La chanson du dimanche [30]

Fernand Léger (1881-1955), Le mécanicien, premier état (1918). Huile sur toile (65 x 54 cm). LaM – Lille Métropole Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut (dépôt du Musée national d’art moderne, Paris)
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Ça sent la graisse, ça sent la sueur,
Ceux qui débutent ont mal au cœur,
Mais le sam’di chasse toutes les peines,
À la caisse on touche la semaine.Ernest Dumont (1877-1941). Autour des usines (1922), extrait.
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Emma Liébel (1873-1928) • Autour des usines. Ernest Dumont, paroles ; Ferdinand Louis Bénech, musique.
Emma Liébel, chant ; accompagnement d’orchestre.
Première publication : France, 1925.
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Ça c’est de la chanson réaliste ! La voix appartient à la Paloise Aimée Médebielle, dite Emma Liébel (1873-1928), morte de la tuberculose à seulement 54 ans au terme d’une carrière extrêmement prospère, dont témoigne une discographie pléthorique aujourd’hui méconnue. Elle a pourtant créé dès 1913 l’archi-fameuse et follement pathétique chanson Les goélands de Lucien Boyer, bien avant Damia qui l’a reprise en 1930.
Les deux enregistrements ici inclus d’Autour de l’usine, une valse de 1922, diffèrent par leur longueur et leur tempo. Celui de 1925 (ci-dessus), privé du dernier couplet et de son refrain, est nettement plus lent que la version antérieure de 1924 (ci-dessous).
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Emma Liébel (1873-1928) • Autour des usines. Ernest Dumont, paroles ; Ferdinand Louis Bénech, musique.
Emma Liébel, chant ; accompagnement d’orchestre.
Première publication : France, 1924.
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Ce n’est pas un quartier rupin,
Y a pas d’hôtels, y a pas d’larbins,
Mais des ch’minées aux fumées noires
Qui sèchent la gorge et qui font boire !
Les gosses sont des hommes à quinze ans,
Car déjà, ils gagnent de l’argent
Et quand la nuit fait des coins sombres,
De partout surgissent des ombres :« C’est toi, Lulu, où c’est qu’on va ? »
Bien sûr, c’est pas à l’Opéra !………
Autour des usines,
Quand dorment les machines,
Les amoureux tendrement enlacés
Échangent des baisers !
V’là dix heures qui sonnent !
Bonsoir, ma mignonne !
Demain matin, va falloir qu’on turbine
À l’usine !………
Ça sent la graisse, ça sent la sueur,
Ceux qui débutent ont mal au cœur,
Mais le sam’di chasse toutes les peines,
À la caisse on touche la semaine.
« Demain dimanche, eh ! mon poteau,
On va faire un tour en canot! »
D’autres s’en iront, l’amour en tête,
Danser gaiement dans les guinguettes.C’est pas tout ça ! dis-donc, mon vieux !
Faut pas s’quitter comme des pouilleux.………
Autour des usines,
Quand dorment les machines,
Alors s’allume la d’vanture des bistrots
On entre au caboulot !
V’là minuit qui sonne !
Qu’va dire la patronne ?
De quoi qu’t’as peur ? N’est-ce pas toi qui turbines
À l’usine ?………
[Non chanté dans l’enregistrement de 1925 :
On entre tout gosse en se disant :
« Je n’pass’rai pas ma vie là-d’dans ! »
Mais la machine, c’est comme la femme,
On la maudit, on la réclame !
Des fois la gueuse, d’un coup d’massue
Vous casse une patte ou bien vous tue !
Les plus veinards, pour qu’ils en sortent,
Il faut qu’on les mette à la porte !Mon père François, vos ch’veux sont blancs,
Il faut vous r’poser maintenant.………
Autour des usines,
Quand roulent les machines,
On voit rôder les vieux aux pas tremblants.
Ils murmurent tristement :
Pouvoir plus rien faire
Que d’crever d’misère !
On envie l’sort des pauv’ gars qui turbinent
À l’usine !]Ernest Dumont (1877-1941). Autour des usines (1922)
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