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« En Suisse on est pragmatique »

15 avril 2015

Genève (Suisse), 15 avril 2015
Genève (Suisse), 15 avril 2015

« Nous en Suisse on est pragmatique » : voilà ce qui me fut un jour asséné par une collègue de ce singulier pays. Sous-entendu : « c’est pas comme vous en France. » Je me le suis tenu pour dit, et considère depuis lors que les Suisses sont pragmatiques.

C’est pourquoi ce panneau d’interdiction de sauter et de nager, placé à intervalles sans nul doute réguliers sur les rives du lac, à Genève, m’a espanté autant qu’il m’a déçu. Car une fois qu’on s’y trouve, dans le lac — mettons qu’on y ait glissé —, comment, lorsqu’on est pragmatique, fait-on pour en sortir, à moins d’y nager ? Tomber dans le lac, en tout cas dans ses eaux territoriales suisses, c’est donc être condamné à y périr.

Devant une balourdise aussi flagrante on conclut que les Suisses sont comme les autres : ils se font des illusions sur eux-mêmes.

Balourdise, qui parle de balourdise ? C’est ignorer que l’inadvertance est totalement, absolument, étrangère aux Suisses. Si donc un Suisse, ou une Suissesse, se trouve dans le lac, c’est suite à un acte délibéré, probablement le sien. Il ou elle n’aura pas plongé dans le lac, puisque c’est interdit, mais s’y sera laissé(e) aller, les pieds les premiers. Pragmatique jusqu’au bout, ce Suisse ou cette Suissesse n’aura dès lors aucune raison d’y nager.

Par conséquent l’interdiction ne vise que les autres francophones. Probablement nous vise-t-elle au premier chef, nous Français, à qui il convient de mettre les points sur les i. Peut-être vise-t-elle aussi les Belges, car comme le note Herberto Hélder, ou plutôt son narrateur, « la Belgique [est] un pays confus, comique* ». Ça doit se savoir en Suisse, qui par parenthèse est tout le contraire de ça. Ainsi donc des Français et des Belges tombent à la baille de temps à autre, et gagnent à la nage la rive où les accueille la maréchaussée. Celle-ci constate l’infraction, d’ailleurs manifeste et incontestable, la verbalise et perçoit l’amende correspondante. Ou renvoie les fortes têtes et les raisonneurs devant le tribunal, et ce sera plus cher.

Au final, au lieu de railler une prétendue inconséquence de nos impeccables voisins, force est au contraire de s’émerveiller de leur inépuisable esprit d’astuce.

*Herberto Hélder (1930-2015). Les cent pas, traduit de Os passos em volta par Ilda Mendes dos Santos, Chandeigne, impr. 2013, ISBN 978-2-36732-069-4, page 22.

Berne (Suisse), 13 avril 2015

2 commentaires leave one →
  1. Don Dan permalink
    18 avril 2015 19:43

    Pragmatiques sans doute mais aussi…. A Vevey on vide le lac à la fourchette !

  2. Don Dan permalink
    18 avril 2015 19:44

    Pragmatiques, sans doute mais aussi décalés…

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