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Amália Rodrigues, Tosca portugaise

6 octobre 2012

Il y a 13 ans aujourd’hui qu’elle est morte.

Amália Rodrigues, Lisbonne, 1950. Photo Thurston Hopkins (collection Culturgest/CGD, Lisbonne)
Amália Rodrigues, Lisbonne, 1950. Photo Thurston Hopkins (collection Culturgest/CGD, Lisbonne)

Un aspect de la personnalité d’Amália Rodrigues qui reste mystérieux — et qui m’intrigue beaucoup je dois dire — est son rapport à la politique. Elle a toujours dit qu’elle n’y comprenait rien, qu’elle s’en fichait éperdument. Elle l’a tellement dit, c’était comme une antienne, qu’on ne sait qu’en penser. Le plus stupéfiant était son insistance à nier toute compréhension disons « politique » des quelques chansons de son répertoire dont le contenu protestataire était tellement flagrant que certaines étaient interdites par la censure salazariste. Et qu’elle n’a pas cessé de chanter pour autant.

À l’évidence utilisée par le régime salazariste parce qu’elle avait acquis rang d’icône nationale et qu’elle était devenue l’une des rares personnalités portugaises jouissant d’une renommée internationale, Amália a dû faire face, dès le lendemain de la Révolution des œillets (25 avril 1974), à des accusations parfois violentes de soutien au régime, voire de collaboration avec sa police politique,  la PIDE.

Incapable de précautions oratoires et d’autocensure « politiquement correcte » elle a dit avoir parlé au « Dr. Salazar » en deux occasions au cours de sa vie, et avoir trouvé l’homme sympathique. Cela, elle a continué à le dire même au lendemain de la révolution, au plus fort des attaques qui la visaient, ajoutant dans la même phrase éprouver autant de sympathie pour Álvaro Cunhal (1913-2005), leader du PCP (Parti communiste portugais). Elle a par ailleurs participé, un peu comme Barbara l’a fait pour Mitterrand en 1981, à la campagne du socialiste Mário Soares pour sa réélection à la présidence de la république en 1991.

Pour le régime salazariste elle était plus ou moins communiste : « Nos arquivos da PIDE, a Amália era descrita como ‘simpatizante do Partido Comunista’. » (Dans les archives de la PIDE, Amália était considérée comme une sympathisante du Parti communiste) note Bruno de Almeida, réalisateur du film The Art of Amália (2000), cité par Jean-François Chougnet (alors directeur du musée Berardo de Lisbonne) dans Um livre pensamento, un des articles de l’ouvrage collectif Amália, coração independente paru à l’occasion de l’exposition éponyme (Museu Colecção Berardo, 2009, p. 65).

Dans le même article, p. 64, Jean-François Chougnet cite Carlos Carvalhas, alors secrétaire général du PCP, déclarant dans le quotidien Público du 8 octobre 1999 : « as ajudas indirectas de Amália ao PCP eram um « facto conhecido » no interior do partido, mas nunca oficialmente » (les aides indirectes d’Amália au PCP étaient un « fait connu » à l’intérieur du parti, mais jamais admis officiellement).

Et de citer un passage d’une interview donnée quatre ans plus tôt (le 30 juillet 1995) au même Público par une autre dirigeante du PCP, Alda Nogueira (1923-1998) : « já na clandestinidade, acompanhada de outros dirigentes do PCP, bateu à porta de Amália Rodrigues, então uma vedeta, para ajusar [sic] grevistas […] A Amália abriu o cofre e deu-nos todo o dinheiro » (déjà dans la clandestinité, accompagnée d’autres dirigeants du PCP, j’ai frappé à la porte d’Amália Rodrigues, qui était alors une vedette, pour obtenir de l’aide pour des grévistes […]. Amália a ouvert son coffre et nous a donné tout ce qu’il contenait).

En vérité elle n’était selon toute vraisemblance ni fasciste ni communiste. Les actes politiques semblaient pour elle sans lien avec les personnes qui les accomplissaient. Ce qui lui importait avant tout et plus que tout c’était son art. Pour le reste, peu encline à tourner sept fois sa langue avant de parler elle ne s’embarrassait pas de périphrases, à son corps défendant.

J’ai vécu d’art, j’ai vécu d’amour, je n’ai jamais fait de mal à âme qui vive. D’une main discrète, j’ai soulagé toutes les misères dont j’ai été témoin […]
Dans cette heure de douleur, pourquoi, pourquoi Seigneur, pourquoi m’en récompenses-tu ainsi ?

Cette prière aurait pu naître d’elle : une Tosca portugaise.

Giacomo Puccini (1858-1924). Vissi d’arte, extrait de Tosca (1900). Maria Callas (1964, Covent Garden).
Livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa, d’après la pièce de Victorien Sardou ; musique de Giacomo Puccini ; Maria Callas, soprano (Floria Tosca) ; orchestre et chœurs du Royal Opera House, Covent Garden ; direction Carlo Felice Cillario. Captation : Londres, Royal Opera House, Covent Garden, 9 février 1964, mise en scène Franco Zeffirelli.

Vissi d’arte, vissi d’amore,
non feci mai male ad anima viva!
Con man furtiva
quante miserie conobbi aiutai.
[…]
Nell’ora del dolore,
perché, perché, Signore,
perché me ne rimuneri così?

Évidemment Maria Callas s’impose ici, elle dont la voix déjà déclinante bouge et vibre beaucoup dans cette célèbre captation du 2e acte de Tosca à Covent Garden en 1964.

Celle d’Amália allait connaître le même sort, une longue agonie de vingt ans dont le commencement coïncide à peu près avec la Révolution des œillets.

L. & L.

À suivre dans : Meu amor é marinheiro — Amália Rodrigues, Alain Oulman, Manuel Alegre

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