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Amália • Rua sombria & Minha canção é saudade (Fado Britinho)

26 juillet 2023

Durant la seconde moitié des années 1960, grosso modo, Amália Rodrigues est parvenue à une maîtrise absolue de son chant, alors à l’apogée de son éclat : le timbre s’est enrichi jusqu’à la splendeur, la technique s’est affinée, notamment au contact des musiques d’Alain Oulman. Son art de l’interprétation, déjà exceptionnel, est libre de toute trace de maniérisme. C’est une période où la chanteuse enregistre beaucoup — et de tout : les compositions d’Alain Oulman sur les plus beaux vers de la poésie lusophone, des fados traditionnels, des chansons populaires portugaises arrangées pour orchestre, des marches, des chansons légères, de la variété française ou italienne… Il y en a tant que certains enregistrements restent inédits à l’époque, ou sont publiés avec parcimonie.

Rua sombria (« Rue des ombres »), enregistré au printemps de 1967, est paru la même année sur un disque 45 tours comportant quatre titres et n’a ensuite jamais été republié, jusqu’à la sortie du triple album Fados 67 (2017).

Amália Rodrigues (1920-1999)Rua sombria. Luíz de Macedo, paroles ; Joaquim Frederico de Brito, musique (Fado Britinho).
Amália Rodrigues, chant ; Raul Nery & José Fontes Rocha, guitare portugaise ; Castro Mota, guitare ; Joel Pina, basse acoustique.
Enregistrement : Paço de Arcos (Portugal), studios Valentim de Carvalho, mars ou avril 1967.
Première publication : Portugal, ℗ 1967.


Era noite e a solidão
Silenciosa sorria
Em sombras de estrela e lua
Perdera o meu coração
E em doce melancolia
Percorria a tua rua

C’était la nuit et la solitude
souriait, silencieuse.
Mon cœur s’était perdu
Parmi des ombres de lune et d’étoiles
Et dans une douce mélancolie
Je parcourais ta rue.

Era noite e a voz magoada
Dizia a minha surpresa
De te saber longe e perto
Na rua sombras e nada
No coração a tristeza
Doce flor do meu deserto

Dans cette nuit la voix meurtrie
Disait ma surprise
De te savoir si loin, si proche.
Dans la rue : des ombres, rien d’autre ;
Dans mon cœur : la tristesse,
Douce fleur de mon désert.

Cantei a tristeza a rir
E a canção era tão bela
Que a minha dor se esqueceu
Todos vieram ouvir
Só nessa tua janela
Nem uma luz se acendeu

Par défi j’ai chanté la tristesse
Et la chanson était si belle
Que ma douleur s’est tue.
Tout le monde est venu écouter.
Seule ta fenêtre
Ne s’est pas éclairée.
Luíz de Macedo (1925-1987). Rua sombria (1967).
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Luíz de Macedo (1925-1987). Rue des ombres, trad. par L. & L. de Rua sombria (1967).

Le poème est de Luís de Macedo (1925-1987), auteur de certains des plus beaux fados du répertoire d’Amália, à commencer par l’extraordinaire Cansaço (« Lassitude »). Il avait été présenté à la chanteuse à Paris, où il occupait un poste d’attaché commercial à l’ambassade du Portugal, et c’est à lui qu’Amália a adressé Alain Oulman en 1959, lorsque celui-ci s’est enhardi à venir lui proposer une de ses musiques, dans les coulisses de l’Olympia. De la rencontre entre les deux hommes est né Vagamundo, paru sur l’album Busto de 1962. Luís de Macedo a cessé d’écrire dès qu’il s’est marié : Rua sombria est le dernier de ses textes chanté par Amália.

La musique, qu’on croirait avoir été composée exprès, est un fado traditionnel dont la composition remonte aux années quarante, voire plus tôt encore : le Fado Britinho, du nom de son compositeur, Joaquim Frederico de Brito (1894-1977), dit « Britinho » et surnommé par ailleurs « le poète chauffeur ». Il était en effet parolier plus que compositeur et avait, un temps, exercé la profession de chauffeur de taxi.

En 1953, soit quatorze ans plus tôt, Amália avait déjà mis à profit ce Fado Britinho pour Minha canção é saudade (« Ma chanson est saudade »), qu’elle interprète, accompagnée de deux instrumentistes seulement, Jaime Santos et Santos Moreira, d’une manière plus traditionnelle.

Amália Rodrigues (1920-1999)Minha canção é saudade. Vaz Fernandes (Vasco de Barros Queirós), paroles ; Joaquim Frederico de Brito, musique (Fado Britinho).
Amália Rodrigues, chant ; Jaime Santos, guitare portugaise ; Santos Moreira, guitare.
Première publication : Portugal, ℗ 1953.


De ilusões desvanecidas
Fumo de esperanças perdidas,
Minha canção é saudade
Em que de tranças caídas
Via tudo em cores garridas
E em todos via bondade.

Illusions évanouies,
Fumée d’espérances perdues :
Ma chanson est saudade
De ce temps des nattes tombantes
Où le monde éclatait de couleurs
Et semblait plein de bonté.

E nesta sinceridade
De amor e sensualidade
Ponho a alma, o coração
Numa angústia, uma ansiedade
Minha canção é saudade
Do amor sonhado em vão.

Et dans cette sincérité
D’amour, de sensualité,
Je mets mon âme et mon cœur
Dans une angoisse, une anxiété
Ma chanson est saudade
D’un amour rêvé en vain.

Nesta saudade sem fim
Choro saudades de mim
Sou mulher mas fui pequena
Também brinquei e corri
Mas quem sabe se sofri
Se é de mim que tenho pena.

Dans cette saudade sans fin,
Je pleure sur ce que j’étais.
Je suis femme mais j’ai été enfant,
Je jouais, je courais,
Mais qui sait si je souffrais,
Si c’est de moi-même que j’ai pitié.
Vaz Fernandes (Vasco de Barros Queirós ;1901-1993). Minha canção é saudade (avant 1951).
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Vaz Fernandes (Vasco de Barros Queirós ;1901-1993). Ma chanson est saudade, trad. par L. & L. de Minha canção é saudade (années 1930 ?) (avant 1951).

À suivre : Lucília do Carmo • Foi na Travessa da Palha

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