Parfaitement bien
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II arriva que le fils du roi donna un bal et qu’il en pria toutes les personnes de qualité. Nos deux demoiselles en furent aussi priées, car elles faisoient grande figure dans le pays. Les voilà bien aises et bien occupées à choisir les habits et les coëffures qui leur seïeroient le mieux. Nouvelle peine pour Cendrillon, car c’estoit elle qui repassoit le linge de ses sœurs et qui godronoit leurs manchettes. On ne parloit que de la maniere dont on s’habilleroit.
« Moy, dit l’aînée, je mettray mon habit de velours rouge et ma garniture d’Angleterre.
— Moy, dit la cadette, je n’auray que ma juppe ordinaire ; mais, en récompense, je mettray mon manteau à fleurs d’or et ma barriere de diamans, qui n’est pas des plus indifférentes. »
On envoya querir la bonne coëffeuse pour dresser les cornettes à deux rangs, et on fit achetter des mouches de la bonne faiseuse. Elles appellerent Cendrillon pour luy demander son avis, car elle avoit le goût bon. Cendrillon les conseilla le mieux du monde, et s’offrit mesme à les coëffer, ce qu’elles voulurent bien. En les coëffant, elles luy disoient :
« Cendrillon, serois-tu bien aise d’aller au bal ?
— Helas ! Mesdemoiselles, vous vous mocquez de moy ; ce n’est pas là ce qu’il me faut.
— Tu as raison, on riroit bien si on voyoit un Cucendron aller au bal. »
Une autre que Cendrillon les aurait coëffées de travers ; mais elle estoit bonne, et elle les coëffa parfaitement bien.
Charles Perrault (1628-1703). Extrait de : Cendrillon ou La petite pantoufle de verre (1697). Source : édition de 1697 dans Wikisource
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