Au milieu de la foule
En medio de la multitud le vi pasar, con sus ojos tan rubios como la cabellera. Marchaba abriendo el aire y los cuerpos; una mujer se arrodilló a su paso. Yo
sentí cómo la sangre desertaba mis venas gota a gota.
Vacío, anduve sin rumbo por la ciudad. Gentes extrañas pasaban a mi lado sin verme. Un cuerpo se derritió con leve susurro al tropezarme. Anduve más y más.
No sentía mis pies. Quise cogerlos en mi mano y no hallé mis manos; quise gritar, y no hallé mi voz. La niebla me envolvía.
Me pesaba la vida como un remordimiento; quise arrojarla de mí. Mas era imposible, porque estaba muerto y andaba entre los muertos.
Luis Cernuda (1902-1963). En medio de la multitud, extrait de : Los placeres prohibidos (1931).Au milieu de la foule je le vis passer, les yeux aussi blonds que la chevelure. Il marchait fendant l’air et les corps ; une femme s’agenouilla à son passage. Moi je sentis le sang déserter mes veines goutte à goutte.
Vide, je marchais sans but dans la ville. Des étrangers passaient à mes côtés sans me voir. Un corps fondit avec un léger murmure en me heurtant. Je marchais, je marchais toujours.
Je ne sentais pas mes pieds. Je voulus les prendre dans mes mains, et ne trouvai pas mes mains ; je voulus crier, et ne trouvai pas ma voix. Le brouillard m’enveloppait.
La vie me pesait comme un remords ; je voulus m’en défaire. Mais c’était impossible, car j’étais mort et je marchais parmi les morts.
Luis Cernuda (1902-1963). Au milieu de la foule, traduit de En medio de la multitud (1931) par Jacques Ancet. Dans : Luis Cernuda. Les Plaisirs interdits, traduits par Jacques Ancet, Éditions Fata Morgana, 1981 (Dioscures). Texte original espagnol et traduction française.
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Édith Piaf (1915-1963) • La foule. Michel Rivgauche, paroles ; Ángel Cabral, musique. La musique est celle de Que nadie sepa mi sufrir (1936), une « valse péruvienne », paroles originales de Enrique Dizeo.
Édith Piaf, chant ; accompagnement d’orchestre ; Robert Chauvigny, direction. Enregistrement public : Paris, Olympia, février 1958.
Extrait de l’album Édith Piaf à l’Olympia. N° 3. France, ℗ 1958.
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À noter que Fria claridade, un fado du répertoire d’Amália Rodrigues (poème de Pedro Homem de Mello), porte sur ce même thème de la rencontre accidentelle, éblouissante et éphémère, au sein d’une foule en mouvement qui reprend aussitôt ce qu’elle semblait avoir donné. Cette foule comme un dieu tout-puissant.
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Je revois la ville en fête et en délire,
Suffoquant sous le soleil et sous la joie
Et j’entends dans la musique les cris, les rires
Qui éclatent et rebondissent autour de moi.Et perdue parmi ces gens qui me bousculent,
Étourdie, désemparée, je reste là,
Quand soudain, je me retourne, il se recule
Et la foule vient me jeter entre ses bras.Emportés par la foule qui nous traîne, nous entraîne
Écrasés l’un contre l’autre, nous ne formons qu’un seul corps
Et le flot sans effort nous pousse, enchaînés l’un et l’autre
Et nous laisse tous deux épanouis, enivrés et heureux.Entraînés par la foule qui s’élance et qui danse une folle farandole,
Nos deux mains restent soudées
Et parfois soulevés, nos deux corps enlacés s’envolent
Et retombent tous deux épanouis, enivrés et heureux.Et la joie éclaboussée par son sourire
Me transperce et rejaillit au fond de moi
Mais soudain je pousse un cri parmi les rires
Quand la foule vient l’arracher d’entre mes bras.Emportés par la foule qui nous traîne, nous entraîne,
Nous éloigne l’un de l’autre, je lutte et je me débats,
Mais le son de ma voix s’étouffe dans les rires des autres
Et je crie de douleur, de fureur et de rage et je pleure.Et traînée par la foule qui s’élance et qui danse une folle farandole
Je suis emportée au loin
Et je crispe mes poings, maudissant la foule qui me vole
L’homme qu’elle m’avait donné et que je n’ai jamais retrouvé.
Michel Rivgauche (1923-2005). La foule (1957).
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