La chanson du dimanche [101]. Les vendredis
Les Verdurin n’invitaient pas à dîner : on avait chez eux « son couvert mis ». Pour la soirée, il n’y avait pas de programme. Le jeune pianiste jouait, mais seulement si « ça lui chantait », car on ne forçait personne et comme disait M. Verdurin : « Tout pour les amis, vivent les camarades ! » Si le pianiste voulait jouer la chevauchée de La Walkyrie ou le prélude de Tristan, Mme Verdurin protestait, non que cette musique lui déplût, mais au contraire parce qu’elle lui causait trop d’impression. « Alors vous tenez à ce que j’aie ma migraine ? Vous savez bien que c’est la même chose chaque fois qu’il joue ça. Je sais ce qui m’attend ! Demain quand je voudrai me lever, bonsoir, plus personne ! » S’il ne jouait pas, on causait, et l’un des amis, le plus souvent leur peintre favori d’alors, « lâchait », comme disait M. Verdurin, « une grosse faribole qui faisait s’esclaffer tout le monde », Mme Verdurin surtout, à qui – tant elle avait l’habitude de prendre au propre les expressions figurées des émotions qu’elle éprouvait – le docteur Cottard (un jeune débutant à cette époque) dut un jour remettre sa mâchoire qu’elle avait décrochée pour avoir trop ri.
Marcel Proust (1871-1922). Du côté de chez Swann. 2e partie. Un amour de Swann (1913).
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Julien Clerc (né en 1947) • Les vendredis. Maurice Vallet, paroles ; Julien Clerc, musique ; Jean-Claude Petit, arrangement.
Julien Clerc, chant ; accompagnement d’orchestre ; Jean-Claude Petit, direction.
Première publication : disque 45t Le delta ; Les vendredis ; Yann et les dauphins ; La petite sorcière malade / Julien Clerc. France, Pathé-Marconi, ℗ 1969.
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Je faisais partie
Du cercle des amis
Qui se tenait le vendredi
Quand le couvert était mis, était misNous parlions de Chopin,
De son curieux destin,
Et des autres salons voisins,
A l’ennui trop malsain, trop malsainEt le jeune pianiste jouait
Tout ce qu’il voulait
Sauf l’envolée des Walkyries
Qui faisait trop de bruit, trop de bruitIl y avait là
Quelques femmes du monde
Et un peintre parfois connu
Qui faisait rire son monde, rire son mondeOn aimait les cartes des jeux
Entre nous bien entendu
Et l’on ne trichait plus
Chacun se croyait heureux, croyait heureuxEt le jeune pianiste jouait
Tout ce qu’il voulait
Sauf le prélude à Tristan
Qui navrait trop de gens, trop de gensIl y avait toujours
Quelque chose à fêter
Tout le long de l’année
Les occasions étaient bonnes, étaient bonnesL’alcool était meilleur
La maison était chaude
Nous partions pour ailleurs
Dans le matin souillé, matin souilléEt le jeune pianiste dormait
La tête sur son clavier
Surpris par le sommeil
Au Crépuscule des dieux, des dieux, des dieux !Maurice Vallet (1946-2017). Les vendredis (1969).
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