Éperdument — Florbela Espanca
Voilà comment les idéogrammes ont été inventés.
Celui-ci, qu’on a tracé sur une cabine genre photomaton, signifie amour universel. On peut intervertir les lignes, le sens ne change pas.
Il se trouve sur cette cabine depuis une semaine au moins, peut-être davantage. Les deux dernières lignes, celles écrites sous l’idéogramme, échappent à la compréhension. C’est exprès probablement, c’est peut-être crypté, destiné à une personne en particulier, quelqu’un que l’on sait passer devant l’inscription, quelqu’un à qui on déclare peut-être :
Et c’est t’aimer, éperdument comme je t’aime
Et toi être âme et sang et vie en moi
Et le dire dans le chant, au monde entier.Ser poeta / Florbela Espanca ; traduction approximative de Lili & Lulu. Extrait de : Charneca em flor.
Cela sur un photomaton.
Ces vers constituent le dernier tercet d’un sonnet de Florbela Espanca (1894-1930), l’un des plus grands poètes portugais du vingtième siècle, une femme indépendante à la vie difficile et courte, morte le jour même de son trente-sixième anniversaire, suicidée, peu de temps avant la publication de Charneca em flor (Lande en fleur), dont est extrait Ser poeta (Être poète).
Je parle de ce sonnet parce que je l’avais en tête, non pas dit mais chanté, par l’extraordinaire Lula Pena, sa voix nocturne, inouïe. Cette chanson est l’une de celles réunies dans son unique album Phados, sous le titre Perdidamente.
Cependant la chanson a été créée dix ans plus tôt par Trovante, un groupe connu dans ces années-là au Portugal (j’ai assisté à un de leurs récitals, en 1987 je crois, au théâtre de la Ville à Paris). Le chanteur de ce groupe s’appelait Luís Represas. Ici en 1996 à Lisbonne, c’est lui :
Luís Represas a donc déjà derrière lui une longue carrière, entamée en 1976 lorsqu’il fonde Trovante avec d’autres musiciens parmi lesquels le très talentueux João Gil, auteur de la musique de cette chanson, toujours actif et influent lui aussi — notamment dans le domaine du fado.
Ser poeta é ser mais alto, é ser maior
Do que os homens! Morder como quem beija!
É ser mendigo e dar como quem seja
Rei do Reino de Aquém e de Além Dor!É ter de mil desejos o esplendor
E não saber sequer que se deseja!
É ter cá dentro um astro que flameja,
É ter garras e asas de condor!É ter fome, é ter sede de Infinito!
Por elmo, as manhãs de oiro e de cetim…
É condensar o mundo num só grito!E é amar-te, assim perdidamente…
É seres alma, e sangue, e vida em mim
E dizê-lo cantando a toda a gente!Perdidamente / Luís Represas, chant ; Florbela Espanca, paroles ; João Gil, musique
L. & L.
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Sur Florbela Espanca, voir par exemple l’article de Wikipedia (en portugais), beaucoup plus complet que celui en français.
L’unique recueil de vers de Florbela Espanca traduits en français est une anthologie qui réunit des sonnets extraits de Livro de Mágoas (1919), Livro de Sóror Saudade (1923), et Charneca em flor (1931) :
Châtelaine de la tristesse / Florbela Espanca… ; présentée par Al Berto… ; sonnets traduits par Claire Benedetti. – Bordeaux : Escampette, 1994. – 90 p. ; 19 cm. – ISBN 2-909428-22-2.
Phados / Lula Pena, chant et guitare. — Bruxelles : Carbon 7, 1999. — C7-032.
Disponible à la Fnac et sur CDGO, ou dans votre bibliothèque publique (mais pas dans celle de Toulouse, horresco referens).
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Ao vivo no CCB / Luís Represas. — Lisboa : EMI-Valentim de Carvalho, 1996. — 2 CD. — EMI 7243 8 55367 2 4.
Disponible sur CDGO et sur Amazon.
Également disponible en DVD.
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