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Canção com lágrimas — Manuel Alegre, Adriano Correia de Oliveira

27 Mai 2012

Manuel Alegre (né en 1936), homme politique socialiste, opposant au régime salazariste, exilé en France puis en Algérie de 1964 à 1974, s’est présenté deux fois à l’élection présidentielle portugaise (2006 et 2011). Il a été député de 1976 à 2009.

Manuel Alegre est écrivain, connu surtout pour son œuvre poétique, dans laquelle de nombreux musiciens et chanteurs (Amália Rodrigues, José Afonso et d’autres) ont puisé.

Canção com lágrimas e sol (Chanson de larmes et de soleil, publiée dans le premier recueil du poète, Praça da canção, 1965) est écrite à la mémoire du lieutenant Manuel Ortigão, son compagnon d’armes durant la guerre coloniale d’Angola, tué à 24 ans par une mine. Adriano Correia de Oliveira la mettra en musique (sous le titre Canção com lágrimas) et l’interprétera en raison d’une perte analogue, celle de son ami José Manuel Pais, comme lui étudiant à Coimbra avant d’être envoyé en Angola pour y mourir à son tour.

Canção com lágrimas / Adriano Correia de Oliveira, chant, musique ; Manuel Alegre, paroles ; Rui Pato, guitare. Enregistrement 1969. (ou http://www.youtube.com/watch?v=VUWLmuUm_tQ : meilleur son)

Canção com lágrimas e sol
Entre crochets : les variantes du texte chanté (« Canção com lágrimas ») par rapport au poème original, transcrit de : Manuel Alegre — site officiel (consulté le 26 mai 2012).

Eu canto para ti um mês de giestas [o mês das giestas]
um [o] mês de morte e crescimento ó meu amigo
como um cristal partindo-se plangente
no fundo da memória perturbada.

Eu canto para ti um [o] mês onde começa a mágoa
e um coração poisado sobre a tua ausência
eu canto um mês com lágrimas e sol: o grave mês
em que os mortos amados batem à porta do poema.

Porque tu me disseste: quem me dera em Lisboa
quem me dera em Maio. Depois morreste
com Lisboa tão longe ó meu irmão de Maio [tão breve]
que nunca mais acenderás no meu o teu cigarro.

Eu canto para ti Lisboa à tua espera
teu nome escrito com ternura sobre as águas
e o teu retrato em cada rua onde não passas
trazendo no sorriso a flor do mês de Maio.

Porque tu me disseste: quem me dera em Maio
porque te vi morrer eu canto para ti
Lisboa e o sol. Lisboa viúva (com lágrimas com lágrimas). [Lisboa com lágrimas]
Lisboa à tua espera ó meu irmão tão breve.
[Eu canto para ti Lisboa à tua espera.]
Manuel Alegre (né en 1936). Dans : Praça da canção (1965).

Je chante pour toi un mois de genêts [le mois des genêts]
Un [Le] mois de mort et de sève, ô mon ami
Comme un cristal qui se brise dans une plainte
Au fond de la mémoire perturbée.

Je chante pour toi un [le] mois où la douleur commence,
Et un cœur posé sur ton absence
Je chante un mois de larmes et de soleil : le mois grave
Où les morts aimés frappent à la porte du poème.

Car tu m’as dit : ah être à Lisbonne,
Y être en mai ! Puis tu es mort
Et Lisbonne si loin de toi, ô mon frère de mai [ô mon frère si bref]
Qui jamais plus n’allumeras ta cigarette à la mienne.

Je chante pour toi Lisbonne qui t’attend
Ton nom écrit avec tendresse sur les eaux
Et ton portrait dans chaque rue où tu ne passes pas
Avec dans ton sourire la fleur du mois de mai.

Parce que tu m’as dit : ah être en mai !
Parce que je t’ai vu mourir je chante pour toi
Lisbonne et le soleil. Lisbonne veuve (en larmes, en larmes) [Lisbonne en larmes]
Lisbonne qui t’attend ô mon frère si bref.
[Je chante pour toi Lisbonne qui t’attend.]
Manuel Alegre (né en 1936). Dans : Praça da canção (1965). Traduction L. & L.

Ce sont ces terribles années 1960. Au Portugal le peuple ignore que ce qui se déroule en Afrique est une guerre, atroce.

Je suis revenu à Lisbonne en permission une seule fois, et là, personne ne parlait de la guerre, comme si elle n’avait pas été en train de se dérouler.

C’est António Lobo Antunes qui parle, dans une série d’entretiens avec la journaliste espagnole María Luísa Blanco, en 2001 (son expérience de la guerre en Angola est plus tardive que celle de Manuel Alegre de quelques années). Il y dit encore :

Mes premiers morts, le les avais vus à l’hôpital quand j’avais seize ans, mais c’étaient des morts de chambre froide, qui étaient morts de maladie, d’accident ou de quelque chose du même genre, des morts bien différents.
Mais à la guerre, ceux qui mouraient étaient des garçons très jeunes ; les soldats avaient vingt ans, moi-même j’étais lieutenant, et j’en avais vingt-quatre, et c’étaient des morts pas du tout pareils. Nous jouions à un jeu macabre qui consistait à aller dans l’après-midi là où on avait remisé les cercueils. Je me souviens de ce petit magasin où les cercueils étaient empilés, et d’avoir dit : « Lequel sera le mien ? » Et en même temps qu’on le disait, on riait. Pourtant, quand arrivait la nuit, on commençait à être nerveux… On se mettait alors à jouer aux échecs pendant qu’on entendait les mitrailleuses.
Il y a de nombreux souvenirs, de nombreuses choses que j’ai vécues, mais je ne peux pas parler de tout, il y en a quelques-uns dont il m’est difficile de parler. Mais à côté de ces horribles circonstances, il reste des moments d’une grande beauté : ces paysages étaient incroyables, uniques, à tel point que j’aimerais beaucoup y retourner.
António Lobo Antunes (né en 1942). Dans : María Luísa Blanco. Conversaciones con António Lobo Antunes (2001). Traduit de l’espagnol par Michelle Giudicelli (Ch. Bourgois, 2004).

D’autres versions de Canção com Lágrimas existent, par exemple celle, très « bel-cantiste », de Paulo Saraiva (dans Canções com lágrimas, 1997), ou celle de Lenita Gentil, récente (dans Momentos, 2012), dans le style du fado de Lisbonne. Ou encore celle-ci, par Viviane — une chanteuse (et musicienne) d’origine niçoise :

Canção com Lágrimas / Viviane, chant ; Manuel Alegre, paroles ; Adriano Correia de Oliveira, musique. Lisbonne, 2009.

L. & L.

Manuel Alegre — site officiel

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