Celeste est morte
Morte ? Celeste ? Morte ? Oui. Morte. Aujourd’hui. Je l’apprends à l’instant. La nouvelle vient de frapper.
………
Celeste Rodrigues (1923-2018). Fado Celeste / Tiago Torres da Silva, paroles ; Pedro Pinhal, musique ; Celeste Rodrigues, chant ; Pedro Amendoeira, guitare portugaise ; Pedro Pinhal, guitare classique ; Frederico Cato (dans la vidéo), Paulo Paz (dans l’enregistrement audio), basse acoustique. Enregistrement audio ℗2007.
Vidéo : Bruno de Almeida, réalisation ; Paulo Abreu, directeur de la photographie ; Diogo Varela Silva, producteur exécutif. Production : BA Filmes, 2013. Vidéo réalisée à l’occasion du 90e anniversaire de Celeste Rodrigues.
………
Quando a manhã me desperta
A janela entreaberta
Deixa-me ver a cidade;
E para não sofrer à toa
Não dou um nome a Lisboa
E só lhe chamo saudadeLorsque le matin m’éveille,
La fenêtre entr’ouverte
Me laisse voir la ville ;
Et pour prévenir toute blessure
Je ne dis pas le nom de Lisbonne
Je l’appelle : saudadeHá tanta gente a passar
Que ás vezes chego a escutar
O pregão duma varina
Sei que a vida continua
Mas vejo passar na rua
Os meus tempos de meninaJe vois passer tant de monde
Qu’il m’arrive parfois d’entendre
Le cri d’une varina*
Je sais que la vie continue
Mais ce sont les années de mon enfance
Que je vois passer dans la rueOlho outra vez a cidade
Mas quando o vento me invade
E a solidão me agarra
Fecho de vez a janela
Peço á saudade cautela
E abraço uma guitarraJe regarde encore la ville
Mais quand le vent me saisit
Et que m’empoigne la solitude
Je ferme vivement la fenêtre
Je demande à la saudade de me ménager
Et j’étreins une guitare Tiago Torres da Silva. Fado Celeste (2007).
Tiago Torres da Silva. Fado Celeste (2007). Traduction L. & L. * Varina : ancienne vendeuse de rue à Lisbonne. Les varinas vendaient du poisson qu’elles portaient dans une vaste panière posée sur la tête.
L. & L.
Chorai fadistas chorai …
Ils ont pleuré, les fadistas, et pas qu’eux, je l’apprends avec retard en lisant les nouvelles portugaises de l’été, et je me retourne vers toi, mais l’annonce n’avait pas pu t’échapper ! Ils ont pleuré et moi aussi en voyant pour la première fois sur ton site cette vidéo, je me souviens de te l’avoir écrit…
Je l’avais vue pour son dernier spectacle au Tivoli début mai pour ses 95 ans, gaie, joyeuse, entourée de ses fidèles, se saisissant même de la guitare d’un Pedro de Castro hilare, longuement ovationnée par un public nombreux, et le recevant encore après le spectacle, comme animée d’une flamme… Son arrière petit-fils Gaspar Varela, dont elle a suscité la vocation de guitarrista, doit être en deuil, qu’on voit au premier plan et qui lui vouait une adoration. Elle voulait vivre jusqu’à 100 ans, mais elle vivra bien plus longtemps que cela…
Et tu sais sans aucun doute qu’elle devait se produire à Paris — au Grand Rex ! — en janvier prochain…
Es-tu allée à Lisbonne ? Qu’as-tu vu ?
Non, je ne le savais pas, quel regret, et quel bonheur au moins de l’avoir vue une dernière fois au printemps si en forme !
Je vais souvent à Lisbonne à l’occasion de concerts de fado « à não perder » et en septembre j’y étais pour le festival à Alfama, mais plus de la moitié des chanteurs n’étaient pas des fadistas mais des chanteurs populaires de différentes régions. Au début, ce festival était très bien car il permettait de faire des découvertes tout en entendant aussi les « grands » fadistas, mais cette année, c’était presque de l’arnaque, à part Duarte, très applaudi, Maria da Fé, qui a perdu sa voix à force de lui faire mal, et une ou deux chansons par des inconnus, au hasard de petites salles. Ah oui, il y avait aussi Dulce Pontes que j’ai découverte sur scène et même tout court, qui a beaucoup de présence, et qui a chanté un fado au début de son répertoire pour justifier sa présence à cette occasion. Alfama, là-dedans, arrive à conserver son âme malgré l’invasion des touristes et reste un quartier populaire, (un peu plus sale simplement à cause d’eux, même si les immeubles sont repeints) mais on y entend davantage maintenant le petit bruit des valises à roulettes sur la calçada que les appels des commères !
Cela fait plaisir de se remémorer les arbres roses en fleurs en octobre (dont j’ai encore oublié le nom !), aujourd’hui sous cette neige fondue…
Alors, ne manque pas Duarte qui passe à Gaveau cette semaine ! Maria da Fé, oui la pauvre, sa voix donnait déjà des signes de fatigue lors de la célébration de ses 50 ans de carrière… (Cf. DVD.) Et j’avoue que je n’aime pas beaucoup Dulce Pontes.