Mar alto • Edmundo de Bettencourt (& José Afonso)
Edmundo de Bettencourt (1899-1973), l’un des grands interprètes historiques de la « Chanson de Coimbra » (ou « Fado de Coimbra »), était aussi un poète, partisan d’une écriture libre, anti-académique et moderne. En témoigne sa collaboration aux premières années de Presença, l’une des plus importantes revues littéraires portugaises du siècle dernier, fondée en 1927 et co-dirigée par Miguel Torga.
Sa discographie est peu abondante : 16 morceaux enregistrés en deux sessions. Mar alto (« Haute mer »), composé sur un de ses poèmes par Mário Faria da Fonseca, provient de la première de ces sessions, réalisée à Porto en février 1928. Il était accompagné à la guitare portugaise par le grand Artur Paredes (1899-1980) et à la guitare par le compositeur de l’œuvre.
Sur la « Chanson de Coimbra » et sur Edmundo de Bettencourt, on trouvera des renseignements dans les billets :
- Saudades de Coimbra | Edmundo Bettencourt (et José Afonso), 26 décembre 2019
- Edmundo Bettencourt | Canção do Alentejo ; Canção da Beira Baixa (& Amália Rodrigues & Gisela João), 28 décembre 2019
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Edmundo de Bettencourt (1899-1973) • Mar alto. Edmundo de Bettencourt, paroles ; Mário Faria da Fonseca, musique.
Edmundo de Bettencourt, chant ; Artur Paredes & Albano de Noronha, guitare portugaise (de Coimbra) ; Mário Faria da Fonseca, guitare.
Enregistrement : Porto (Portugal), Palácio dos Carrancas, février 1928. Première publication : Portugal, 1928.
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Fosse o meu destino o teu,
Ó mar alto sem ter fundo!
Viver bem perto do céu,
Andar bem longe do mundo.
Que n’ai-je un destin pareil au tien,
Haute mer, ô mer sans fond !
Vivre au plus près du ciel,
Aller au plus loin du monde !
Antes as tuas tormentas
Do que todas as revoltas!
Num sólio azul te adormentas
E a soluçar nunca voltas.
Mieux valent tes tempêtes
Que toutes les révoltes !
Tu t’endors sur un trône d’azur
Et tes sanglots sont taris pour toujours.
Edmundo de Bettencourt (1899-1973). Mar alto.
.Edmundo de Bettencourt (1899-1973). Haute mer, trad. par L. & L. de Mar alto.
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José Afonso (1929-1987) ne disposait ni du souffle ni de la puissance vocale d’Edmundo de Bettencourt, auquel il rend hommage à sa manière dans son antépénultième album de studio : Fados de Coimbra e outras canções (1981). Sa voix naturelle, presque fragile, au timbre singulier, donne à ses reprises du répertoire du maître un caractère spontané bien éloigné du lyrisme opératique du modèle.
Dans sa version de Mar alto, le chanteur substitue bizarrement la rédaction originale des deux derniers vers du poème — « Num sólio azul te adormentas / E a soluçar nunca voltas » (« Tu t’endors sur un trône d’azur / Et tes sanglots sont taris pour toujours ») — par une formulation qui a de quoi laisser perplexe : « No céu azul que adormentas / A solução nunca volta » (« Dans le ciel d’azur que tu endors / La solution ne revient jamais »). À noter l’excellent et très idiomatique accompagnement de guitare portugaise d’Octávio Sérgio.
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José Afonso (1929-1987) • Mar alto. Edmundo de Bettencourt, paroles ; Mário Faria da Fonseca, musique.
José Afonso, chant ; Octávio Sérgio, guitare portugaise (de Coimbra) ; Durval Moreirinhas, guitare.
Enregistrement : Lisbonne (Portugal), Estúdios Rádio Triunfo.
Extrait de l’album : Fados de Coimbra e outras canções / José Afonso. Portugal, ℗ 1981.
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Merci beaucoup pour votre billet. J’ai toujours trouvé que « Mar alto » était l’un des plus beaux fados de Coimbra, avec sa grande phrase lyrique, les brèves éclaircies apportées par le mode majeur, et l’interprétation passionnée d’Edmundo de Bettencourt.
Pour les « écarts » textuels de José Afonso, on peut supposer qu’ils sont en partie dus à la difficulté de comprendre un enregistrement si ancien, au moins pour « solio » qui est un terme assez rare me semble-t-il et auxquels beaucoup de chanteurs substituent « sonho » ?
Je trouve votre traduction très belle. Le dernier vers me paraît légèrement surtraduit mais j’ai dû mal à vous proposer une solution qui sonne aussi bien en français. Quelque chose comme « Et tes sanglots plus jamais ne reviennent », certes moins poétique, serait peut-être plus proche de l’original, tout en gardant votre beau décasyllabe ? Ce n’est bien sûr qu’une suggestion.
Bien à vous,
Antoine
Bonjour Antoine, comme vous j’aime beaucoup Mar alto, que ce soit dans l’interprétation de Bettencourt ou dans celle, plus fiévreuse, de José Afonso, avec ses beaux contre-chants de guitare portugaise.
Bien sûr, oui, les bizarreries dans les deux derniers vers étaient probablement dues à une difficulté de déchiffrage. Le fait est que Bettencourt va jusqu’à réaliser certains « u » comme des « o » (« azol », « soloçar »). Et il fait la liaison entre « sólio » et « azul » : « num sóliazol te adormentas ». À quoi s’ajoute l’ancienneté de l’enregistrement.
Quant à la traduction : le fait est que j’ai tendance à surtraduire. Mais je crois avoir fait bien pire que dans le cas présent 🙂 Merci pour votre suggestion, qui est très bien.
Bien à vous,
Ph.