On s’empêche de mourir par politesse.
Un petit coup de Marguerite, allez ça fait du bien. C’est un des textes que je préfère, ça parle du théâtre et de la passion :
Tu ne sais plus qui tu es, qui tu as été, tu sais que tu as joué, tu ne sais plus ce que tu as joué, ce que tu joues, tu joues, tu sais que tu dois jouer, tu ne sais plus quoi, tu joues. Ni quels sont tes rôles, ni quels sont tes enfants vivants ou morts. Ni quels sont les lieux, les scènes, les capitales, les continents où tu as crié la passion des amants. Sauf que la salle a payé et qu’on lui doit le spectacle.
Tu es la comédienne de théâtre, la splendeur de l’âge du monde, son accomplissement, l’immensité de sa dernière délivrance.
Tu as tout oublié sauf Savannah, Savannah Bay.
Savannah Bay c’est toi.
M. D.

Bulle Ogier et Madeleine Renaud, Savannah Bay
Et encore :
Jeune femme. — La salle est pleine. On s’empêche de mourir par politesse. La salle attend. On lui doit le spectacle.
Madeleine. — La salle est noire. (Temps). On lui raconte qui est mort. (Temps). Qui est resté en vie. (Temps). Qui criait. (Temps). On lui dit comme la mer était bleue. (Temps). Quelle chaleur c’était. (Temps). Comme la pierre est blanche.
Jeune femme. — Comme la douleur est longue. (Temps). Comme elle change. (Temps). Comme elle devient. (Temps). Le second voyage. (Temps). L’autre rive. (Temps). Le deuxième amour.
Extr. de Savannah Bay / Marguerite Duras. Éd. de Minuit, cop. 1983. ISBN 2-7073-0668-1