Defesa do poeta • Natália Correia
António Antunes. Caricature de Natália Correia décorant la station Aeroporto du métro de Lisbonne.
Dans l’anthologie La poésie du Portugal : des origines au XXe siècle publiée par Chandeigne en 2021, voici la notice relative à Natália Correia :
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Née à Fajã de Baixo, sur l’île de São Miguel, dans l’archipel des Açores, Natália Correia est une figure intellectuelle emblématique de l’opposition à Salazar. Auteur de théâtre, de poésie, romans et de nombreux essais, elle fut également une activiste politique, puis députée pendant une dizaine d’années après la Révolution des œillets. Condamnée à trois ans de prison par le régime salazariste, en 1966, pour son « Anthologie de poésie érotique et satirique », son militantisme se reflète dans son œuvre, vigoureuse et polémique. Elle anima pendant des années les cercles intellectuels portugais, notamment dans les années 1950 où elle présida des « tertúlias » à Lisbonne, réunions où se pressaient écrivains, poètes, artistes, intellectuels portugais et étrangers.
Charlotte Ortiz, Correia, Natália (1923-1993), dans : Max de Carvalho (dir.), La poésie du Portugal : des origines au XXe siècle, éd. bilingue, Chandeigne, 2021, ISBN 978-2-36732-207-0, p. 1791.
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De fait, Natália avait un aspect belliqueux : le regard avertissait d’emblée que les armes étaient chargées et feraient feu sans sommation. Lors du procès de 1966, qui faisait suite à la publication de l’Anthologie de poésie érotique et satirique et qui s’est soldé pour elle par une peine de trois années de prison (transformée en une lourde amende), elle avait imaginé de déclamer pour sa défense un poème composé ad hoc, intitulé Defesa do poeta (« Défense du poète ») — projet que son avocat l’a dissuadée de mettre à exécution. Cette pièce, publiée par la suite, est devenue l’un de ses poèmes les plus connus. Le voici, dit par elle-même, lors d’une tertúlia organisée en décembre 1968 par Amália Rodrigues dans sa maison de Lisbonne, restée fameuse pour avoir été enregistrée et publiée sous la forme d’un album intitulé Amália/Vinicius. Elle réunissait, outre Amália et Natália : Vinícius de Moraes, les poètes Ary dos Santos et David Mourão-Ferreira, Alain Oulman,….
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Natália Correia (1923-1996) • Defesa do poeta. Poème de Natália Correia, dit par son autrice.
Enregistré lors d’une soirée au domicile d’Amália Rodrigues, rua de São Bento, Lisbonne, le 19 décembre 1968.
Extrait de l’album Amália/Vinicius / Amália Rodrigues, Vinicius de Moraes, Natália Correia… Portugal, ℗ 1970.
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On pense (« Ô sous-alimentés du rêve ! / La poésie, ça se mange ! ») aux véhémences de Léo Ferré, dans Il n’y a plus rien par exemple.
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Senhores jurados sou um poeta um multipétalo uivo um defeito e ando com uma camisa de vento ao contrário do esqueleto |
Messieurs les jurés je suis un poète un hurlement multipétale un défaut et j’ai au revers du squelette une chemise de vent. |
Sou um vestíbulo do impossível um lápis de armazenado espanto e por fim com a paciência dos versos espero viver dentro de mim |
Je suis un vestibule de l’impossible un crayon de stupeur accumulée et j’attends avec la patience du poème de vivre enfin au dedans de moi. |
Sou em código o azul de todos (curtido couro de cicatrizes) uma avaria cantante na maquineta dos felizes |
Je suis en code l’azur de tous (cuir tanné de cicatrices) un chant qui met en panne la petite mécanique des gens heureux |
Senhores banqueiros sois a cidade o vosso enfarte serei não há cidade sem o parque do sono que vos roubei |
Messieurs les banquiers vous êtes la ville je serai votre infarctus il n’existe pas de ville sans le parc du sommeil que je vous ai pris |
Senhores professores que pusestes a prémio minha rara edição de raptar-me em crianças que salvo do incêndio da vossa lição |
Messieurs les professeurs qui avez mis à prix ma rare édition celle où je me ravis des enfants que je sauve de l’incendie de votre leçon |
Senhores tiranos que do baralho de em pó volverdes sois os reis sou um poeta jogo-me aos dados ganho as paisagens que não vereis |
Messieurs les tyrans qui êtes les rois dans le jeu de cartes du retour à la poussière je suis un poète je me joue aux dés je gagne les paysages que vous ne verrez pas |
Senhores heróis até aos dentes puro exercício de ninguém minha cobardia é esperar-vos umas estrofes mais além |
Messieurs les héros jusqu’aux dents pur exercice de personne ma lâcheté c’est de vous attendre Quelques strophes plus loin |
Senhores três quatro cinco e sete que medo vos pôs por ordem? que pavor fechou o leque da vossa diferença enquanto homem? |
Messieurs trois quatre cinq et sept quelle peur vous a remis dans l’ordre ? Quelle terreur a fermé l’éventail de votre différence en tant qu’hommes ? |
Senhores juízes que não molhais a pena na tinta da natureza não apedrejeis meu pássaro sem que ele cante minha defesa |
Messieurs les juges vous qui ne trempez pas votre plume dans l’encre de la nature ne lapidez pas mon oiseau sans qu’il puisse chanter ma défense |
Sou um instantâneo das coisas apanhadas em delito de perdão a raiz quadrada da flor que espalmais em apertos de mão. |
Je suis un instantané des choses prises en flagrant délit de pardon la racine carrée de la fleur que vous écrasez dans vos poignées de main. |
Sou uma impudência a mesa posta de um verso onde o possa escrever ó subalimentados do sonho! a poesia é para comer. |
Je suis une impudence assise à la table d’un vers où je puisse l’écrire Ô sous-alimentés du rêve ! La poésie, ça se mange ! |
Natália Correia (1923-1993). Defesa do poeta (1966). . |
Natália Correia (1923-1993). Défense du poète, trad. par L. & L. de Defesa do poeta (1966). |
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La traduction m’a donné beaucoup de mal et je ne suis sûr de presque rien. La 5e strophe est la pire (« Messieurs les professeurs… ») et me reste hermétique. Je n’ai malheureusement trouvé aucune traduction française ; seulement deux espagnoles (dont les traducteurs respectifs se sont manifestement cassé le nez sur cette même strophe — qu’ils ont interprétée chacun à sa manière) et une italienne, qui reste assez proche de l’original et donc obscure. Et ce n’est qu’un exemple.
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