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Carlos do Carmo

3 janvier 2021

Carlos do Carmo (1939-2021) au Concours Eurovision de la chanson 1976, La Haye (Pays-Bas), 3 avril 1976. Photo Rob Mieremet / Anefo (Domaine public)
Carlos do Carmo (1939-2021) au Concours Eurovision de la chanson 1976, La Haye (Pays-Bas), 3 avril 1976. Photo Rob Mieremet / Anefo (Domaine public)

Au Portugal, le premier mort célèbre de l’année est le fadiste Carlos do Carmo, disparu au matin du 1er janvier, quelques jours après son quatre-vingt-unième anniversaire. Bien qu’ayant pris congé de la scène en novembre 2019, il travaillait encore, semble-t-il, à la publication d’un nouvel album studio.

Né en 1939, fils de la grande fadiste Lucília do Carmo (1919-1998), il s’était lui aussi mis au fado en 1964, d’abord avec une certaine réticence, après des études d’hôtellerie en Suisse. À sa mort il restait donc l’un des derniers fadistes — en tout cas le seul ayant statut de vedette — dont la carrière ait débuté sous l’ancien régime. Son répertoire d’avant la Révolution des œillets (1974) ne trahit guère les sympathies pour le Parti communiste portugais dont il se prévalait. On y trouve même, en 1969, un enregistrement de Uma casa portuguesa (« Une maison portugaise »), cette apologie de la « joie de la pauvreté », popularisée par Amália Rodrigues et qui deviendra, après 1974, un argument à charge contre la chanteuse accusée des pires compromissions avec le régime salazariste.

Du moins, alors que le fado, considéré dès lors comme l’un des oripeaux les plus détestables de la période de dictature, se voyait désormais voué à l’abomination au point que pratiquement aucun nouvel artiste ne s’y est risqué jusqu’à Mísia en 1991, Carlos do Carmo a-t-il pu continuer sans encombre sa carrière. En 1976 il représente son pays au Concours Eurovision de la chanson avec Flor de verde pinho, sur un poème de Manuel Alegre, puis publie l’année suivante Um homem na cidade (1977), l’un de ses albums les plus célèbres, dont tous les textes sont signés José Carlos Ary dos Santos (1936-1984), membre du Parti communiste portugais depuis 1969.

Alors que la nouvelle génération des fadistes qui se constitue à la suite de Mísia s’inspire essentiellement de l’art et du type de répertoire d’Amália Rodrigues, Carlos do Carmo maintient une tradition plus proche du fado ancien. Doté d’une voix au timbre singulier, il avait cette qualité d’élasticité et de nervosité du chant, presque introuvable aujourd’hui, héritée d’artistes tels que Alfredo Marceneiro ou Lucília do Carmo, sa mère.

Voici, en trois chansons, une rapide évocation du large répertoire de Carlos do Carmo, en commençant par l’un de ses titres les plus connus : Lisboa menina e moça (« Lisbonne demoiselle et jeune fille »), dans la version de 1978 où les guitares ont heureusement remplacé l’accompagnement d’orchestre de la version originale.

Carlos do Carmo (1939-2021)Lisboa menina e moça. José Carlos Ary dos Santos, Fernando Tordo & Joaquim Pessoa, paroles ; Paulo de Carvalho, musique.
Carlos do Carmo, chant ; António Chainho & António Luís Gomes, guitare portugaise ; Martinho d’Assunção, guitare ; José Maria Nóbrega, basse acoustique.
Extrait de l’album Dez fados vividos / Carlos do Carmo. Portugal, 1978.

Carlos do Carmo, surtout à la fin de sa carrière, a multiplié les collaborations avec d’autres chanteurs, qu’il invitait sur ses propres enregistrements — ou qu’il rejoignait sur les leurs. Cette participation, en 2017, à un album du guitariste João Gil, avec le célèbre poème Il pleure dans mon cœur tiré des Romances sans paroles de Verlaine mis en musique par João Gil lui-même, témoigne de l’éclectisme du fadiste. Il y fait preuve d’une diction et d’une prononciation du français absolument remarquables, malheureusement gâchées par une malencontreuse faute de liaison, sur le vers « Sans amour et sans haine ».

Carlos do Carmo (1939-2021)Il pleure dans mon cœur. Poème de Paul Verlaine ; João Gil, musique. Poème de Verlaine extrait du recueil Romances sans paroles (1874).
Carlos do Carmo, chant ; Ruben Alves, piano ; João Gil, guitare classique ; Miguel Amado, contrebasson ; Carlos Miguel Antunes, batterie. Enregistrement : Lisbonne, studio Namouche.
Extrait de l’album João Gil por / interprètes divers. Portugal, ℗ 2017.

Voici enfin Morrer de ingratidão (« Mourir d’ingratitude »), extrait du très bel album sans titre, enregistré en duo avec la grande pianiste Maria João Pires en 2012 et publié la même année.

Maria João Pires & Carlos do Carmo (1939-2021)Morrer de ingratidão. Vasco Graça Moura, paroles ; António Victorino d’Almeida, musique.
Carlos do Carmo, chant ; Maria João Pires, piano. Enregistrement : Lisbonne, studio Namouche.
Extrait de l’album Maria Joao Pires/Carlos do Carmo. Portugal, ℗ 2012.

9 commentaires leave one →
  1. Marion Dorval permalink
    3 janvier 2021 19:31

    Merci beaucoup pour ce partage et cette sélection, ainsi je n’aurai pas à farfouiller pour en savoir plus sur Carlos do Carmo (en dehors d’Amalia et Misia… je suis ignare!).

    • 3 janvier 2021 19:37

      Que cela ne vous empêche pas de farfouiller 🙂 Il y a beaucoup de choses à découvrir !

  2. Denise lelourec permalink
    4 janvier 2021 11:56

    Carlos do carmo et la relève . J’ai ressorti mes vynils achetés au Portugal dans ces premières années post dictature pleines d’espoir et je les écoute dans une atmosphère pesante où les œillets ont passablement fané et où la dictature trépigne à nos portes…Quand on est dans cet état d’esprit, le fado c’est mortel !

    • 4 janvier 2021 13:02

      Tout est fané et misérable… Dur, d’une violence qu’on n’aurait jamais supposée possible. On ne savait pas, en vivant ces années 70 et 80, qu’elles étaient les plus lumineuses. Désormais on a l’impression d’un noircissement de tout au fur et à mesure qu’on avance dans le temps…

  3. MD1 permalink
    4 janvier 2021 12:48

    Bravo et merci pour cette évocation de qualité, comme toujours, de ce grand « fadiste » qu’était Carlos de Carmo; francophone cultivé au surplus. Votre remarque sur son art est très juste. Elle permet de mieux comprendre le style classique d’interprétation du fado de Lisbonne. Accompagné magnifiquement par Maria Joao Pires, Carlos de Carmo avait donné une facette très intéressante de son art à l’occasion d’un enregistrement consacré à la musique d’António Victorino de Almeida. Peut-être serait-ce là ce qui restera de plus abouti de sa longue carrière.

  4. MD1 permalink
    4 janvier 2021 12:54

    Bis :inattentif je n’avais pas vu la référence à l’enregistrement mentionné dans mon petit commentaire en signe de remerciement. Enregistrement qui n’avait pas échappé à votre choix vigilant. Desculpe !

    • 4 janvier 2021 13:04

      Vous êtes tout excusé 🙂
      Comme vous, j’aime beaucoup cet album en duo avec Maria João Pires.

  5. Anne-Marie permalink
    8 janvier 2021 15:46

    …et c’est encore toi qui m’apprends cette triste nouvelle, comme toujours, merci Philippe !
    J’ai souvent entendu Carlos do Carmo sur scène et je ne peux pas dire qu’il me transportait, malgré sa diction parfaite, comme tu le relèves, et son talent, son savoir-faire, sa facilité, je ne trouve pas le mot exact pour décrire son aisance en public. Mais le dernier souvenir que je garde de lui a été un moment rare où il s’est départi de toute facilité, pour chanter en toute intimité accompagné du seul Antonio Serrano à l’harmonica une chanson que j’ai eu du mal à retrouver car ce n’est pas un fado mais un chant populaire des Açores, qui s’intitule « o Sol preguntou à Lua » (on en trouve les paroles sur le site « deoutramargem.org). Le spectacle se tenait au Castelo lors du festival « Fado no Castelo » en juin 2018 et n’a semble t-il pas été enregistré dans sa totalité, mais on retrouve un enregistrement, -sans le cadre magique d’une nuit d’été-, ici : https://youtu.be/tJvU3JJlnzU . Il suffit de voir la réaction de Neto, ici simple spectateur, pour voir que je ne suis pas la seule à apprécier…

    • 8 janvier 2021 17:15

      Oui, je vois très bien ce que tu veux dire. Ce qu’il avait, c’est un timbre caractéristique et une certaine agilité vocale, mais il me manque aussi chez lui cette touche de magie qui emporte et qui fait la différence entre un (très) bon et un grand interprète comme par exemple Amália ou Brel (une de ses références).
      Cela dit il avait gardé sa voix et son chant en bon état jusqu’à la fin — un peu fatigués bien sûr, mais encore tout à fait présentables, étonnamment préservés, même. Savais-tu qu’il avait eu un accident pendant un concert à Bordeaux en 1990 ? Une chute de la scène sur le premier rang d’orchestre, dont il a mis très longtemps à se remettre, avec une capacité thoracique réduite…
      Merci pour « O sol… », que je ne connaissais pas. Outre l’enregistrement que tu signales, en voici un autre, en concert :

      et un second, avec Bernard Sassetti au piano, pour leur album en duo paru en 2010 :

      Tu devrais donner de tes nouvelles plus souvent, Anne-Marie !

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