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Aldina Duarte | Romance(s) (2015)

10 novembre 2015

Aldina Duarte | Romance(s) (2015)
Aldina Duarte | Romance(s) (2015).

Un album bien singulier que celui-ci, qui est le dernier en date d’Aldina Duarte, 48 ans, personnage éminemment sympathique de la scène du fado de Lisbonne, femme de gauche et féministe.

Aldina Duarte interprète généralement des fados traditionnels sur des textes qu’elle écrit parfois elle-même ou qu’elle commande à des paroliers de talent, s’efforçant de faire de ses albums de véritables projets artistiques articulés autour d’une thématique ou d’un fil conducteur. Ainsi par exemple de Mulheres ao espelho (« Femmes au miroir », 2008) ou de Contos de fados (« Contes de fados » – titre jouant sur la proximité avec l’expression contos de fadas, « contes de fées » –, 2011).

Un album doublement double

Romance(s) (2015), un album double, poursuit sur cette lancée. Il est construit sur un récit à épisodes, celui des vicissitudes d’un couple qui se forme, vit sa petite vie de tous les jours et se défait. Le point de vue est celui de la femme, délaissée par son mari en faveur de sa meilleure amie, plus sexy qu’elle : voici une histoire des plus banales, à peine digne d’un roman-photo. Encore s’agit-il plutôt d’une sorte de journal intime dont chacun des 14 morceaux de l’album formerait un feuillet : tout est écrit à la première personne, hormis l’épisode de la rencontre (voir plus bas) et le dernier « chapitre » du cycle, qui constitue une sorte de péroraison.

Le récit est donné deux fois. La première partie se présente musicalement comme une collection de fados traditionnels accompagnés à la guitare portugaise et à la guitare classique. L’autre contient les mêmes (paroles et musiques identiques), exécutés dans un style beaucoup plus libre, avec un accompagnement d’instruments divers, des techniques d’enregistrement et de traitement du son qui relèvent du pop, du rock ou des musiques électroniques actuelles (les arrangements sont de Pedro Gonçalves, du duo Dead Combo).

Une voix qui ne chante pas…

Est-ce par intention que la voix est mise très en avant dans la première partie, celle exécutée « comme du fado » ? Toujours est-il que l’enregistrement est sans complaisance vis-à-vis de la chanteuse dont l’émission semble blanche et morne, dépourvue de corps, de musicalité, assez poussive même dans les ornements. C’est une voix qui ne chante pas et qui produit un fado triste avec comme un pli d’amertume aux commissures ; un fado privé de cette jubilation du chant susceptible de produire un effet de catharsis. On croirait le ressassement d’une personne en dépression (ce qui est peut-être l’effet recherché). Seulement, c’est bien connu, ça n’intéresse personne dans la vraie vie ce type de récit, bien au contraire. Le fait est qu’on s’ennuie.

La seconde partie paraît plus vivante. La chanteuse y abandonne toute velléité d’interprétation « alla fadista », ce qui rend sa ligne de chant plus naturelle (et illustre a contrario, et à ses dépens, l’adage « não é fadista quem quer », c’est-à-dire : « n’est pas fadiste qui veut »).

…et d’autres si

L’étonnant, c’est que les trois collègues fadistes (Camané, Ana Moura et Filipa Cardoso) dont elle a sollicité la participation dans cette seconde partie font ce qu’on aurait attendu d’elle dans la première. C’est ainsi que les qualités vocales intrinsèques d’Ana Moura (richesse du timbre, souplesse du chant) resplendissent au détriment de la grisaille de la voix d’Aldina dans l’épisode mettant en scène une conversation entre la femme délaissée, amère et désabusée et son ancienne meilleure copine qui est aussi la suborneuse du mari volage. On n’a aucune peine à imaginer Ana Moura dans ce rôle… Il est vrai que le déséquilibre entre les présences vocales de l’une et de l’autre sert le récit. (On peut écouter ce morceau, O recomeço: cessar fogo, c’est à dire « Recommencement : cessez-le-feu », ci-dessous.)

Quant à Camané, qui interprète en solo un morceau sur un arrangement de style rock’n roll années 60, il y est absolument fadiste, comme si chez lui ça se faisait tout seul, naturellement. Détail qui n’est pas anodin : Camané est l’ex-mari d’Aldina Duarte. Or ce qu’il chante (As duas Graças: o encontro, c’est-à-dire : « Les deux Grâces : la rencontre ») est le seul épisode du récit écrit à la 3e personne et non à la 1ère : c’est comme s’il tenait le rôle de l’homme de l’histoire, de sorte que le public portugais n’a pu manquer d’attribuer – probablement à tort – une composante autobiographique à cette Romance.

Au final, j’avoue ne pas savoir à quoi m’en tenir sur cet album, ni en avoir compris le projet. Il a peut-être besoin de mûrir en moi : avec l’âge, tout est plus lent.

Aldina Duarte & Ana Moura | O recomeço: cessar fogo. Maria do Rosário Pedreira, paroles ; Pedro Rodrigues, musique (Fado Pedro Rodrigues) ; Aldina Duarte & Ana Moura, chant ; Pedro Gonçalves, arrangements, guitare électrique, guitare acoustique, contrebasse, piano, voix. Extrait de : Aldina Duarte, Romance(s) (Portugal, 2015).

Aldina Duarte
Romance(s) (2015)

Aldina Duarte | Romance(s) (2015)Romance(s) / Maria do Rosário Pedreira, paroles ; musiques de fados traditionnels ; Aldina Duarte, chant ; José Manuel Neto et Paulo Parreira, guitare portugaise ; Rogério Ferreira, guitare classique ; Pedro Gonçalves, guitare électrique, guitare acoustique, contrebasse, orgue, piano, mellotron, percussion, voix. — Production : Portugal : Sony Music Entertainment Portugal, ℗2015.

Autres interprètes : Camané, Filipa Cardoso, Ana Moura, chant ; Ainhoa Vidal, voix.
Enregistré entre décembre 2014 et janvier 2015.

2 CD : Sony Music Entertainment Portugal, 2015. — EAN 888750943125.

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