400e — Le fado, quel intérêt ?
Amália Rodrigues. Tudo isto é fado / Aníbal Nazaré, paroles ; Fernando Carvalho, musique ; Amália Rodrigues, chant ; Domingos Camarinha, guitare portugaise ; Santos Moreira, guitare. Enregistrement public, Olympia, Paris, 1956.
Les billets marquant les centaines, je les ai consacrés à Amália (sauf un, le 200e) : 100e : Amália invicta ; Amália & Camões. 3. Erros meus (300e). C’est une révérence nécessaire, puisque à jamais elle restera l’interprète par excellence du fado. Nul ne l’égalera : si un interprète d’un éclat et d’un génie comparables devait un jour éclore au Portugal, ce ne pourrait être que dans un genre différent.
Encore que postuler, comme on le fait généralement, qu’Amália relève purement et simplement de la catégorie « fado » ne se justifie qu’à condition de s’entendre sur ce terme même de fado. Celui d’Amália c’est le fatum, c’est-à-dire le destin de tout être. Pour Amália, chanter c’est reconnaître les forces qui s’exercent sur le cours d’une vie — la sienne comme emblème des autres vies — et le modèlent à la manière de celles qui décident du cours d’un fleuve.
Le fado (style musical) aura été son terreau et sa nourriture, mais elle ne s’est jamais souciée de « faire du fado ». Ne s’est jamais tenue ni à un style de chant, ni à un registre thématique – encore moins ne s’est laissée brider par quelque obligation de conformité que ce soit –, ne s’interdisant rien, étonnée qu’on se scandalise de ce qu’on nommait ses audaces, ou ses libertés (s’autoriser Camões, chanter les compositions d’Alain Oulman, étendre son répertoire à la chanson italienne ou française, au folklore portugais ou mexicain, etc.). Pour elle, il s’agissait seulement de donner du sens à sa carrière. De rechercher une expression toujours plus juste et plus forte de son fado à elle, c’est-à-dire de son fatum, son destin. C’est en cela qu’elle était fadiste.
À la suite d’une mésaventure personnelle survenue à Lisbonne, je me méfie désormais du fado, que j’entends avec moins d’indulgence et d’aveuglement qu’auparavant – de cécité devrais-je dire. Je ne peux plus écouter aucun des innombrables enregistrements de fado industriel de ce XXIe siècle, ni ceux des fadistes de bonne volonté mais sans réel talent d’interprète ou sans qualité de vocaliste.
Je me plais assez dans l’ancien : Alfredo Marceneiro, Hermínia Silva qui étaient les plus grands, Maria Teresa de Noronha et encore quelques autres, ceux dont le fado est une fièvre.
Alfredo Marceneiro & Lucília do Carmo. Cabelo Branco é saudade / Henrique Rêgo, paroles ; musique traditionnelle (Fado Mouraria) ; Alfredo Marceneiro & Lucília do Carmo, chant ; instrumentistes non précisés.
Quant aux contemporains, je ne me laisse plus ravir par le premier moineau venu qui pépie en portugais. Il me faut du lourd, du solide, du grave. Je trie sur le volet. Resteraient :
Lula Pena, à mon avis la seule en qui on retrouve un peu de la chair et du sang d’Amália.
Raquel Tavares (renversante dans son duo avec Pedro Jóia, malheureusement resté sans suite à ma connaissance).
Raquel Tavares & Pedro Jóia. Deste-me um beijo e vivi / Vasco de Lima Couto, paroles ; Alfredo Marceneiro, musique (Fado cravo) ; Raquel Tavares, chant ; Pedro Jóia, guitare ; Andreia Silva, réalisation. Enregistrement : Antiga fábrica da Viúva Lamego, Lisbonne, 28 novembre 2011. (A música portuguesa a gostar dela própria).
Carminho (qui bien que s’en tenant essentiellement à une réinterprétation de fados traditionnels le fait avec force, et dispose de moyens vocaux à la hauteur de son répertoire).
Et encore :
l’adorable groupe OqueStrada, qui n’a pas la renommée qu’il mérite (sa chanteuse, Marta e Miranda, pétille d’intelligence et de malice comme le faisait Hermínia Silva ; en concert, elle empoigne la scène et produit autant d’énergie qu’une centrale nucléaire ; seulement elle est sans danger pour les populations alentour, et je la crois capable de résister aux tsunamis).
OqueStrada. Senhora do Tejo / José Luís Gordo, paroles ; José Fontes Rocha, musique ; OqueStrada, groupe vocal et instrumental ; Marta Miranda, réalisation. Sony Music, 2011.
António Zambujo, bon musicien, excellent chanteur, fadiste à ses heures (mais alors quel régal !).
Mísia, qui retient du fado son rituel théâtral ; elle est remarquable en concert.
Autrement je ne vois pas. Parfois quelques bonnes surprises par ci par là… je ne demande qu’à les trouver sur ma route.
L. & L.
Edson Cordeiro. Fado Português / José Régio, poème ; Alain Oulman, musique ; Edson Cordeiro, chant ; Broder Kühne, piano. Extrait de : The woman’s voice. Allemagne, Prime records, 2009.