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Amália à Abbey Road (1952). Grão de arroz

13 septembre 2024

Couverture du CD Abbey Road 1952 d'Amália Rodrigues. Valentim de Carvalho, 1992.
Couverture du CD Abbey Road 1952 d’Amália Rodrigues. Valentim de Carvalho, 1992.

Ont-ils, pour accéder aux studios EMI de Londres, franchi en file indienne le fameux zebra crossing d’Abbey Road, Amália en tête, suivie de ses deux guitaristes, Raul Nery et Santos Moreira ? Elle en manteau de fourrure, coiffée peut-être d’un carré de soie replié en triangle et noué sous le menton car c’est le mois de mars et c’est la froide Angleterre, eux tâchant de se blottir dans leurs pardessus sombres et sous leurs chapeaux mous ? Possible. Mais nul ne s’est préoccupé de photographier le cortège.

Car en mars 1952, au début de sa collaboration avec la maison de disques Valentim de Carvalho (filiale de la firme anglaise EMI), Amália a bel et bien enregistré aux studios d’Abbey Road — rendus soudain fameux en 1969 par un album des Beatles.

Le studio avait été retenu pour une durée de deux jours. Or voici que, dès le début de la session, insatisfaite de la manière dont sa voix sonnait, elle décide purement et simplement d’arrêter l’enregistrement et d’annuler la journée entière. Caprice de diva ? Elle-même raconte l’anecdote :

Ao princípio ia gravar em Londres. Uma vez, cheguei lá, fiz um ai e disse que nesse dia não podia gravar […]. O estúdio estava alugado por dois dias e aquilo para os ingleses, que são todos organizados, pagam os estúdios caríssimos, têm os técnicos e isso tudo, nem era coisa em que acreditassem. Em Inglaterra, uma pessoa com estúdio marcado, ou está doente ou canta. Mas eu comecei a cantar, não gostei de me ouvir, sabia que não podia gravar. Ficaram quase ofendidos. Diziam que aquele bocadinho não tinha chegado para aquecer a voz. Eu sabia que não estava nos meus dias e o dia seguinte cheguei lá e gravei tudo o que tinha para gravar. Mais de vinte coisas.

Vítor Pavão dos Santos, Amália, uma biografia, 2a ed., Ed. Presença, 2005, ISBN 972-23-3468-9, p. 153.

Au début j’allais enregistrer à Londres. Une fois, j’arrive au studio, je commence et je dis que je ne vais pas pouvoir enregistrer ce jour-là […]. Le studio était loué pour deux jours et les Anglais, qui sont des gens organisés, qui paient très cher les studios, avec les techniciens et tout ça, ne pouvaient même pas imaginer une chose pareille. En Angleterre, quand on a un studio retenu, soit on est malade, soit on chante. Mais moi j’ai commencé à chanter, ce que je faisais ne m’allait pas, je savais que je ne pouvais pas enregistrer. Ils étaient presque vexés. Ils disaient qu’un essai aussi court n’était pas suffisant pour se chauffer la voix. Moi je savais que je n’étais pas dans un bon jour. Le lendemain j’ai enregistré tout le programme prévu. Plus de vingt titres.

Vítor Pavão dos Santos, Amália, uma biografia, 2a ed., Ed. Presença, 2005, ISBN 972-23-3468-9, p. 153. Non traduit (traduction L. & L.).

« Plus de vingt titres », non : dix-neuf exactement, presque tous enregistrés en une seule prise, rapportera plus tard le guitariste Raul Nery. Le tout est paru à l’époque sur des disques 78 tours, avant d’être rassemblé en 1992 dans un album intitulé, avec un certain à-propos : Abbey Road 1952.

Dix-neuf morceaux donc, composant un programme éclectique dont le fado ne représente qu’une moitié : quelques fados traditionnels (notamment Há festa na Mouraria et le splendide Não é desgraça ser pobre), des « fados-chansons » parmi lesquels Tudo isto é fado et Foi Deus — l’un des plus grands succès d’Amália — et une ballade de Coimbra (Fado Hilário) ; avec ça des chansons brésiliennes, des espagnoles, et une à peu près inclassable : Grão de arroz (« Grain de riz »).

Amália Rodrigues (1920-1999)Grão de arroz. José Belo Marques, paroles & musique.
Amália Rodrigues, chant ; Raúl Nery, guitare portugaise ; Santos Moreira, guitare.
Enregistrement : Londres, studios EMI (Abbey Road), 1952.
Première publication dans le disque 78 t Malmequer pequenino ; Grão de arroz / Amália Rodrigues. Portugal, Columbia, ℗ 1952.

O meu amor é pequenino como um grão de arroz
É tão discreto que ninguém sabe onde mora
Tem um palácio de oiro fino aonde Deus o pôs
E onde eu vou falar de amor a toda hora

Mon amour n’est pas plus grand qu’un grain de riz,
Et si discret que personne ne sait où il vit.
Il a un palais d’or fin où l’a mis le bon Dieu
Et moi j’y vais toujours pour lui parler d’amour.
Cabe no meu dedal, tão pequenino é
E tem o sonho ideal de esperança e fé
É descendente de um sultão, talvez do rei Saúl
Vive na casa do botão do meu vestido azul.

Il est si petit qu’il tient dans mon dé à coudre
Comme un rêve idéal d’espoir et de foi.
Il descend d’un sultan, peut-être du roi Saül,
Il vit dans la maison du bouton de ma robe bleue.
Ai, quando o amor vier
Seja o que Deus quiser.

Ah, quand l’amour viendra,
Advienne que pourra !
O meu amor é pequenino como um grão de arroz
Tem um palácio que o amor aos pés lhe pôs.

Mon amour n’est pas plus grand qu’un grain de riz,
Il a un palais que l’amour a placé à ses pieds.
Ai, quando o amor vier
Seja o que Deus quiser.

Ah, quand l’amour viendra,
Advienne que pourra !
O meu amor tem um perfume que saiu da flor
Anda envolvido no meu lenço de cambraia
E vem falar ao meu ouvido com tamanho ardor
Que tenho medo que da orelha me caia.

Mon amour a un parfum qui vient d’une fleur,
Tout enveloppé dans mon mouchoir de batiste
Il vient me parler à l’oreille avec une telle ardeur
Que j’ai peur qu’il en dégringole.
Só eu sei traduzir o seu pensar
Sorri, se vê sorrir o meu olhar

Moi seule je connais ses pensées.
Il sourit quand il voit mes yeux sourire.
O meu amor tem um anelo que a paixão lhe pôs
É tão pequeno como um pequenino grão de arroz

Mon amour s’enflamme et brûle de désir
Il est minuscule comme un tout petit grain de riz.

José Belo Marques (José Ramos Belo Costa Marques du Boutac ; 1898-1987). Grão de arroz (1948).
José Belo Marques (José Ramos Belo Costa Marques du Boutac ; 1898-1987). Grain de riz, traduit de : Grão de arroz (1948), par L. & L.

Cette chanson pittoresque est l’œuvre, paroles et musique, d’un homme aussi polyvalent qu’un couteau suisse. José Belo Marques (1898-1987), de son nom complet José Ramos Belo Costa Marques du Boutac (du Boutac !), était violoncelliste, chef d’orchestre, compositeur, et savait aussi écrire des paroles de chansons. Grão de arroz n’a pas été écrit pour Amália mais pour une soprano légère nommée Maria Adalgisa (Maria Adalgisa Costa Rodrigues, disparue en 2006), qui a créé la chanson en 1948 à la radio, avec accompagnement d’orchestre, sous la direction du compositeur.

Maria Adalgisa (19..-2006)Grão de arroz. José Belo Marques, paroles & musique.
Maria Adalgisa, chant ; Orquestra de Salão da Emissora Nacional ; José Belo Marques, direction.
Enregistrement : Lisbonne, Emissora Nacional, 1948.
Première publication dans l’album Concerto histórico 1948. Portugal, Estoril, ℗ 1996.

C’est bien sûr la version d’Amália qui s’est imposée, ne serait-ce que grâce au disque — celle de Maria Adalgisa, étant destinée à la radio, n’a été publiée qu’en 1996.

On connaît deux autres enregistrements de cette chanson par Amália. Celle, d’abord, avec les mêmes instrumentistes qu’à Londres, effectuée en 1951 dans un studio presque improvisé au premier étage de la maison Valentim de Carvalho, à Lisbonne, davantage comme une maquette que pour être publiée. (En tout, sept des titres enregistrés à Londres avaient ainsi été « rôdés » un an plus tôt à Lisbonne.)

Amália Rodrigues (1920-1999)Grão de arroz. José Belo Marques, paroles & musique.
Amália Rodrigues, chant ; Raúl Nery, guitare portugaise ; Santos Moreira, guitare.
Enregistrement : Lisbonne, Établissements Valentim de Carvalho, 97-99, rua nova do Almada, 1951.
Première publication dans l’album No Chiado / Amália. Portugal, Edições Valentim de Carvalho, ℗ 2014.

L’enregistrement de 1951 n’a été publié qu’en 2014. En revanche une version plus tardive, enregistrée à Paris en 1955, a figuré la même année sur un disque 33 tours 25 cm diffusé en France et dans d’autres pays.

Amália Rodrigues (1920-1999)Grão de arroz. José Belo Marques, paroles & musique.
Amália Rodrigues, chant ; Domingos Camarinha, guitare portugaise ; Santos Moreira, guitare.
Enregistrement : [Paris, 1955].
Première publication dans l’album Fallaste corazon ; Por un amor ; Grão de arroz… [etc] / Amália Rodrigues. France, Columbia, ℗ 1955.

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  1. Avatar de antoinenaik
    antoinenaik permalink
    13 septembre 2024 14:22

    J’ai réécouté hier soir cet album de 1952. En plus de son éclectisme musical et du chant très virtuose d’Amália (jouant encore plus sur les mélismes et les suspensions rythmiques que de coutume), ce qui m’a frappé c’est son caractère plutôt enjoué, comparé au reste de sa discographie. Le morceau que vous commentez en donne assez bien le ton.

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