Où sont les roulettes ?
Quand on ouvre ça sent encore l’humide. On s’installe sans prendre ses aises dans la chambre de l’ouest, qui a moins l’air d’un grenier.
On ne reste pas longtemps, on vient pour rassurer la maison, lui faire savoir qu’elle n’est pas seule au monde, qu’on reviendra dès que possible, le plus souvent possible.
On se contente du peu de confort : un lit, une gazinière, de l’eau froide. On ne fait pas de cuisine sinon rudimentaire, juste cuire du riz ou des pommes de terre, on mange des tomates en salade (l’huile est catalane : « Camins de verdor »), des sardines à l’huile, du jambon cru avec des melons, des abricots, des amandes, du fromage, du boudin.
Dimanche soir à la radio ils ont repassé un très ancien Hussard sur le toit de Giono, avec Gérard Philipe et Jeanne Moreau : je n’en ai pas dormi de la nuit. Il y a une bête dans le grenier, on entend les pattes qui tapotent. À partir de sept heures, les églises de la vallée sonnent les heures l’une après l’autre, la dernière avec un décalage de dix bonnes minutes par rapport à la première. Des coqs, des chiens, un avion, des oiseaux discrets, des moteurs, un âne, l’air qui passe dans les feuilles.
On nettoie le dehors (mal outillé d’un sécateur, je fais des escaliers dans la haie, je martyrise la glycine : voilà toute mon œuvre. Incapable dans ce monde comme probablement dans les autres).
Lundi matin j’apprends à la radio qu’Albert Einstein, lorsqu’il a vu sa petite sœur pour la première fois, a demandé : Mais… où sont les roulettes ? Une claire mise en cause de l’incompétence — ou pire, de l’égoïsme — des fabricants.
On se dit que ce serait bien de s’établir dans cette maison. (Oui, mais que de travail pour la rendre habitable. De toute façon non, c’est impossible avant longtemps.)
On s’en va.
Respiration pleine avant de refermer les volets.
(On ne ferme pas les volets, nous)