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Le mariage bilingue

22 août 2025

Par hasard, nous sommes entrés dans la cathédrale au moment où s’y préparait un mariage de riches (la cathédrale, pensez !).

Dans le chœur on répétait à l’aide d’un violon électrifié et d’un clavier électronique une sorte de variation sur Amazing Grace tandis que quelques jeunes hommes sapés comme pour une garden-party chez le Grand-Duc s’y dépensaient en allées et venues aux desseins aussi indéchiffrables que ceux d’une compagnie de fourmis.

De même, de grandes jeunes femmes athlétiques et joyeuses aux opulentes chevelures brunes de courtisanes florentines s’affairaient dans des robes de couleurs vives, souvent à jupes courtes semblables à celles des evzones, d’une éclatante simplicité : l’une rouge langouste, l’autre d’un bleu azur légèrement brumeux, d’autres ambre, améthyste, outremer, une autre encore, la plus remarquable, d’un vert lézard strident ornée de bouillonnés de même couleur à l’articulation des épaules.

À entendre les conversations, les apostrophes, les salutations, on comprenait que l’assemblée, qui commençait à se constituer, était bilingue. L’anglais – employé par le parti du marié, lui-même en costume et gilet crème – me paraissait sonner de la même manière que celui d’une ancienne collègue irlandaise (dont le nom de dix-huit lettres se réduisait, une fois prononcé, à deux courtes syllabes). Hypothèse confirmée par l’entrée de la famille et des invités : on y distinguait un groupe de dames entre deux âges presque toutes vêtues de robes dans le style de Laura Ashley – un peu fripées je dois dire et qui les enveloppaient du col aux chevilles comme de gros bonbons –, chaussées d’escarpins d’une laideur émouvante, coiffées de chapeaux insolites, tous ratés comme suite à une consigne. La dernière arrivée – une tante de l’imminent époux, pensions-nous – s’avançait à pas petits dans une ample tunique à semis de fleurettes sur fond vert mousse, les épaules ceintes d’une étole, à fleurs elle aussi, orange et marron, qu’un œil superficiel aurait jugé acquis auprès d’un décrochez-moi-ça. Sa chevelure cuivrée, abondante, était rassemblée en un édifice assez confus qui tenait probablement grâce à une quantité d’épingles habilement disposées, dissimulées sous la clef de voûte : un chapeau bleu-vert exigu en forme d’écuelle retournée adorné d’un petit plumet ébouriffé jaune pissenlit qui attirait les regards autant qu’un feu de circulation.

Maquillées comme pour figurer dans une fiction de la télévision, les dames irlandaises souriaient et paraissaient sympathiques. On s’étonnait presque de ne pas leur voir au bras un panier rempli de bread and butter pudding de leur propre facture. Pour un peu on les aurait embrassées en leur disant How do you do?

Les hommes je ne sais plus. C’est comme si je ne les avais pas vus.

(Tout cela est vrai.)

Sandy Denny (1947-1978)The quiet land of Érin. Joan O’Hara, adaptation en langue anglaise de la chanson traditionnelle en gaélique irlandais Árdaí Chuain ; musique traditionnelle (Irlande). Autre titre : Árd Tí Cuain
Sandy Denny, chant et guitare.
Extrait de l’émission My kind of folk du 26 juin 1968, BBC Radio 1. Production : Royaume-Uni, BBC (British Broadcasting Corporation), 1968.

7 commentaires leave one →
  1. Avatar de stj
    stj permalink
    22 août 2025 11:18

    Vraiement une artiste intéressante Sandy Denny. L’autre fois je Vous ai déjà remercie pour me l’avoir connaître. Mais cette histoire de mariage bilingue est vraiment drôle. Elle me fait penser aux tableaux de Jérôme Bosch, si jamais il vivait à notre époque

    • Avatar de L. & L.
      22 août 2025 11:43

      Je voulais vous demander (à moins que ce ne soit indiscret) : vous n’êtes plus en Pologne ?

      • Avatar de stj
        stj permalink
        22 août 2025 11:56

        Au Danemark en ce moment mais probablement je vais être en Allemagne dans un mois

      • Avatar de L. & L.
        22 août 2025 12:01

        Quelle vie !

      • Avatar de stj
        stj permalink
        22 août 2025 12:03

        Plutôt une désespoir,pas une vie 🙂

      • Avatar de stj
        stj permalink
        22 août 2025 12:09

        Non, excusez-moi,pais une désespoir mais une déception. Qui se répète

  2. Avatar de stj
    stj permalink
    22 août 2025 11:23

    ,,Le jardin des délices  » je crois 🙂

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