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Defesa do poeta • Natália Correia

12 novembre 2022

António Antunes. Caricature de Natália Correia décorant la station Aeroporto du métro de Lisbonne.
António Antunes. Caricature de Natália Correia décorant la station Aeroporto du métro de Lisbonne.

Dans l’anthologie La poésie du Portugal : des origines au XXe siècle publiée par Chandeigne en 2021, voici la notice relative à Natália Correia :

Née à Fajã de Baixo, sur l’île de São Miguel, dans l’archipel des Açores, Natália Correia est une figure intellectuelle emblématique de l’opposition à Salazar. Auteur de théâtre, de poésie, romans et de nombreux essais, elle fut également une activiste politique, puis députée pendant une dizaine d’années après la Révolution des œillets. Condamnée à trois ans de prison par le régime salazariste, en 1966, pour son « Anthologie de poésie érotique et satirique », son militantisme se reflète dans son œuvre, vigoureuse et polémique. Elle anima pendant des années les cercles intellectuels portugais, notamment dans les années 1950 où elle présida des « tertúlias » à Lisbonne, réunions où se pressaient écrivains, poètes, artistes, intellectuels portugais et étrangers.
Charlotte Ortiz, Correia, Natália (1923-1993), dans : Max de Carvalho (dir.), La poésie du Portugal : des origines au XXe siècle, éd. bilingue, Chandeigne, 2021, ISBN 978-2-36732-207-0, p. 1791.

De fait, Natália avait un aspect belliqueux : le regard avertissait d’emblée que les armes étaient chargées et feraient feu sans sommation. Lors du procès de 1966, qui faisait suite à la publication de l’Anthologie de poésie érotique et satirique et qui s’est soldé pour elle par une peine de trois années de prison (transformée en une lourde amende), elle avait imaginé de déclamer pour sa défense un poème composé ad hoc, intitulé Defesa do poeta (« Défense du poète ») — projet que son avocat l’a dissuadée de mettre à exécution. Cette pièce, publiée par la suite, est devenue l’un de ses poèmes les plus connus. Le voici, dit par elle-même, lors d’une tertúlia organisée en décembre 1968 par Amália Rodrigues dans sa maison de Lisbonne, restée fameuse pour avoir été enregistrée et publiée sous la forme d’un album intitulé Amália/Vinicius. Elle réunissait, outre Amália et Natália : Vinícius de Moraes, les poètes Ary dos Santos et David Mourão-Ferreira, Alain Oulman,….

Natália Correia (1923-1996)Defesa do poeta. Poème de Natália Correia, dit par son autrice.
Enregistré lors d’une soirée au domicile d’Amália Rodrigues, rua de São Bento, Lisbonne, le 19 décembre 1968.
Extrait de l’album Amália/Vinicius / Amália Rodrigues, Vinicius de Moraes, Natália Correia… Portugal, ℗ 1970.

On pense (« Ô sous-alimentés du rêve ! / La poésie, ça se mange ! ») aux véhémences de Léo Ferré, dans Il n’y a plus rien par exemple.


Senhores jurados sou um poeta
um multipétalo uivo um defeito
e ando com uma camisa de vento
ao contrário do esqueleto

Messieurs les jurés je suis un poète
un hurlement multipétale un défaut
et j’ai au revers du squelette
une chemise de vent.

Sou um vestíbulo do impossível um lápis
de armazenado espanto e por fim
com a paciência dos versos
espero viver dentro de mim

Je suis un vestibule de l’impossible un crayon
de stupeur accumulée et j’attends
avec la patience du poème
de vivre enfin au dedans de moi.

Sou em código o azul de todos
(curtido couro de cicatrizes)
uma avaria cantante
na maquineta dos felizes

Je suis en code l’azur de tous
(cuir tanné de cicatrices)
un chant qui met en panne
la petite mécanique des gens heureux

Senhores banqueiros sois a cidade
o vosso enfarte serei
não há cidade sem o parque
do sono que vos roubei

Messieurs les banquiers vous êtes la ville
je serai votre infarctus
il n’existe pas de ville sans le parc
du sommeil que je vous ai pris

Senhores professores que pusestes
a prémio minha rara edição
de raptar-me em crianças que salvo
do incêndio da vossa lição

Messieurs les professeurs qui avez
mis à prix ma rare édition
celle où je me ravis des enfants que je sauve
de l’incendie de votre leçon

Senhores tiranos que do baralho
de em pó volverdes sois os reis
sou um poeta jogo-me aos dados
ganho as paisagens que não vereis

Messieurs les tyrans qui êtes les rois
dans le jeu de cartes du retour à la poussière
je suis un poète je me joue aux dés
je gagne les paysages que vous ne verrez pas

Senhores heróis até aos dentes
puro exercício de ninguém
minha cobardia é esperar-vos
umas estrofes mais além

Messieurs les héros jusqu’aux dents
pur exercice de personne
ma lâcheté c’est de vous attendre
Quelques strophes plus loin

Senhores três quatro cinco e sete
que medo vos pôs por ordem?
que pavor fechou o leque
da vossa diferença enquanto homem?

Messieurs trois quatre cinq et sept
quelle peur vous a remis dans l’ordre ?
Quelle terreur a fermé l’éventail
de votre différence en tant qu’hommes ?

Senhores juízes que não molhais
a pena na tinta da natureza
não apedrejeis meu pássaro
sem que ele cante minha defesa

Messieurs les juges vous qui ne trempez pas
votre plume dans l’encre de la nature
ne lapidez pas mon oiseau
sans qu’il puisse chanter ma défense

Sou um instantâneo das coisas
apanhadas em delito de perdão
a raiz quadrada da flor
que espalmais em apertos de mão.

Je suis un instantané des choses
prises en flagrant délit de pardon
la racine carrée de la fleur
que vous écrasez dans vos poignées de main.

Sou uma impudência a mesa posta
de um verso onde o possa escrever
ó subalimentados do sonho!
a poesia é para comer.

Je suis une impudence assise à la table
d’un vers où je puisse l’écrire
Ô sous-alimentés du rêve !
La poésie, ça se mange !
Natália Correia (1923-1993). Defesa do poeta (1966).
.
Natália Correia (1923-1993). Défense du poète, trad. par L. & L. de Defesa do poeta (1966).

La traduction m’a donné beaucoup de mal et je ne suis sûr de presque rien. La 5e strophe est la pire (« Messieurs les professeurs… ») et me reste hermétique. Je n’ai malheureusement trouvé aucune traduction française ; seulement deux espagnoles (dont les traducteurs respectifs se sont manifestement cassé le nez sur cette même strophe — qu’ils ont interprétée chacun à sa manière) et une italienne, qui reste assez proche de l’original et donc obscure. Et ce n’est qu’un exemple.

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