« Grândola, vila morena » confinée
Manifestation du 25 avril 2016, Lisbonne, par Bloco de Esquerda sur Flickr (CC BY-NC-ND 2.0)
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Le 25 avril, jour anniversaire de la Révolution des œillets de 1974, est férié au Portugal. C’est le Dia da liberdade, le « Jour de la liberté ». Mais comment le célébrer en temps de confinement généralisé ?
Le Portugal est loin d’être le pays européen le plus touché par l’épidémie. Cependant, lorsque le Parlement (à majorité PS, centre gauche) s’est prononcé récemment pour tenir comme à l’accoutumée sa session solennelle de commémoration du 25 avril, quoique en présence d’un nombre de parlementaires et d’invités considérablement réduit – « distanciation sociale » oblige –, le pays s’est enflammé. Comment ? Alors que le péquin moyen est confiné, les parlementaires s’offriraient le luxe d’une cérémonie à la Chambre ? Et les pétitions de fleurir, les prises de position de s’élever, plus tonitruantes les unes que les autres. La droite est outrée, mais on se dispute même au sein des formations de gauche. Manuel Alegre, dont il a été question ici même dans un récent billet, défend la décision du Parlement et a lancé avec d’autres une pétition en faveur de la cérémonie, argüant que « la démocratie n’est pas et ne peut pas être suspendue ». João Soares (PS, fils de Mário Soares), ancien ministre de la culture, ancien maire de Lisbonne, ancien parlementaire, défend la position inverse ; il demande au Parlement de revenir sur sa décision et suggère aux parlementaires (de même qu’à la population) de se mettre à la fenêtre de leur domicile le 25 avril à 15 heures pour entonner Grândola, vila morena ainsi que l’hymne national.
- Voir : Marta Leite Ferreira, Comemorações do 25 de Abril dividem dois “históricos” da esquerda. João Soares acha “um disparate” celebrar na AR, dans : Observador [en ligne], 19 avril 2020, consulté le 21 avril 2020.
Que le Parlement portugais maintienne sa décision ou non, voici de quoi se mettre en fenêtre, samedi 25 avril à 15 heures, pour chanter Grândola si on le désire.
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José Afonso (1929-1987) • Grândola, vila morena. José Afonso, paroles & musique.
José Afonso, chant ; José Mário Branco, Carlos Correia, Francisco Fanhais, chœurs. Enregistrement : Hérouville (France), Strawberry studio, du 11 octobre au 4 novembre 1971.
Première publication : album Cantigas do Maio / José Afonso. Portugal, 1971.
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Grândola, vila morena
Terra da fraternidade
O povo é quem mais ordena
Dentro de ti, ó cidade
Grândola, bourgade brune,
Terre de la fraternité.
C’est le peuple qui décide
En ton sein, ô ville !
Dentro de ti, ó cidade
O povo é quem mais ordena
Terra da fraternidade
Grândola, vila morena
En ton sein, ô ville,
C’est le peuple qui décide !
Terre de la fraternité,
Grândola, bourgade brune.
Em cada esquina um amigo
Em cada rosto igualdade
Grândola, vila morena
Terra da fraternidade
À chaque coin de rue un ami,
Sur chaque visage l’égalité
Grândola, bourgade brune,
Terre de la fraternité.
Terra da fraternidade
Grândola, vila morena
Em cada rosto igualdade
O povo é quem mais ordena
Terre de la fraternité,
Grândola, bourgade brune.
Sur chaque visage l’égalité,
C’est le peuple qui décide.
À sombra duma azinheira
Que já não sabia a idade
Jurei ter por companheira
Grândola a tua vontade
À l’ombre d’un chêne vert
Qui ne connaissait plus son âge
J’ai juré de prendre pour compagne,
Grândola, ta volonté.
Grândola a tua vontade
Jurei ter por companheira
À sombra duma azinheira
Que já não sabia a idade
Grândola, ta volonté
J’ai juré de prendre pour compagne
À l’ombre d’un chêne vert
Qui ne connaissait plus son âge.
José Afonso (1929-1987). Grândola, vila morena (1971). José Afonso (1929-1987). Grândola, bourgade brune, traduit de : Grândola, vila morena (1971) par L. & L.
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Comme chacun sait, le MFA (Movimento das forças armadas, en français Mouvement des forces armées), moteur du coup d’état, avait retenu comme signal pour le lancement de celui-ci la diffusion à la radio de Grândola, vila morena, la chanson de José Afonso enregistrée en 1971, interdite par le régime. Le 24, avant minuit, le poste de commandement clandestin devait donner un premier signal en faisant diffuser, sur une radio locale de Lisbonne, une chanson passe-partout de sorte à ne pas attirer l’attention des autorités (le titre convenu était E depois do adeus, avec lequel le chanteur de variétés Paulo de Carvalho avait remporté le Festival da canção en mars et représenté le Portugal au Concours Eurovision de la chanson moins de trois semaines auparavant). Cette diffusion, qui intervient effectivement à 22h55, avertit les insurgés de se préparer et de se tenir à l’écoute de Rádio Renascença – une radio catholique – pour le véritable signal invitant à déclencher l’insurrection. À 0h20, le 25 avril, se fait entendre sur les ondes Grândola, vila morena. On connaît la suite.
- Voir : Marie-Noëlle Ciccia, « Grândola Vila Morena » : l’hymne de la contestation portugaise », dans : Lengas [en ligne], 74 | 2013, mis en ligne le 10 décembre 2013, consulté le 21 avril 2020. DOI : https://doi.org/10.4000/lengas.307
En revanche, qui connaît E depois do adeus (« Et après l’adieu ») – qui, après tout, peut elle aussi se prévaloir d’avoir joué un rôle dans l’avènement de la démocratie au Portugal ? N’a-t-elle pas droit, pour assez vilaine qu’elle soit, à un peu de gloire ?
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Paulo de Carvalho • E depois do Adeus. José Niza, paroles ; José Calvário, musique.
Paulo de Carvalho, chant ; accompagnement d’orchestre ; José Calvário, direction & arrangements.
Vidéo : extrait de l’émission Festival RTP da Canção 1974. Captation : Lisbonne (Portugal), Teatro Maria Matos, 7 mars 1974. Présentation : Glória de Matos & Artur Agostinho. Production : Rádio e Televisão de Portugal (RTP). Portugal, 1974.
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Le Portugal confiné célèbre le 25 avril