Hagondange
Lorsque de Helsinki on prend le train pour Montpellier, on passe par Metz. On s’y arrête un peu, tôt le matin.
À Metz, il part beaucoup de trains pour Rémilly. Je ne savais pas. J’apprends aujourd’hui même l’existence de Rémilly, et le besoin qu’on a, étant à Metz, de s’y rendre souvent.
À Metz il part beaucoup de trains. La voix des gares françaises, qu’on entend aussi bien à Toulouse ou à Quimper qu’ici, parle presque sans arrêt.
Le train numéro 86703, à destination de Luxembourg, partira voie 6 ; il desservira Hagondange.
En raison de ce nom si beau, si parfaitement équilibré, cette annonce « il desservira Hagondange », sonne comme une formule magique ; elle est un oracle divin.
Mais pour autant que je m’y efforce, je ne parviens pas à imaginer l’accomplissement de cela, « il desservira Hagondange ». Hagondange a été servie autrefois, et sans mégoter, puisqu’il faut à présent la desservir encore et encore.
Quant aux trains en provenance de Luxembourg, la voix des gares dit : Lugzembourg. Seulement pour ceux-là. Autrement elle dit : Luxembourg. Ce relâchement, est-ce de l’empathie pour la fatigue d’avoir desservi Hagondange cette fois encore ? Les trains arrivent exténués, la voix des gares le sait.
Voici que sur le tableau d’affichage apparaît mon train :
7h29 Nancy
7h41 Forbach
7h41 Luxembourg
7h47 Strasbourg
7h50 Nancy
7h55 Thionville
8h00 Luxembourg
8h06 Montpellier St Roch
tellement incongru qu’on croirait à une erreur de programmation. Une fatigue qui ferait dérailler le logiciel de temps en temps. Peut-être que certaines semaines des trains partent de Metz pour Séville, pour Varsovie, pour Helsinki, que sais-je.
Voie 3. Je m’installe.
Derrière moi un couple de retraités qui a besoin de parler, pour dire n’importe quoi, des futilités. Ils se chamaillent, ressassent le réveil en catastrophe, c’est la faute de la femme, c’est toujours sa faute, s’inventent des urgences comme celle d’appeler Brigitte, allô ma puce, ah, ah bon, à Tarendol ? – ils ont reçu une carte de Germaine, elle est à Tarendol avec les ptits –, ne sont plus certains d’avoir composté les billets, cherchent à apercevoir « la maison » dès que le train est en route.
— Tiens on arrive à Nancy déjà.
— Non c’est Pont à Mousson, j’ai vu la côte de Mousson.
— Tu es sûre, moi j’te dis qu’ c’est Nancy.
— Mais non, j’te dis qu’c’est Pont à Mousson, tiens regarde.
Lorsqu’on peut lire le nom d’une gare, l’homme dit ce nom à voix haute.
— Pompey (prononcé Pompais, alors que j’avais mentalement formé Pompeille). Toul.
— Qu’est-ce qu’i y a ?
— J’ai dit Toul.
— On est où là ?
— J’en sais rien. À la campagne. Y a pas d’indication.
— Germaine est à Tarendol avec les ptits. Ah je sais c’que j’ai oublié. Les gants de toilette.
— Et ma trousse de toilette verte, tu l’as prise au moins ?
Ils m’exaspèrent, tellement ils sont semblables à mes parents.
Le paysage lorrain est assez beau, mais je suis exténué, sur le point de basculer dans un puits de sommeil. C’est comme si j’avais desservi Hagondange.
Gare de Metz (Moselle, France). Verrière. 20 août 2012
L. & L.