Mísia, la « voix de Marie-Madeleine »

Couverture de l’album Drama box de Mísia. Liberdades poéticas, © & ℗ 2005.
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Probable que le travail de Mísia ait été mieux reconnu à l’étranger qu’au Portugal (où les fadistes ne manquaient pas et où le milieu du fado n’est guère réputé pour son goût de la nouveauté). En France par exemple, elle a représenté à elle seule le renouveau du fado dans les années 1990, lorsqu’elle y est apparue avec Tanto menos, tanto mais qui était en fait son deuxième album. Son chic, qui avait quelque chose de parisien, son personnage, son goût pour la mise en scène de soi-même, pour le rituel et les couleurs du théâtre — le noir, le rouge sombre —, son timbre assez grave rappelant celui de certaines chanteuses françaises, Juliette Gréco, Monique Morelli et d’autres, y ont toujours été accueillis avec bienveillance.
En quelque sorte elle y a pris la suite d’Amália, aidée en cela par une très bonne maîtrise de la langue française, comme on peut le constater dans deux émissions de radio, respectivement diffusées à l’origine sur France Culture et sur France Musique et disponibles aujourd’hui en podcast sur le site de Radio France (liens ci-dessous). Elle répondait en 2014, avec beaucoup d’allant, aux questions parfois floues de Laure Adler (chez qui on sent néanmoins une réelle sympathie pour son invitée) et à celles, plus techniques, de Karine Le Bail sur « la voix du fado » en 2015.
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Titre : Misia
Conversation entre Laure Adler, productrice à France Culture, et Mísia, dans le cadre de l’émission Hors-champs. Production : Radio France, 2014. Première diffusion : France Culture, vendredi 5 décembre 2014.
Durée : 44 minutes.
Titre : La voix du Fado, avec Misia
Conversation entre Karine Le Bail, productrice à France Musique, et Mísia, dans le cadre de l’émission À pleine voix. Production : Radio France, 2015. Première diffusion : France Musique, dimanche 27 décembre 2015.
Durée : 59 minutes.
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Elle y évoquait ses origines familiales luso-espagnoles, son nom de scène emprunté à Misia Sert, sa carrière atypique, la vénération qu’elle vouait à Amália Rodrigues. Son désir, étant petite, de devenir anthropologue ou trapéziste. Et sa voix, sur laquelle, je crois, elle s’est toujours illusionnée. Le fado, en tant qu’expression des vicissitudes humaines, doit être chanté non « avec une voix comme la vierge Marie », mais « avec une voix de Marie-Madeleine », dit-elle dans la seconde de ces deux émissions. Le fait est que la sienne, qui était naturellement rugueuse, surtout dans la seconde partie de sa carrière, manquait d’agilité. En témoigne son album Drama box de 2005, dédié à sa mère espagnole, qui comporte à la fois des pièces virtuoses qu’elle maîtrise difficilement (E se a morte me despisse, ou encore Yo soy Maria, extrait de « l’operita » d’Ástor Piazzolla María de Buenos Aires) et d’autres où elle est parfaitement à son aise, notamment les deux boleros d’Armando Manzanero (1934-2020), auteur compositeur interprète mexicain renommé, qui ouvrent l’album. Voici le premier d’entre eux, Ese momento.
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Mísia (1955-2024) • Ese momento. Armando Manzanero, paroles & musique ; Ricardo Dias, arrangement ; en collaboration avec José Manuel Neto, Carlos Manuel Proença, Daniel Pinto & Luís Cunha.
Mísia, chant ; José Manuel Neto, guitare portugaise ; Carlos Manuel Proença, guitare ; Daniel Pinto, basse acoustique ; Luís Cunha – violon ; António Aguiar, contrebasse ; Ricardo Dias, piano & accordéon ; Victor Villena, bandonéon.
Extrait de l’album Drama box / Mísia. Portugal, Liberdades poéticas, ℗ 2005.
Vidéo : pas d’information.
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Ese momento
Cuando tus pasos van sonando
En la escalera
Me vuelvo loca
Mi sangre hierve y mi pulso
Se acelera
Y me imagino la humedad
De tu esperado respirar
Y me estremezco de saber
Como te voy a conquistar
À ce moment
Où tes pas résonnent
Dans l’escalier
Je deviens folle,
Mon sang bout et mon cœur
S’accélère,
Je sens déjà sur moi
Ton souffle imaginé
Et je tremble car je sais
Comment je te séduirai.
Ese momento
Que considero tan
Egoístamente mio
Ese momento
Donde se acaban expresiones
Y palabras
Cuando tus manos
Se depositan en la fiebre
De mi tiempo
Ce moment,
Dont si égoïstement,
Je considère qu’il est à moi,
Ce moment
Où les paroles ne veulent plus
Rien dire,
Où tes mains
Effleurent mon pouls
Enfiévré,
Ese momento
Yo no creo que se pueda
Describir
Es llanto, risa, vida plena,
Una forma de morir
Ese momento
Te considero tan
Egoístamente mio
Ce moment,
Je ne crois pas qu’on puisse
Le décrire.
Il est larmes, rire, vie comblée,
Il est une mort.
À ce moment,
Si égoïstement,
Je considère que tu es à moi.
Ese momento
Yo lo espero siempre
Cada atardecer
Miro la puerta, ese espacio
Donde vas a aparecer
Ese momento
Te considero tan
Egoístamente mio.
Ce moment,
Je l’attends toujours.
Chaque soir
Je fixe la porte, cet espace
Où tu vas apparaître.
À ce moment,
Si égoïstement,
Je considère que tu es à moi.
… … Armando Manzanero (1934-2020). Ese momento (1987).
Armando Manzanero (1934-2020). Ce moment, traduit de : Ese momento (1987), par L. & L.
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Bel hommage à cette poétesse douée de talents multiples mis au service du fado. C’est vrai et honnête de relever que la voix pouvait être trop sollicitée, mais sur scène sa présence l’emportait. Sur l’album évoqué on retrouve le pianiste et arrangeur Ricardo Dias qui fait du bel ouvrage. A évoquer peut être un jour Ici ?
Elle était en effet une véritable « bête de scène » comme on dit. Elle y était à son aise et emmenait le public avec elle. Elle partageait ce savoir-faire avec Amália. En tout cas je trouve que sa disparition est une très lourde perte pour le fado.
Bien sûr c’est d’abord la tristesse de voir disparaitre cette artiste émouvante qui domine. Comme vous, je crois que le fado art d’interprétation a besoin de créatrice comme Misia sincère et ouverte à un univers poétique large; inutile de répéter de de copier.