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Amália Rodrigues • Não é desgraça ser pobre

17 janvier 2024

Desgraça é andar a gente
De tanto cantar já rouca
E o fado, teimosamente,
No coração e na boca.

Norberto de Araújo (1889-1952). Não é desgraça ser pobre (1952).

Le malheur, c’est de vivre ainsi,
La gorge lacérée de chanter ;
C’est de porter le fado, obstinément,
Dans son cœur, dans sa bouche.

Amália Rodrigues (1920-1999)Não é desgraça ser pobre. Norberto de Araújo, paroles ; José Joaquim Cavalheiro Júnior, musique (Fado menor do Porto) ; José Fontes Rocha, arrangement.
José Fontes Rocha & Carlos Gonçalves, guitare portugaise ; Pedro Leal, guitare ; Joel Pina, basse acoustique.
Enregistrement : Paço de Arcos (Portugal), studios Valentim de Carvalho, 1973.
Première publication dans l’album Segredo / Amália. Portugal, ℗ 1997.

Je me rends compte avec beaucoup d’étonnement que, en presque quinze ans d’existence de ce site, je n’y ai jamais évoqué ce fado, l’un des plus beaux du répertoire d’Amália Rodrigues. Não é desgraça ser pobre (« Être pauvre n’est pas une malédiction ») était aussi l’un de ceux qu’elle-même aimait le plus ; elle en a réalisé trois enregistrements de studio (en 1952, puis en 1971 et 1973, ce dernier — ci-dessus — n’ayant été publié qu’en 1997 avec d’autres inédits). Plus une captation publique en 1955, parue en 1974.

Elle aimait sans aucun doute sa belle mélodie sombre, au balancement lent typique du Fado menor dont elle est dérivée. Cette musique est connue sous le nom de Fado menor do Porto (« Fado mineur de Porto »), pour la différencier du Fado menor tout court — « le père et la mère du fado », disait Amália.

Elle aimait son texte qui parle du destin, du fatum, par essence inéluctable et qui est le thème par excellence du fado — ce mot qui signifie aussi « destin » en portugais. Amália y était particulièrement sensible.

On pourrait croire à une compétition entre les textes de certains fados pour déterminer quel serait le destin personnel le plus abominable à vivre. Dans O fado de cada um (« Le fado de chacun »), qu’elle interprétait dans le film Fado, história duma cantadeira (1947), Amália chantait ceci :

Mas a gente / Já traz o fado marcado / E nenhum mais inclemente / Do que este de ser mulher.
João Silva Tavares (1893-1964). O fado de cada um (1947).

Mais à chacun / Est assigné son propre fado / Et aucun n’est moins clément / Que le mien, qui est d’être femme.

Dans Não é desgraça ser pobre le comble du malheur est de naître sous le signe du fado (le chant), qu’il faudra porter en soi sa vie durant comme une condamnation, au regard de laquelle la pauvreté ou la folie ne sont rien. C’est évidemment un peu cousu de fil blanc.

Não é desgraça ser pobre,
Não é desgraça ser louca.
Desgraça é trazer o fado
No coração e na boca.

Être pauvre n’est pas un malheur,
Être folle n’est pas un malheur.
Le malheur, c’est de porter le fado
Dans son cœur, dans sa bouche.
A moedinha de prata
Vale menos que a de cobre.
Se a pobreza não nos mata,
Não é desgraça ser pobre.

Une monnaie d’argent
Vaut moins qu’une de cuivre.
À moins que la pauvreté nous tue,
Être pauvre n’est pas un malheur.
Nesta vida desvairada
Ser feliz é coisa pouca.
Se as loucas não sentem nada,
Não é desgraça ser louca.

Dans cette vie éperdue
Le bonheur est chose rare.
Si les folles ne sentent rien,
Être folle n’est pas un malheur.
Ao nascer trouxe uma estrela,
Nela o destino traçado.
Não foi desgraça trazê-la,
Desgraça é trazer o fado.

Avec moi est née une étoile
Qui portait en elle mon destin.
Le malheur n’était pas cette étoile,
Le malheur était le fado.
Desgraça é andar a gente
De tanto cantar já rouca
E o fado, teimosamente,
No coração e na boca.

Le malheur, c’est de vivre ainsi,
La gorge lacérée de chanter ;
C’est de porter le fado, obstinément,
Dans son cœur, dans sa bouche.

Norberto de Araújo (1889-1952). Não é desgraça ser pobre. Norberto de Araújo (1889-1952). Être pauvre n’est pas un malheur, traduit de : Não é desgraça ser pobre par L. & L.

Les deux enregistrements de Não é desgraça ser pobre réalisés en 1971 et 1973, accompagnés par le même quatuor d’instrumentistes à l’exception de la guitare classique, sont de la même veine. Amália est entrée dans sa cinquantaine, sa voix a pris de la profondeur et des teintes ambrées ou fauves tandis que son savoir-faire d’interprète s’est élevé jusqu’à son zénith : instinctivement, elle donne à chaque mot du texte son juste poids dans un chant épuré.

Ceux des années 1950 (dans lesquels le deuxième couplet est omis) ne recourent qu’à deux instrumentistes, une guitare portugaise et une guitare classique (respectivement Raul Nery et Santos Moreira dans l’enregistrement studio de 1952 ; Domingos Camarinha et Santos Moreira dans la captation du récital donné en décembre 1955 à Lisbonne, au Café Luso). La voix, qui orne avec élégance la ligne de chant, jaillit dans l’éclat et la limpidité de ses trente et quelques années.

Amália Rodrigues (1920-1999)Não é desgraça ser pobre. Norberto de Araújo, paroles ; José Joaquim Cavalheiro Júnior, musique (Fado menor do Porto) ; Santos Moreira, arrangement.
Raul Nery, guitare portugaise ; Santos Moreira, guitare.
Enregistrement : Londres (Royaume-Uni), studios EMI, 1952.
Première publication dans le disque 78 t Foi Deus ; Não é desgraça ser pobre / Amália Rodrigues. Portugal, ℗ 1952.

4 commentaires leave one →
  1. Avatar de antoinenaik
    antoinenaik permalink
    23 janvier 2024 12:33

    Effectivement la mélodie est magnifique. Et puis il y a cet envoûtant enchaînement d’accords « à l’espagnole » qu’on trouve aussi dans quelques autres fados traditionnels (Tamanquinhas, Vitória…).

    Je crois aussi que c’est le seul fado chanté par Amália où le poème prend la forme d’un quatrain glosé, à l’ancienne, ce qui en fait l’un des plus « castiços » de son répertoire. On trouve ça plus fréquemment chez Marceneiro.

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