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Fado Triplicado. 2. La « rime triplée »

1 juin 2022

Le Baile dos Quintalinhos du billet précédent n’est en réalité « triplicado » que par sa musique. Or ce qui fait le charme du véritable fado « triplicado », c’est une structure singulière appliquée à son texte, qui lui confère un rythme caractéristique. On s’en rendra compte avec Coração bateu três vezes (« Le cœur battit trois fois »), enregistré en 1995 par Mísia sur la même musique que Baile dos Quintalinhos.

MísiaCoração bateu três vezes. Sérgio Godinho, paroles ; José Marques « Piscalarete », musique (Fado Triplicado).
Mísia, chant ; Manuel Mendes, guitare portugaise ; Fernando Alvim, guitare ; Filipe Larsen, basse acoustique ; Manuel Paulo Felgueiras, arrangement.
Extrait de l’album : Tanto menos, tanto mais / Mísia. Enregistrement : Almada (Portugal), Regiestúdio, entre avril et juin 1995. Portugal, ℗ 1995.

On perçoit à l’écoute une sorte d’agglutination des rimes, qui renforce le côté primesautier, un peu haché, du rythme de marche rapide propre à ce type de fado. C’est que le texte ici chanté applique scrupuleusement un ensemble de contraintes de versification inhérentes au véritable fado triplicado, notamment un schéma de disposition des rimes désigné sous le nom de « rima triplicada » (« rime triplée »). Voici la première strophe de ce fado (accompagnée d’une traduction littérale). On y a mis les rimes en relief :


Eu nasci quando este fado
Que é chamado triplicado
Já andava pelo seu pé.
Agora que vou cantá-lo,
Transformá-lo, respeitá-lo,
Saberei melhor quem é.

Quand je suis née, ce fado
Qu’on appelle « fado triplé »
Se tenait déjà sur ses jambes.
Maintenant que je le chante,
À ma manière, mais en le respectant,
Je vais apprendre à le connaître.

Les règles de la « rime triplée » exigent que le poème, composé de sextilhas (sizains, ou strophes de six vers), se plie à un ensemble assez amusant de contraintes quant aux rimes :

  • les deux premiers vers doivent rimer entre eux, mais une rime identique doit en outre être pratiquée à l’intérieur du second vers ;
  • même schéma pour les quatrième et cinquième vers ;
  • le troisième et le sixième vers doivent rimer entre eux .

La rime interne dans les deuxième et cinquième vers a pour effet de diviser ces vers en deux parties rimant l’une avec l’autre, précipitant ainsi le rythme du texte. Dans la transcription complète de Coração bateu três vezes que voici, on pourra vérifier que la « rime triplée » y est appliquée dans toutes les strophes, à une légère incartade près, si vénielle qu’elle passe inaperçue. La traduction ne cherche qu’à donner une idée de la teneur du texte — alors que sa véritable saveur réside ailleurs.


Eu nasci quando este fado
Que é chamado triplicado
Já andava pelo seu pé.
Agora que vou cantá-lo,
Transformá-lo, respeitá-lo,
Saberei melhor quem é.

Quand je suis née, ce fado
Qu’on appelle « fado triplé »
Se tenait déjà sur ses jambes.
Maintenant que je le chante,
À ma manière, mais en le respectant,
Je vais apprendre à le connaître.

Era um fado que em Alfama
Cada dama tinha a fama
De três vezes o cantar.
Desciam o casario
E junto ao rio, ao desafio
Desafiavam o luar.

C’était un fado qu’à Alfama
Les dames étaient réputées
Chanter trois fois.
Descendant jusqu’au fleuve,
Elles y défiaient le clair de lune
À une joute de chant.

Coração bateu três vezes
E há já meses, por revéses
Que não vêm agora ao caso,
Que não batia tão forte.
Muda o porte, vira a norte
E não voa já tão raso.

Le cœur a battu trois fois
Mais il y a longtemps,
(Dire pourquoi n’a plus d’intérêt)
Qu’il ne battait plus aussi fort.
Il change d’allure, il vire au nord
Et ne vole plus aussi bas.

Mas dos três beijos que me deste
Logo lesto retiveste
Conclusões precipitadas.
Se por ser mulher sou tua,
Desce à rua e continua,
Que outras há p’ra ser amadas.

Mais des trois baisers que tu m’as donnés
Tu as bien vite tiré
Des conclusions précipitées :
Si parce qu’étant une femme je suis à toi,
Va dans la rue et continue :
Il y en a d’autres à aimer.

E assim cantavam aquelas
Que às janelas, aguarelas
Penduravam numa aragem
E é por isso que este fado
Que é chamado triplicado
Segue em mim sempre [em] viagem.

Voilà ce que chantaient à leur fenêtre
Celles qui accrochaient
Des aquarelles au vent qui passe.
Et voilà pourquoi ce fado
Qu’on appelle « fado triplé »
Voyage toujours en moi.
Sérgio Godinho. Coração bateu três vezes (1995).
.
Sérgio Godinho. Le cœur a battu trois fois, trad. par L. & L. de Coração bateu três vezes (1995).

La « rima triplicada » peut en principe se chanter sur n’importe quelle musique adaptée. On en trouve une remontant à 1907 dans l’archive sonore du Musée du fado de Lisbonne (« Fado triplicado », par Avelino Baptista, auteur et compositeur inconnus), mais la seule utilisée depuis longtemps est celle de José Marques « Piscalarete ».

En prime, voici un autre fado triplicado, chanté sur la composition du « Piscalarete » et appliquant la « rime triplée » : Princesa prometida, d’Aldina Duarte, extrait de son album Mulheres ao espelho (« Femmes au miroir ») de 2008.

Aldina DuartePrincesa prometida. Aldina Duarte, paroles ; José Marques « Piscalarete », musique (Fado Triplicado).
Aldina Duarte, chant ; José Manuel Neto, guitare portugaise ; Carlos Manuel Proença, guitare.
Extrait de l’album : Mulheres ao espelho / Aldina Duarte. Enregistrement : Foros de Salvaterra (Portugal), studio Pé de vento, décembre 2007. Portugal, ℗ 2008.


Há um véu no meu olhar
Que a brilhar dá que pensar
Nos mistérios da beleza
Espelho meu, que aconteceu?
Do que é teu e do que é meu
Já não temos a certeza

Il y a un voile dans mon regard
Qui, lorsqu’il brille m’interroge
Sur les mystères de la beauté.
Mon beau miroir, peux-tu me dire
Ce qui est à toi, ce qui est à moi ?
Mais qui le sait vraiment ?

A moldura deste espelho
Espelho feito de ouro velho
Tem os traços d’uma flor
Muitas vezes foi partido
Prometido e proibido
Aos encantos do amor

Le cadre de ce miroir,
Un miroir fait de vieil or,
A un décor de fleur.
Que de fois il s’est brisé,
Puis fut promis, puis interdit
Aux sortilèges de l’amour !

Espelho meu, diz a verdade
Da idade da saudade
À mulher envelhecida
Segue em frente na memória
Mata a glória dessa história
Da princesa prometida

Mon beau miroir, dis la vérité
De l’âge des regrets
À cette femme vieillissante.
Descends au fond de ma mémoire,
Tue la gloire de cette histoire
De princesse de conte de fée.
Aldina Duarte. Princesa prometida (2008).
.
Aldina Duarte. Princesse de conte de fée, trad. par L. & L. de Princesa prometida (2008).

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