | Sabiá. Chico Buarque de Holanda, paroles ; Antônio Carlos Jobim, musique.
Chico Buarque, chant ; Lindolfo Gaya, arrangements et direction. Brésil, ℗ 1968.

Tom Jobim & Chico Buarque | Sabiá. Chico Buarque de Holanda, paroles ; Antônio Carlos Jobim, musique.
Captation : Los Angeles (États-Unis), 1974.
Extrait du DVD Águas de março. Roberto de Oliveira, réalisateur ; Vinicius França, producteur artistique ; João Wainer, directeur de la photographie. Production : R.W.R., Brésil, 2005.

Carminho & António Zambujo | Sabiá. Chico Buarque de Holanda, paroles ; Antônio Carlos Jobim, musique.
Carminho & António Zambujo, chant ; Jaques Morelenbaum, arrangements et direction. Captation : Brésil, Rio de Janeiro, Theatro Municipal, juillet 2013, dans le cadre du 24e Prêmio da Música Brasileira. Brésil, 2013.


Vou voltar
Sei que ainda vou voltar
Para o meu lugar
Foi lá e é ainda lá
Que eu hei de ouvir cantar
Uma sabiá
Cantar uma sabiá

Je reviendrai
Je sais que je reviendrai
Chez moi
Là où j’ai entendu, là où
J’entendrai encore chanter
Le merle
Chanter le merle

Vou voltar
Sei que ainda vou voltar
Vou deitar à sombra
De uma palmeira
Que já não há
Colher a flor
Que já não dá
E algum amor
Talvez possa espantar
As noites que eu não queria
E anunciar o dia

Je reviendrai
Je sais que je reviendrai
Je m’allongerai à l’ombre
D’un palmier
Qui n’existe plus
Je cueillerai une fleur
Qui ne fleurit plus
Et peut-être un amour
Viendra-t-il chasser les nuits
Et annoncer le jour

Vou voltar
Sei que ainda vou voltar
Não vai ser em vão
Que fiz tantos planos
De me enganar
Como fiz enganos
De me encontrar
Como fiz estradas
De me perder
Fiz de tudo e nada
De te esquecer

Je reviendrai
Je sais que je reviendrai
Je n’aurai pas en vain
Fait autant de projets
Pour me leurrer
Que j’ai fait d’erreurs
Pour me trouver
Que j’ai pris de routes
Pour me perdre
J’ai tout fait, et rien
Pour t’oublier

Vou voltar
Sei que ainda vou voltar
Para o meu lugar
Foi lá e é ainda lá
Que eu hei de ouvir cantar
Uma sabiá
Cantar uma sabiá

Je reviendrai
Je sais que je reviendrai
Chez moi
Là où j’ai entendu, là où
J’entendrai encore chanter
Le merle
Chanter le merle
Chico Buarque de Holanda. Sabiá (1968). Chico Buarque de Holanda. Le merle, traduit de : Sabiá (1968) par L & L.

Françoise Hardy | La mésange. Frank Gérald, paroles ; Chico Buarque de Holanda, paroles originales ; Antônio Carlos Jobim, musique. Adaptation française de Sabiá (1968).
Françoise Hardy, chant ; Mike Vickers, arrangements et direction.
Extrait de l’album Comment te dire adieu (remasterisé en 2016). France, ℗ 1968, 2016.

2 commentaires leave one →
  1. Rosa permalink
    12 novembre 2019 10:48

    « gorjeiam » (pour bien s’orienter, comparer « limam » (forme du verbe « limar », « eles/elas limam » – l’accent tombe sur le « i ») avec le fuit « limão ». Le premier est un mot dit « grave » (accentué à l’avant-dernière syllabe), le deuxième est aigu (accent à la dernière syllabe). Et grand merci pour vos « posts » magnifiques!

    • 12 novembre 2019 11:04

      Oui, mais j’ai reproduit la graphie de la publication originale du poème, où « gorjeiam » est bien transcrit « gorjeião » — et « Deus », « Deos » !
      Et merci à vous de visiter le site 🙂
      Bonne journée !

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