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Berta Cardoso • Cruz de guerra

3 mai 2023

Berta Cardoso (1911-1997)Cruz de guerra. Armando [de Silva] Neves, paroles ; Miguel Ramos, musique (Fado Cruz de guerra).
Berta Cardoso, chant ; 1 guitare portugaise ; 1 guitare.
Première publication : Royaume-Uni, Columbia, 1936.


Quando vieram dizer à pobre mãe
Que o filho tinha morrido lá na guerra
Ela ajoelhou, a tremer, sentindo bem
O desgosto mais dorido que há na terra.

Quand on est venu dire à la pauvre mère
Que son fils, là-bas, était mort à la guerre,
Elle s’agenouilla, tremblante, éperdue
De la plus grande des douleurs de la terre.

Trouxeram-lhe a cruz de guerra que o seu filho
Como valente soldado merecera
E sobre ela a mãe poisou o olhar sem brilho,
Recordando o filho amado que perdera.

On lui remit la croix de guerre que son enfant,
Par sa bravoure au combat, avait méritée.
La mère y posa son regard éteint,
Pensant au fils aimé qu’elle venait de perdre.

Na cruz de guerra pegou, como quem sente
Um reconforto divino que sonhara — :
Com ternura a colocou serenamente
No berço em que pequenino o embalara.

Saisissant la médaille, elle sembla éprouver
Un divin réconfort, comme en rêve.
Tendrement, sereinement, elle la plaça
Dans le berceau où elle endormait son petit.

Pobre mãe — santa do céu em pleno inferno —,
Pôs-se a embalar o berço e a dizer :
« Dorme, dorme, filho meu o sono eterno,
Como eterna é a mina dor em te perder ».

Pauvre mère — une sainte du ciel en plein enfer !
Elle se mit à balancer doucement le berceau,
Disant : Dors, mon fils, du sommeil éternel,
Éternel comme ma douleur de t’avoir perdu.

E a pobre mãe rematou neste contraste :
« Dorme, dorme, o sono eterno, filho meu.
Por causa da cruz de guerra que ganhaste
Quantas mães estão chorando como eu. »

Et la pauvre mère, dans son malheur, de conclure :
Dors mon enfant, dors du sommeil éternel.
Pour cette croix de guerre qu’on t’a remise,
Combien de mères pleurent comme moi ?
Armando [de Silva] Neves (1899-1944). Cruz de guerra (1935). Armando [de Silva] Neves (1899-1944). Croix de guerre, trad. par L. & L. de Cruz de guerra (1935).

Il a existé des fados sur le thème de la guerre.

Non pas sur les guerres coloniales menées en Afrique par le Portugal : la censure ne laissait passer que des textes allusifs (faute, parfois, d’en avoir compris la portée). Ni sur la Seconde guerre mondiale, à laquelle le Portugal n’a pas pris part. En revanche la Première, dans laquelle le pays s’est engagé en 1916 aux côtés des Alliés, a fourni au fado passablement de matière. L’entrée en guerre, souhaitée par le Portugal (qui voyait l’Allemagne menacer l’intégrité de ses colonies africaines), a longtemps été empêchée par la Grande-Bretagne : le Corps expéditionnaire portugais n’a rejoint la France qu’en 1917. Pour autant, la participation portugaise aux combats menés sur le front des Flandres s’est soldée par un désastre humain qui a durablement marqué les esprits.

C’est ainsi que le plus célèbre des fados écrits sur ce thème date de 1935. Intitulé Cruz de guerra (« Croix de guerre »), ses paroles évoquent une mère qui reçoit, en même temps que l’annonce de la mort de son fils au front, la croix de guerre que lui a value sa bravoure au combat. Ce texte, mis en musique par le guitariste et compositeur Miguel Ramos, est immédiatement entré au répertoire de l’une des grandes vedettes du fado d’alors, la très populaire Berta Cardoso (1911-1997), qui en a tiré un si grand succès qu’elle l’a enregistré trois fois (en 1936, 1954 et 1974).

Bien que créé en pleine période salazariste, abondamment diffusé par la radio nationale, Cruz de guerra n’est ni militariste, ni nationaliste (contrairement à certains autres fados sur le même thème) : son dernier vers, pour le moins inattendu, aurait même pu lui attirer un froncement de sourcil de la censure. En 1935, son texte a remporté le 1er prix du concours littéraire de poésie organisé par le Secrétariat de la propagande nationale ; mais avec le déclenchement des guerres de libération des colonies africaines, au début des années 60, il pouvait passer pour défaitiste et le régime aurait pu juger sa diffusion inopportune. Or Berta Cardoso n’a cessé de le chanter et de l’enregistrer jusque dans les années 70.

Mais comment les autorités auraient-elles soupçonné de malice cette Berta qui avait mené à bien, par précaution, des études d’infirmière obstétricienne et qui présentait l’aspect rassurant d’une maman ordinaire et aimante ? Voyez-la, sur cette photo prise dans les années 50, serrant contre elle Amália Rodrigues dont elle accueille la tête sur sa confortable épaule tout en lui caressant les cheveux d’un geste maternel :

Celeste Rodrigues, une personne non identifiée, Berta Cardoso, Amália Rodrigues. Photo : Thurston Hopkins. Vers 1958. Coll. Caixa Geral de Depósitos. Extrait de : Amália : coração independente, Lisboa, Museu colecção Berardo, 2009.
De g. à d. : Celeste Rodrigues, une personne non identifiée, Berta Cardoso, Amália Rodrigues. Photo : Thurston Hopkins. Vers 1958. Coll. Caixa Geral de Depósitos. Extrait de : Amália : coração independente, Lisboa, Museu colecção Berardo, 2009.

Voici le deuxième des trois enregistrements de Cruz de guerra réalisés par Berta Cardoso. Elle y est accompagnée par les deux frères Ramos : Miguel (le compositeur dudit fado) à la guitare et Casimiro (lui aussi compositeur), à la guitare portugaise.

Berta Cardoso (1911-1997)Cruz de guerra. Armando [de Silva] Neves, paroles ; Miguel Ramos, musique (Fado Cruz de guerra).
Berta Cardoso, chant ; Casimiro Ramos, guitare portugaise ; Miguel Ramos, guitare.
Enregistrement : 1954.
Première publication : Portugal, 1954.

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