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Place de la Bourse. 17

21 mai 2016

C’est le jour. Les voici face au Tage, tout près de ses eaux vertes, eux, ceux de la place de la Bourse et ceux, venus du Finistère et de Venise, qui sont nés devant la mer et la reconnaissent dans ce fleuve qui s’élargit en estuaire.

Sur l’indication de Raj Ahmad Sharif ils sont venus ici, dans cette ville qui regarde les eaux mouvantes de son fleuve marin, disposée sur sa rive comme une main ouverte, à la rencontre de Łukasz Kawczynski. C’est peut-être de ce lieu précis où ils se tiennent à présent, le cais das Colunas, là où la grande main de Lisbonne se baigne dans son fleuve, qu’il s’est laissé doucement glisser et emporter vers la haute mer, escorté d’un cortège de mouettes.

Dans la nuit d’Alfama ils ont entendu la voix de Łukasz Kawczynski dans celle du fado, mêlée à elle. Pour lui Anna Maria Longhi demande au ciel blanc de Lisbonne le chant du kaddish.

Bernadette Soubirous chante le fado de la mouette. « Si une mouette venait m’apporter le ciel de Lisbonne par le dessin qu’y trace son vol, ce ciel où le regard est une aile qui cesse de battre, défaille et s’abîme en mer, quel cœur parfait battrait alors dans ma poitrine, mon amour dans ta main, cette main où se logerait si parfaitement mon cœur. » Elle trouve ce fado en elle, il y est entré au cœur de la nuit d’Alfama et elle le chante, en guise de kaddish pour Łukasz Kawczynski.

Amália Rodrigues (1920-1999) | Gaivota [Mouette]. Alexandre O’Neill, paroles ; Alain Oulman, musique ; Amália Rodrigues, chant ; instrumentistes non identifiés. Vidéo : Portugal, RTP [Rádio e Televisão de Portugal] (prod.), années 1970.

Se uma gaivota viesse
Trazer-me o céu de Lisboa
No desenho que fizesse,
Nesse céu onde o olhar
É uma asa que não voa,
Esmorece e cai no mar
Que perfeito coração
No meu peito bateria,
Meu amor na tua mão,
Nessa mão onde cabia
Perfeito o meu coração.
Si une mouette venait
M’apporter le ciel de Lisbonne
Par le dessin qu’y trace son vol,
Ce ciel où le regard
Est une aile qui cesse de battre,
Défaille et s’abîme en mer
Alors quel cœur parfait
Battrait dans ma poitrine,
Mon amour dans ta main,
Cette main où se logerait
Si parfaitement mon cœur.
Se um português marinheiro,
Dos sete mares andarilho,
Fosse quem sabe o primeiro
A contar-me o que inventasse,
Se um olhar de novo brilho
No meu olhar se enlaçasse
Que perfeito coração
No meu peito bateria,
Meu amor na tua mão,
Nessa mão onde cabia
Perfeito o meu coração.
Si un marin portugais,
Revenu des sept mers du monde,
Était, qui sait, le premier
À me conter ses découvertes,
Si un regard d’un nouvel éclat
S’enlaçait à mon regard
Alors quel cœur parfait
Battrait dans ma poitrine,
Mon amour dans ta main,
Cette main où se logerait
Si parfaitement mon cœur.
Se ao dizer adeus à vida
As aves todas do céu,
Me dessem na despedida
O teu olhar derradeiro,
Esse olhar que era só teu,
Amor que foste o primeiro
Que perfeito coração
Morreria no meu peito,
Meu amor na tua mão,
Nessa mão onde perfeito
Bateu o meu coração
Si, tout près de quitter la vie
Tous les oiseaux du ciel
M’apportaient dans cet adieu
Ton ultime regard
Ce regard incomparable
De toi, amour qui fus le premier
Alors quel cœur parfait
Mourrait dans ma poitrine,
Mon amour dans ta main,
Cette main où battait
Si parfaitement mon cœur.
Alexandre O’Neill (1924-1986). Gaivota.
Alexandre O’Neill (1924-1986). Gaivota. Trad.L. & L.

À bout de forces Fañch Cosquer éclate en sanglots et se tapit dans les bras de son frère. Exténués, tous pleurent tandis que Petar se frotte à leurs jambes tout en émettant comme des miaulements parlés, inventés exprès, en signe de compassion. Ils n’ont ni vu ni entendu l’animation quotidienne de la ville reprendre et enfler derrière eux. On regarde en passant ce singulier et lamentable groupe qu’ils forment sur la rive du fleuve, à beira do rio.

Le premier, Tafsir Diongue rit des cris insolites de Petar. Ce rire qui s’allume se communique aux autres comme un feu. Rien ne le retient. Tout à coup secoués de ce rire ils ont faim, ils veulent manger, il leur faut de la nourriture et du café.

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