Isocèle
Je rapporte du tram une curieuse émotion : j’y ai vu entrer un couple de jeunes gens, des étudiants sans aucun doute, d’une laideur inconcevable, inouïe.
Elle, seulement le visage. Des cheveux et des cils rudes comme de la filasse de jute, couleur de paille moisie ; une peau d’une teinte indéfinissable, évoquant celle du papier kraft, d’un terne absolu, comme incapable de retenir la lumière ; et là-dedans des yeux gris mouette, incongrus. Lorsqu’elle se présentait de profil : un grand nez isocèle.
Lui grand, non pas malingre, aucunement, mais un torse d’une singulière conformation cylindrique, des épaules en abat-jour, un corps de concombre ou de gros lombric, un visage allant s’évasant vers un front à la fois un peu trop haut et trop large. De profil le menton ne faisait aucune saillie ; inexistant. Pas de menton.
Seulement cette gangue de laideur ne les entravait pas, ne trouvant aucune prise sur eux, nulle part où peser ; ils se mouvaient et se tenaient l’un et l’autre avec une certaine élégance, conversant avec animation. Elle avait noué ses cheveux paille en deux très longues nattes, portait un chandail bleu nuit dont l’encolure formait un V assez profond, son regard gris mouette vibrant d’intelligence et de vivacité.
En vérité elle avait du charme. Lui finissait par paraître seulement ordinaire. Au point que j’étais le seul à en être fasciné, les autres voyageurs ne les ayant même pas remarqués.
Au fond je me fais peut-être des idées, ils n’étaient pas si laids que je le dis ?
Mais si.
L. & L.
la beauté cachée des laids des laids se voit sans délai délai (quoique dans certains cas ))) —- -))