La statue et moi
À mes moments perdus, j’apprends à marcher à une statue. Étant donné son immobilité exagérément prolongée, ce n’est pas facile. Ni pour elle. Ni pour moi. Grande distance nous sépare, je m’en rends compte. Je ne suis pas assez sot pour ne pas m’en rendre compte.
Mais on ne peut avoir toutes les bonnes cartes dans son jeu. Or donc, en avant.
Ce qui importe, c’est que son premier pas soit bon. Tout pour elle est dans ce premier pas. Je le sais. Je ne le sais que trop. De là, mon angoisse. Je m’exerce en conséquence. Je m’exerce comme jamais je ne fis.
Me plaçant près d’elle de façon strictement parallèle, le pied comme elle levé et raide comme un piquet enfoncé en terre.
Hélas, ce n’est jamais exactement pareil. Ou le pied, ou la cambrure ou le port, ou le style, il y a toujours quelque chose de manqué et le départ tant attendu ne peut avoir lieu.
C’est pourquoi j’en suis venu presque à ne plus pouvoir marcher moi-même, envahi d’une rigidité, pourtant toute d’élan, et mon corps fasciné me fait peur et ne me conduit plus nulle part.
Henri Michaux (1899-1984). La statue et moi. Dans : La vie dans les plis (1949).
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Sílvia Pérez Cruz & Raül Fernandez Miró (Raül Refree) • Im wunderschönen Monat Mai. Poème de Heinrich Heine ; Robert Schumann, musique. Extrait de Dichterliebe, op. 48.
Sílvia Pérez Cruz, chant ; Raül Fernandez Miró (Raül Refree), guitare électrique. Enregistrement : Barcelone, studio Calamar, avril 2013 – mars 2014.
Extrait de l’album granada / Sílvia Pérez Cruz, Raül Fernandez Miró. Espagne, ℗ 2014.
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