100e : Amália invicta
Celui-ci est le centième billet, tu te rends compte ?
Au début ce n’était pas imaginable, d’aller si loin.
Et tu sais, d’avoir ouvert ce lieu analogue à un bout de terre où installer de suite les quelques beaux rosiers qu’on a favorise inévitablement un désir d’étendre le jardin, une manie de planter et de semer, une boulimie d’exploration des catalogues en quête d’espèces connues ou non, à acclimater ici.
Tu le vois, les rosiers des premiers jours ont été rejoints au fil des semaines par d’autres plantes placées au petit bonheur, dans le premier espace vacant, au risque d’associations malencontreuses.
Ceci il faut que tu le saches : ce lieu pourtant très à l’écart de l’autoroute, mal signalé de surcroît, des visiteurs y pénètrent parfois, certains par inadvertance ou par erreur ; et cela oblige à une incessante activité d’entretien. Le mal qu’il faut se donner tu n’en as pas idée, je t’assure.
Bon allez, pas la peine de filer cette métaphore du jardin, des plantes adorées et de celles juste trouvées sympathiques, des splendides et de celles qui lassent, des moins jolies mais qu’on aime quand même ; tu vois ce que je veux dire. Ce 100e billet doit rappeler l’essentiel. Parce qu’au fond, en dépit du foisonnement actuel de ceux et celles qui se font connaître en se prévalant du fado, j’en reviens finalement à ce que j’aime depuis toujours.
Toujours, décidément, à Amália.
Elle n’est pas au commencement du fado, mais oui je le sais, t’inquiète. Des fadistes considérables, Alfredo Marceneiro (1891-1982) et Hermínia Silva (1907-1993), tiennent le haut du pavé lorsqu’elle apparaît en 1939 et leurs carrières respectives se poursuivront encore longtemps, — mais Amália est pour ainsi dire une fadiste sui generis : à partir d’elle commence le fado moderne.
Non qu’elle ait décidé de cette rupture ni qu’elle l’ait organisée, c’est seulement que le fado l’irrigue comme un fluide vital, et qu’elle a reçu en don une voix prodigieuse en même temps qu’une personnalité artistique d’exception. On ne peut même pas parler de succès dans son cas. Dès son avènement, elle est une évidence.
Si absolue est son emprise sur le fado qu’il la suit là où elle va. Or elle va là où son instinct la porte, elle prend le large, et le faisant elle étend le domaine du fado. Cela lui sera reproché jusqu’à la véhémence.
Ses contemporains, Berta Cardoso (1911-1997), Maria Teresa de Noronha (1918-1993), Lucília do Carmo (1920-1999) et d’autres, tous, même Hermínia et Marceneiro, restent sur place, encalminés. Ceux qui entament leur carrière pendant les longues décennies de sa gloire existent à grand peine. Il faudra attendre son crépuscule puis la fin de sa vie pour que d’autres voix deviennent audibles. L’espace laissé libre s’emplit alors de toutes sortes de chanteurs se réclamant du fado redevenu à la mode après la longue éclipse consécutive à la révolution des œillets.
Dans cette foule il faut trier. Tu connais mes préférences : Aldina Duarte et Carminho, merveilleuses interprètes du fado classique (« castiço »), António Zambujo et Lula Pena, les aventuriers qui comme Amália autrefois emmènent le fado vers d’autres territoires.
Estranha forma de vida / Amália Rodrigues, chant, paroles ; Alfredo Marceneiro, musique (Fado bailado). 1965.
Foi por vontade de Deus
Que eu vivo nesta ansiedade
Que todos os ais são meus,
Que é toda a minha saudade
Foi por vontade de Deus.Que estranha forma de vida
Tem este meu coração
Vive de vida perdida
Quem lhe daria o condão?
Que estranha forma de vida.Coração independente
Coração que não comando
Vives perdido entre a gente
Teimosamente sangrando
Coração independente.Eu não te acompanho mais
Para, deixa de bater
Se não sabes onde vais,
Porque teimas em correr?
Eu não te acompanho mais.Estranha forma de vida / Amália Rodrigues
L. & L.
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