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Amália Rodrigues – Ana Moura | Cansaço (Fado Tango)

12 décembre 2018

Le billet précédent, mettant en regard les réalisations respectives d’Amália Rodrigues et de Mísia à partir de la même base mélodique, fait éclater le génie de la première – choix du texte et travail sur celui-ci, vivacité de l’interprétation grâce à une parfaite maîtrise du rubato et d’autres techniques expressives, de sorte qu’aucune des strophes de ce fado sans refrain (comme tous les fados traditionnels) est animé de sa propre vie. Mísia n’en reste pas moins une chanteuse intelligente, sincère – sans doute sensible avant tout à l’aspect théâtral du fado.

Voici un autre type de face à face : le même fado, musique et texte, par deux artistes différentes. Cette fois encore, l’une d’elles est Amália, au sommet de son art dans les années 1960 : la barre est placée à une altitude pour ainsi dire impossible à atteindre, d’autant que ce fado, Cansaço (« Lassitude »), est l’un des plus beaux de son répertoire.

C’est elle qui l’a créé. Il apparaît pour la première fois dans sa discographie en 1958 (deux enregistrements ultérieurs seront réalisés en 1965 et 1968). C’est pourquoi ce passage de son autobiographie laisse perplexe quant à la chronologie :

Por essa altura [i.e. 1966], muitos poetas fizeram muitas coisas bonitas para eu cantar. O Luís de Macedo, que se chama Chaves do Oliveira e era adido cultural na Embaixada de Portugal em Paris, foi-me lá apresentado e fez muita coisa para mim, até que casou e me disse que deixava de escrever. Nessa altura, até lhe disse que ele encontrou a felicidade e perdeu a poesia. Há um fado dele que ficará para sempre, o Cansaço. « Este meu cansaço », aquele « tudo o que faço ou não faço, outros fizeram assim ». Aquele não valer a pena. Dou uma tal importância a este cansaço, sei que isto é tão verdade. Não penso nisto como artista, penso na minha alma, na minha maneira de ser.
Amália Rodrigues (1920-1999). Dans : Vítor Pavão dos Santos. Amália, uma biografia. Lisboa, Ed. Presença, 2005, p. 140.

Vers cette époque [i.e. 1966], beaucoup de poètes ont écrit de très belles choses pour moi. Luís de Macedo, qui s’appelle en réalité Chaves do Oliveira, m’a été présenté à l’ambassade du Portugal à Paris où il était attaché culturel. Il a fait pas mal de choses pour moi, jusqu’à ce qu’il se marie et me dise qu’il arrêtait d’écrire. Je lui ai même dit qu’il avait trouvé le bonheur et perdu la poésie. Il y a un de ses fados qui restera pour toujours, c’est « Cansaço ». Ce « Voilà d’où me vient cette lassitude », et puis « Quoi que je fasse, quoi que je ne fasse pas, d’autres ont déjà agi de même ». Ce découragement. J’attache une grande importance à cette lassitude, je sais que c’est tellement vrai. Non pas en tant qu’artiste, mais dans mon âme même, dans ma manière d’être.

Cette dernière phrase donne la clé principale du génie d’Amália : son chant, c’est véritablement sa vie.

Amália Rodrigues (1920-1999) | Cansaço. Luís de Macedo, paroles ; Joaquim Campos da Silva, musique (fado Tango).
Amália Rodrigues, chant ; Domingos Camarinha, guitare portugaise ; Castro Mota, guitare.
Vidéo : Portugal, RTP [Rádio e Televisão de Portugal] (prod.), années 1960.

Avant de chanter elle dit :

« E agora num fado muito velho, que tem un nome de que não gosto e que não digo, mas que é dum cantador muito antigo, o velho Joaquim Campos, com versos de Luís de Macedo, Cansaço ».
« Et maintenant sur un très vieux fado, qui a un nom que je n’aime pas et que je ne dirai pas, mais qui est d’un chanteur très ancien, le vieux Joaquim Campos, un poème de Luís de Macedo, Cansaço ».

Ce nom qu’elle « n’aime pas » est celui de la musique, c’est à dire « Fado Tango ». C’est ce nom qu’elle se refuse à prononcer. Quant à Joaquim Campos (1911-1981) il n’avait que neuf ans de plus qu’elle. Outre le Fado Tango, il est le compositeur du Fado Vitória, sur lequel Amália Rodrigues a adapté des vers de Pedro Homem de Mello pour le célèbre Povo que lavas no rio, le fado qu’elle aimait entre tous et qu’elle chantait à chacun de ses récitals, jusqu’à la fin.

Voici le Cansaço d’Ana Moura. De réelles possibilités vocales, mais pas d’interprétation ; pas de fado.

Ana Moura | Cansaço. Luís de Macedo, paroles ; Joaquim Campos da Silva, musique (fado Tango).
Ana Moura, chant ; José Elmiro Nunes, guitare portugaise ; Jorge Fernando, guitare ; Filipe Larsen, basse acoustique.
Captation : The Triple Door, Seattle, États-Unis, 2006.

Por trás do espelho quem está
De olhos fixados nos meus?
Alguém que passou por cá
E seguiu ao Deus-dará
Deixando os olhos nos meus.
À qui derrière le miroir
Sont ces yeux rivés aux miens ?
À quelqu’un qui passait par là
Puis s’en est allé Dieu sait où
Laissant son regard dans le mien.
Quem dorme na minha cama,
E tenta sonhar meus sonhos?
Alguém morreu nesta cama,
E lá de longe me chama
Misturada nos meus sonhos.
Qui est-ce qui dort dans mon lit
Cherchant à rêver mes rêves ?
Quelqu’un est mort dans ce lit
Sa voix m’appelle dans le lointain
Mélangée à mes rêves.
Tudo o que faço ou não faço,
Outros fizeram assim
Daí este meu cansaço
De sentir que quanto faço
Não é feito só por mim.
Quoi que je fasse, quoi que je ne fasse pas
D’autres ont déjà agi de même
Voilà d’où me vient cette lassitude
De sentir que tout ce que je fais
N’est pas fait que par moi.
Luís de Macedo, pseudonyme de Luís Chaves de Oliveira (1901-1971). Cansaço.
Luís de Macedo, pseudonyme de Luís Chaves de Oliveira (1901-1971). Lassitude, traduit de : Cansaço par L. & L.

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