Place de la Bourse. 19
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Vittore Carpaccio (vers 1465 – 1525 ou 1526) | Annunciazione della Scuola di Santa Maria degli Albanesi (1504). Venezia, Galleria Franchetti della Ca’ d’Oro. Photo Sailko (CC BY-SA 3.0), via Wikimedia Commons
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Bernadette Soubirous reste à Lisbonne elle aussi, pour y vivre désormais. En peu de temps elle devient l’une des grandes fadistas de l’époque.
Dans les interviews on lui demande chaque fois « Comment avez-vous commencé ? » Elle dit qu’elle se produisait partout, même dans les bateaux qui tôt le matin font la traversée du Tage chargés de personnes aux regards fixes, aux yeux baissés. Ou bien dans des cafés, des ascenseurs, des jardins publics.
Elle chante aussi dans la mansarde donnant sur le jardin des orangers, pour Łukasz Kawczynski, pour Fañch Cosquer et pour la femme ordinaire.
Sous le nom de B. da Aparição, c’est à dire, si on veut, B. de l’Apparition, elle fait paraître son premier album auquel elle donne pour titre Livre das grades do tempo (« Libre de la prison du temps »), citant le dernier vers de Fado final, un morceau presque oublié du répertoire d’Amália qui en ouvre le programme. L’album est « offert », c’est le terme employé, « à Łukasz et Fañch, Béatrice et Dante, Anna Maria, Ifig, Raj et Ifig-Fañch, Tafsir, Annette, Edmond et Jean-Paul, Petar ». Il se clôt par une chanson française, Il n’y a pas d’amour heureux, seule concession de la fadiste à ses racines qu’elle tient d’ailleurs secrètes (un mensuel spécialisé relève sa « prononciation française trop appliquée, dépourvue de naturel »). Ce morceau-là est accompagné au piano par Tafsir Diongue, qu’on entend murmurer une deuxième voix douce et lointaine.
Les journalistes croient savoir que ce nom, B. da Aparição, a été choisi en hommage à « la grande Beatriz da Conceição ». On critique parfois ce choix, jugé de mauvais goût. Comment peut-on, si nouvelle dans ce métier où l’excellence ne s’acquiert qu’au prix d’une longue ascèse et encore, se mesurer d’emblée à l’une de ses plus illustres représentantes au point d’en usurper presque le nom ? Pire, de lui contester son propre nom, de le lui ôter, de l’en priver : puisque « Conceição » fait référence à la conception divine du Christ dans le ventre de Marie, ce nom d’« Aparição » veut de toute évidence évoquer l’apparition de l’archange Gabriel, laquelle a nécessairement précédé la Conception. Voici donc que cette effrontée se prévaut d’une sorte d’antériorité, ou de préséance, sur la grande Beatriz. Erreur, rétorquent d’autres voix : la Conception s’est produite au moment même de l’Annonciation. De l’Annonciation peut-être, reprennent les premiers, mais non pas de l’apparition de l’ange. Qu’en savez-vous, vous y étiez ? répliquent les autres. Et ainsi de suite.
Quelles foutaises, quel tas de conneries ! fulmine publiquement B. da Aparição. Ça n’a rien à voir, ni avec Beatriz da Conceição, ni avec l’archange Gabriel. Mais quoi qu’elle crie, nul ne l’entend. La dispute sur le déroulement technique de l’Annonciation atteint le Vatican. On interroge le pape Bernard, qui dit ne disposer d’aucune information particulière sur cette histoire vu qu’il n’a pas assisté à la scène lui non plus, ou alors peut-être sous la forme d’un faisan ou celle d’une libellule (un fagiano o una libellula, car l’histoire de la peinture nous enseigne que l’Annonciation s’est produite en Italie, en Toscane selon certains, à Venise ou ailleurs selon d’autres), mais que même dans ce cas il n’en a gardé aucun souvenir.
D’ailleurs l’esprit du pape Bernard, c’est-à-dire Jean-Paul Burguière, est accaparé par les préparatifs d’un événement considérable.
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Beatriz da Conceição (1939–2015) | Madrugada sem sono (1967). Goulart Nogueira, poème ; João do Carmo Noronha, musique (Fado Meia-Noite antigo / Fado Pechincha) ; Beatriz da Conceição, chant ; Quarteto de guitarras de Martinho d’Assunção (Francisco Carvalhinho e Fernando Freitas, guitare portugaise ; Martinho d’Assunção, guitare ; Liberto Conde, basse acoustique. Publié en 1967.
Na solidão a esperar-te,
Meu amor fora da lei
Mordi meus lábios sem beijos
Tive ciúmes, chorei.
Dans cette solitude à t’attendre
Mon amour que j’aime hors la loi
À me mordre mes lèvres privées des tiennes
La jalousie, et les larmes me viennent.
Despedi-me do teu corpo
E por orgulho fugi,
Andei dum corpo a outro corpo,
Só p’ra me esquecer de ti.
Résignée au manque de ton corps
Je m’en suis allée, par fierté,
Passant d’un corps à un autre corps
Croyant me déprendre de toi.
Embriaguei-me, cantei
E busquei estrelas na lama,
Naufraguei meu coração
Nas ondas loucas da cama.
Je me suis enivrée, j’ai chanté
Et j’ai fouillé la boue, y cherchant des étoiles
Et j’ai noyé mon cœur
Dans le déferlement des vagues des draps.
Ai abraços frios de raiva,
Ai beijos de nojo e fome,
Ai nomes que murmurei
Com a febre do teu nome.
Que d’étreintes glacées de rage,
Que de baisers avides, que de dégoût
Ah combien de noms murmurés
Dans le seul désir de ton nom !De madrugada sem sono,
Sem luz, nem amor, nem lei
Mordi os brancos lençóis,
Tive saudades, chorei.
Au bout de cette nuit blanche
Sans feu, sans amour et sans loi,
Je mords ces draps dans lesquels tu n’es pas
Et les larmes me viennent avec le mal de toi.
Goulart Nogueira (1924-1993). Madrugada sem sono.
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Goulart Nogueira (1924-1993). Nuit blanche, traduit de Madrugada sem sono par L. & L.
encore.
.Obrigada pela inspiraçao do seu blog .. ».eu choro…. »
Francesca
Obrigado eu!
Philippe