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Fado Anadia & Fado Pechincha. 2. Maria Teresa de Noronha

23 avril 2025

Fait suite à :

On sait comment le Fado Pechincha était réalisé à l’époque de sa création, vu que son compositeur, João do Carmo Noronha (1878-1958), qui était aussi guitariste et chanteur, a lui-même enregistré son œuvre vers la fin des années 1920. Voici :

João do Carmo Noronha (1878-1958)Fado Pechincha. Auteur des paroles inconnu ; João do Carmo Noronha, musique.
João do Carmo Noronha, chant ; accompagnement instrumental (guitare portugaise et guitare), instrumentistes non identifiés.
Première publication : 1927 ?.

Perguntei a um fadista
Se tinha religião
Apontou-me uma guitarra
E bateu no coração

J’ai interrogé un fadiste
Sur ce qu’était sa religion.
Il m’a montré une guitare
Et s’est frappé la poitrine.
Nasce o prazer de um desejo
De uma ilusão outra igual
De um sorriso nasce um beijo
De uma lágrima um coval

Le plaisir naît d’un désir,
D’une illusion en naît une autre.
D’un sourire naît un baiser,
D’une larme naît une tombe.
Eu rezo muito baixinho
Por alma da minha mãe
Minha guitarra chorando
Reza por ela também

Je prie à voix basse
Pour l’âme de ma mère.
Ma guitare qui pleure
Prie pour elle à sa manière.
Há muita gente que diz
Que um fadista é desgraçado
Eu julgo-o muito feliz
Por saber cantar o fado

On dit souvent
Que les fadistes sont malheureux.
Pour moi, ils ont le grand bonheur
De savoir chanter le fado.

Auteur inconnu. Fado Anadia (1927 ?).
Auteur inconnu. Fado Anadia, traduit de Fado Anadia (1927 ?), par L. & L.

João do Carmo Noronha était un oncle à la mode de Bretagne de l’illustre Maria Teresa de Noronha – qui n’a pas manqué, et avec quel savoir-faire, de proposer sa propre interprétation du Fado Pechincha (prononcer : pchicha, avec le i dans le nez et le a à peine formé, tirant vers un e). Pechincha signifie « bonne affaire » : « Je l’ai eu pour trois fois rien, c’était une affaire ».

Le Fado de outrora (« Fado d’autrefois ») exploite l’un des thèmes de prédilection du fado traditionnel jusque vers les années 1970 : la nostalgie du passé et, tout particulièrement, la mythification du quartier de la Mouraria, réputé être le berceau du fado. Ce quartier a été l’objet d’une « modernisation » forcenée qui l’a violemment défiguré, dans les années 1950 surtout. Dans bien des fados – dont le Fado de outrora –, la disparition de l’ancien tissu urbain de la Baixa da Mouraria (la partie basse du quartier) est présentée comme une métaphore de l’altération irrémédiable du fado castiço (« authentique ») – à moins qu’elle n’en soit la cause.

Maria Teresa de Noronha (1918-1993)Fado de outrora. Manuel Rodrigues de Sá Esteves, paroles ; João do Carmo Noronha, musique (Fado Pechincha).
Maria Teresa de Noronha, chant ; Raúl Nery, guitare portugaise ; Joaquim do Vale, guitare.
Première publication dans le disque 45 t Fado da idanha ; Fado de outrora ; Caminhos sem fim ; Fado Rio Maior. Portugal, Decca, ℗ 1959.

Fui reviver o passado
Às ruas da Mouraria
Não vi fadistas nem fado
Desde a Graça até à Guia

J’ai voulu revivre le passé
Dans les rues de la Mouraria.
Je n’ai vu ni fadistes ni fado,
Depuis la Graça* jusqu’à la Guia*.
Foi ali, onde a Severa
Cantou o fado e viveu
Mas o fado dessa era
Morreu quando ela morreu

C’est là que la Severa
Vivait et chantait le fado.
Mais le fado de ce temps-là
Est mort quand elle est morte.
O casario se aninha
Cheio de fé e virtude
Em volta da capelinha
Da Senhora da Saúde

Les maisons se serrent
Dans la foi et la chasteté
Autour le la chapelle
De Notre-Dame de la Santé.
E da velha tradição
Já pouco resta, hoje em dia
Esses tempos que lá vão
Não voltam à Mouraria

Et de l’ancienne tradition,
Que reste-t-il à présent ?
Ce temps bien révolu
Ne reviendra pas à la Mouraria !

Manuel Rodrigues de Sá Esteves. Fado de outrora [pas après 1958]. Connu aussi sous le titre : Reviver o passado Manuel Rodrigues de Sá Esteves. Fado d’autrefois, traduit de Fado de outrora [pas après 1958] par L. & L. Connu aussi sous le titre : Revivre le passé (Reviver o passado).
*La Graça est un quartier limitrophe du haut de la Mouraria ; la Guia désignait, avant les démolitions, une petite place (le « Largo da Guia ») située non loin de l’église de Notre-Dame de la Santé. Son nom évoque une église détruite en 1859. « Depuis la Graça jusqu’à la Guia » signifie : d’un bout à l’autre de la Mouraria.

On l’entend, le Pechincha de Maria Teresa de Noronha est conduit comme celui de son oncle, qui d’ailleurs reste le modèle des interprétations modernes de ce fado.

Quant au Fado Anadia (l’accent tonique tombe sur le i : Anadia) il est extrêmement ancien : sa composition, dédiée au 4e comte d’Anadia, D. José Maria de Sá Pereira e Menezes (1839-1870) – un amateur de fado –, remonte à 1860 approximativement. Son auteur se nommait José Maria Rodrigues, dit « dos Cavalinhos » parce qu’il jouait dans ces petits orchestres d’harmonie accompagnant festivités ou marches populaires (cavalinhos en portugais). Je n’ai pas découvert ses dates biographiques ; on sait de lui qu’il était un guitariste renommé.

Bien sûr on ignore comment le Fado Anadia était exécuté à l’origine. Mais on dispose d’un témoignage enregistré en 1928 par le grand joueur de guitare portugaise Armando Freire, dit Armandinho. Et – surprise – le tempo en est sensiblement plus lent que celui des versions ultérieures, même s’il s’accélère dans son dernier tiers :

Armandinho (Armando Freire, 1891-1946)Fado Conde de Anadia. José Maria Rodrigues dos Cavalinhos, musique (Fado Anadia).
Armandinho, guitare portugaise ; Georgino de Sousa, guitare.
Enregistrement : Lisbonne, Teatro São Luís, 12 octobre 1928.
Première publication dans le disque 78 t Fado Magioli ; Fado Conde de Anadia. Royaume-Uni, His Master’s Voice, 1929.

Écoutons maintenant Maria Teresa de Noronha, sur des paroles tout à fait déprimées d’Américo Marques dos Santos.

Maria Teresa de Noronha (1918-1993)Fado Anadia. Américo Marques dos Santos, paroles ; José Maria Rodrigues dos Cavalinhos, musique (Fado Anadia).
Maria Teresa de Noronha, chant ; Raúl Nery, guitare portugaise ; Joaquim do Vale, guitare ; Joel Pina, basse acoustique.
Première publication dans le disque 45 t Fado Anadia ; Fado boémio ; Fado velhinho ; Mataram a Mouraria. Portugal, Decca, ℗ 1961.

Eu sei que no céu profundo,
Nunca brilhou minha estrela
Sinto que a vida do mundo
Jamais poderei vivê-la
Je sais que dans la nuit profonde
Jamais mon étoile n’a brillé.
Je sens que la vie du monde,
Jamais je ne la vivrai.
Penso que a vida que vivo
Não passa de uma ilusão
Pois não encontro motivo
Do bater do coração
Je pense que la vie que je vis
N’est rien de plus qu’une illusion
Car je ne vois aucune raison
Qui fasse que mon cœur batte.
Creio viver sem ter vida
Viver vida sem alento
Tal como folha caída
Andando ao sabor do vento
Je vis sans avoir de vie
Je vis sans avoir de souffle
Je suis comme la feuille morte
Que le vent pousse ça et là.
Não quero sofrer a sorte
Nesta má sina contida
Prefiro pedir à morte
Que me leve à outra vida
Je ne veux pas être le jouet
Du mauvais sort que je subis.
Plutôt demander à la mort
De m’emporter dans l’autre vie.

Américo Marques dos Santos. Fado Anadia [1961 ?].
Américo Marques dos Santos. Fado Anadia, traduit de Fado Anadia [1961 ?], par L. & L.

La longue introduction instrumentale (près de 40 délicieuses secondes) est presque une citation de l’interprétation d’Armandinho, bien qu’elle adopte d’emblée le tempo rapide auquel Armandinho ne s’abandonne que vers la fin du morceau. C’est en tout cas une manière d’y faire explicitement référence. Comme toujours, Maria Teresa connaît ses classiques.

À suivre

2 commentaires leave one →
  1. Avatar de antoinenaik
    antoinenaik permalink
    23 avril 2025 12:00

    Merci beaucoup pour cette passionnante exploration du fado pechincha et de ses racines !

    On voit bien la différence avec le fado Anadia dans l’interprétation d’Armandinho : avec ce tempo lent on croirait entendre un lointain cousin du menor, puis le pechincha vient pointer le bout de son nez à la fin.

    Je trouve particulièrement savoureuse l’interprétation de João do Carmo Noronha, avec sa voix trainante, son ton plaintif, ses voyelles instables et miaulantes, à la Marceneiro. On se croirait propulsé en plein XIXe siècle.

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