Lucília do Carmo • Foi na Travessa da Palha (Fado Britinho)
L’un des emplois les plus connus du Fado Britinho (voir le billet précédent) est sans conteste Foi na Travessa da Palha (« Passage de la Paille »), le grand succès de Lucília do Carmo (la mère de Carlos do Carmo). La « Travessa da Palha » est le nom officieux qu’a gardé dans la tradition populaire lisboète la Rua dos Correeiros, située dans la « Baixa Pombalina » (la partie de la ville basse, située à l’arrière de la Praça do Comercio, reconstruite après le tremblement de terre de 1755 sous la direction du marquis de Pombal).
Les paroles de Foi na Travessa da Palha sont de Gabriel de Oliveira, l’auteur de Há festa na Mouraria, et remontent selon toute vraisemblance aux années 1930. Elles mettent en scène, au sein du milieu fadiste de l’époque, la lutte de deux femmes pour un homme qui se résout par le recours à une joute d’improvisation (« cantar ao desafio », ou cantar « à desgarrada »), parfois pratiquée dans les maisons de fado.
Ce fado a été créé par Maria Alice (1904-1996), sous le titre Cena fadista (« Scène fadiste », où « scène » a aussi le sens de « dispute »). On appréciera la sobriété — voire l’austérité — du style de Lucília do Carmo, aux voyelles traînantes et aux portamenti caractéristiques, bien différent de celui d’Amália.
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Lucília do Carmo (1919-1998) • Foi na Travessa da Palha. Gabriel de Oliveira, paroles ; Joaquim Frederico de Brito, musique (Fado Britinho).
Lucília do Carmo, chant ; Francisco Carvalhinho, guitare portugaise ; Martinho d’Assunção, guitare.
Enregistrement : Lisbonne (Portugal), studios Valentim de Carvalho (Costa do Castelo), juin 1958.
Première publication : Portugal, ℗ 1958.
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Foi na Travessa da Palha
Que o meu amante, um canalha,
Fez sangrar meu coração:
Trazendo ao lado outra amante
Vinha a gingar petulante
Em ar de provocação.
C’est dans le Passage de la Paille
Que mon homme, une canaille,
A fait saigner mon cœur :
Il s’est ramené avec une femme
Et il crânait comme un coq
D’un air provocateur.
Na Taberna do Friagem
Entre muita fadistagem
Enfrentei os seus rancores,
Porque a mulher que trazia
Com certeza não valia
Nem sombra do meu amor.
Dans la taverne « do Friagem* »,
Pleine d’habitués du fado,
J’ai bravé ses aigreurs,
Vu que la femme qu’il traînait,
J’étais sûre qu’elle valait
Même pas l’ombre de mon amour.
A ver quem tinha mais brio
Cantamos ao desafio
Eu e essa outra qualquer.
Deixei-a perder de vista
Mostrando ser mais fadista
Provando ser mais mulher.
On allait voir laquelle des deux,
Moi ou cette moins-que-rien,
Gagnerait au « chant au défi** ».
Je l’ai battue à plate couture,
Montrant que j’étais plus fadiste,
Prouvant que j’étais plus femme.
Foi uma cena vivida
De muitas da minha vida
Que não se esquecem depois.
Só sei que de madrugada
Após a cena acabada
Voltamos para casa os dois.
De tout ce que j’ai vécu,
Cette scène-là n’est pas du genre
De celles qu’on oublie.
En tout cas au petit matin,
Après tout ce tintouin,
On est rentrés ensemble, mon homme et moi.
Gabriel de Oliveira (1891-1953). Foi na Travessa da Palha (années 1930 ?). Premier titre : Cena fadista.
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.Gabriel de Oliveira (1891-1953). Passage de la Paille, trad. par L. & L. de Foi na Travessa da Palha (années 1930 ?). Premier titre : Cena fadista (« Dispute fadiste »).
* Littéralement : « Taverne de la froidure ». Il s’agit d’un établissement réel, qui existe toujours à son emplacement d’origine (rua dos Correeiros), je crois.
** « Cantar ao desafio » ou « à desgarrada » : il s’agit d’une joute d’improvisation entre deux chanteurs.
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