Fado Triplicado. 1. Baile dos Quintalinhos
Le fado dit « triplicado » (« triplé ») est généralement — presque toujours, même — chanté sur une musique très enlevée, au rythme de marche rapide, composée par le joueur de guitare portugaise José Marques (1895?-1967?), surnommé « Piscalarete » en raison d’un défaut à l’œil (uma piscadela est un clin d’œil). José Marques était considéré comme un rival du célèbre Armando Freire, dit Armandinho (1891-1946).
On trouvera, en cherchant bien, un Triplicado dans le répertoire de nombre de fadistes. Baile dos Quintalinhos, chanté dans les années 1970 par Alcindo de Carvalho ou par António Rocha, en est un bon exemple. Ce fado, aussi nommé Venham daí raparigas d’après l’incipit du texte : Venham daí raparigas / ao Baile dos Quintalinhos, / perder a noite a dançar! (« Allez les filles, venez / Au bal des Quintalinhos, / Passer la nuit à danser ! »), est une évocation conventionnelle d’une vie de bohême idyllique dans un « autrefois » lisboète à la chronologie imprécise quoique plutôt située au XIXe siècle. Le texte, qui n’est guère avare de poncifs, puise dans un lexique obligé, où tipóia (« fiacre ») rime avec rambóia (« bohême ») :
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Depressa gente rambóia
Dançar a polca janota
Até ao romper do dia!
A seguir, temos tipóia
P’ra almoçar na Porcalhota
E jantar na Tia Iria.
Dépêchons, les fêtards !
On va danser la « polka janota »
Jusqu’au point du jour,
Puis on ira en fiacre
Déjeuner à Porcalhota
Et dîner chez Tante Iria.
Carlos Conde (1901-1981). Baile dos Quintalinhos. Extrait.
.Carlos Conde (1901-1981). Bal des Quintalinhos. Extrait, trad. par L. & L. de Baile dos Quintalinhos. Extrait.
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Carlos Conde (1901-1981), son auteur, était un prolifique parolier pour le fado.
Quant au fadiste Alcindo de Carvalho (1932-2010), il a participé dans les années 2000, aux côtés d’Argentina Santos, Celeste Rodrigues et du tout jeune Ricardo Ribeiro, au spectacle Cabelo branco é saudade de Ricardo Pais, directeur du Théâtre national de Porto, qui a tourné dans plusieurs capitales européennes — dont Paris — et dont une captation a été publiée en DVD en 2006. On y trouve une version absolument impeccable du Baile dos Quintalinhos. L’enregistrement ci-dessous a été réalisé en studio en 1973.
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Alcindo de Carvalho (1932-2010) • Baile dos Quintalinhos. Carlos Conde, paroles ; José Marques « Piscalarete », musique (Fado Triplicado). Sur certaines pochettes de disque, la musique est attribuée à João Nobre.
Alcindo de Carvalho, chant ; Francisco Carvalhinho & Armandino Maia, guitare portugaise ; José Maria de Carvalho, guitare ; Francisco Gonçalves, basse acoustique. Portugal, ℗ 1973.
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Je n’ai traduit que deux strophes du Baile dos Quintalinhos — par paresse, je dois le reconnaître, et parce que le texte est plein d’expressions idiomatiques ou référentielles qui demanderaient à être explicitées pour être comprises, ainsi que de noms de lieux qui, bien sûr, sont immédiatement évocatrices pour les Lisboètes. Ces lieux : Cacilhas, Cova da Piedade, Porcalhota,… situés sur la rive gauche du Tage, ou encore la taverne « Quebra-bilhas » (« Casse-bouteilles »), autrefois installée sur le Campo Grande (aujourd’hui bordé par la Bibliothèque nationale et l’Université), se trouvaient au XIXe siècle « fora de portas », « hors les murs » de Lisbonne. Les guinguettes (qui s’intitulaient volontiers retiros — lieux « retirés », tel le Retiro do charquinho du fado, qui se trouvait à Benfica) s’établissaient volontiers à l’extérieur des limites administratives la ville, où le vin et la nourriture, non soumis à l’octroi, étaient vendus moins cher que dans le centre.
Voici la dernière strophe du texte, suivie d’un enregistrement du Baile dos Quintalinhos par António Rocha (né en 1938) :
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Fado, toiros, vinho tinto,
Se era assim a mocidade
Como oiço dizer p’raí,
Além da pena que sinto
Até chego a ter saudades
Daquilo que nunca vi.
Fado, taureaux et vin rouge,
Si, comme je l’entends dire,
Telle était la jeunesse d’autrefois,
Je plains la mienne
Et j’ai même la nostalgie
De ce que je n’ai jamais vu.
Carlos Conde (1901-1981). Baile dos Quintalinhos. Extrait.
.Carlos Conde (1901-1981). Bal des Quintalinhos. Extrait, trad. par L. & L. de Baile dos Quintalinhos. Extrait.
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António Rocha (né en 1938) • Venham daí raparigas (Baile dos Quintalinhos). Carlos Conde, paroles ; José Marques « Piscalarete », musique (Fado Triplicado). Sur certaines pochettes de disque, la musique est attribuée à João Nobre.
António Rocha, chant ; accompagnement de guitare portugaise et de guitare (instrumentistes non identifiés). Portugal, [années 1970].
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