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Amália • Gostava de ser quem era (nouvelle édition, 2024)

27 décembre 2024

Amália Rodrigues (1920-1999). Gostava de ser quem era, nouvelle édition augmentée, Ed. Valentim de Carvalho, 2024.
Amália Rodrigues (1920-1999). Gostava de ser quem era, nouvelle édition augmentée, Ed. Valentim de Carvalho, 2024.

La maison Valentim de Carvalho poursuit sa réédition intégrale de la discographie d’Amália Rodrigues, avec Gostava de ser quem era (« J’aimerais être celle que j’étais »), un album très singulier publié initialement en 1980, cette fois remastérisé et augmenté d’un très grand nombre d’enregistrements inédits.

Après Com que voz (1970) et Cantigas numa língua antiga (1977), deux albums splendides entièrement composés par Alain Oulman sur des poèmes de grands auteurs, voici un recueil d’une humilité presque brutale : tous les textes sont d’Amália, les musiques de ses deux guitaristes, Carlos Gonçalves et José Fontes Rocha, moins inspirés que leur collègue français.

Et puis il y a la voix d’Amália, altérée, dépouillée de son lustre, comme rendue au bout d’elle-même. C’est que, au terme de tant de voyages incessants, de concerts sur tous les continents du monde, sans parler des dures années de l’après Révolution des œillets, l’organisme a fini par craquer : en septembre 1979, voici que la chanteuse est victime, en plein récital près de Lisbonne, d’une attaque cardiaque. Spectacle interrompu, hospitalisation… Il y aura désormais cette voix triste, douloureuse, rétive, avec parfois des embellies suivies d’autant de rechutes. Et l’obsession de la mort qui s’installe durablement et qui imprègne son nouveau répertoire.

Gostava de ser quem era peut mettre mal à l’aise tellement cet album qui semble né d’un crépuscule expose – avec une grande pudeur – l’intimité d’une souffrance. Tive um coração, perdi-o (« J’avais un cœur, je l’ai perdu »), accompagné seulement de la guitare portugaise de Fontes Rocha, en est le passage le plus déchirant et (selon moi) le plus beau.

Le morceau d’ouverture, Lavava no rio, lavava (« J’allais laver dans le fleuve »), donne le ton de l’album :

Amália Rodrigues (1920-1999)Lavava no rio, lavava. Amália Rodrigues , paroles ; José Fonte Rocha, musique.
Amália Rodrigues, chant ; José Fonte Rocha & Carlos Gonçalves, guitare portugaise ; Pedro Leal, guitare ; Joel Pina, basse acoustique.
Enregistrement : Paço d’Arcos (Portugal), studios Valentim de Carvalho, 29 ou 30 septembre 1980.
Première publication dans l’album Gostava de ser quem era / Amália. Portugal, Edições Valentim de Carvalho, ℗ 1980.
Enregistrement remasterisé : Gostava de ser quem era [édition 2024] / Amália. Portugal, Edições Valentim de Carvalho, ℗ 2024.

Lavava no rio, lavava
Gelava-me o frio, gelava
Quando ia ao rio lavar
Passava fome, passava
Chorava, também chorava
Ao ver minha mãe chorar

J’allais laver dans le fleuve.
Et le froid me gelait
Quand j’allais au fleuve laver.
J’avais faim, oui faim.
Je pleurais, je pleurais aussi
De voir ma mère pleurer.
Cantava, também cantava
Sonhava, também sonhava
E na minha fantasia
Tais coisas fantasiava
Que esquecia que chorava
Que esquecia que sofria

Je chantais, je chantais aussi,
Je rêvais, je rêvais aussi,
Et dans mon imagination
J’inventais tant de choses
Que j’oubliais que je pleurais,
Que j’oubliais que je souffrais.
Já não vou ao rio lavar
Mas continuo a chorar
Já não sonho o que sonhava
Se já não lavo no rio
Porque me gela este frio
Mais do que então me gelava

Je ne vais plus au fleuve laver
Mais je continue à pleurer.
Je ne rêve plus ce que je rêvais.
Si je ne lave plus dans le fleuve,
Pourquoi ce froid me gèle-t-il
Plus encore qu’il le faisait alors ?
Ai minha mãe, minha mãe
Que saudades desse bem
E do mal que então conhecia
Dessa fome que eu passava
Do frio que me gelava
E da minha fantasia

Ah ma mère, ma mère,
Quelle nostalgie de ce temps
Où j’étais heureuse et malheureuse,
De cette faim que j’avais,
Du froid qui me gelait
Et des rêves que je faisais !
Já não temos fome, mãe
Mas já não temos também
O desejo de a não ter
Já não sabemos sonhar
Já andamos a enganar
O desejo de morrer

Nous n’avons plus faim, mère,
Mais nous n’avons plus non plus
Le désir de ne pas l’avoir.
Nous ne savons plus rêver.
Nous ne savons plus
Que tromper le désir de mourir.

Amália Rodrigues (1920-1999). Lavava no rio, lavava (1980).
Amália Rodrigues (1920-1999). J’allais laver dans le fleuve, traduit de Lavava no rio, lavava (1980) par L. & L.

La musique, de Fontes Rocha, rappelle certains fados traditionnels. De fait Amália a d’abord chanté ce poème sur le Fado cravo d’Alfredo Marceneiro, ainsi qu’en témoigne une captation publique, réalisée en février 1980, incluse dans la nouvelle édition. Une version qui ne convainc pas complètement (peut-être parce qu’elle était insuffisamment rodée).

Quant au morceau qui donne son titre à l’album, le voici. Musique de Carlos Gonçalves.

Amália Rodrigues (1920-1999)Gostava de ser quem era. Amália Rodrigues , paroles ; Carlos Gonçalves, musique.
Amália Rodrigues, chant ; José Fonte Rocha & Carlos Gonçalves, guitare portugaise ; Pedro Leal, guitare ; Joel Pina, basse acoustique.
Enregistrement : Paço d’Arcos (Portugal), studios Valentim de Carvalho, 29 ou 30 septembre 1980.
Première publication dans l’album Gostava de ser quem era / Amália. Portugal, Edições Valentim de Carvalho, ℗ 1980.
Enregistrement remasterisé : Gostava de ser quem era [édition 2024] / Amália. Portugal, Edições Valentim de Carvalho, ℗ 2024.

Tinha alegria nos olhos
Tinha sorrisos na boca
Tinha uma saia de folhos
Tinha uma cabeça louca

J’avais de la joie dans les yeux
J’avais le sourire aux lèvres
J’avais une robe à volants
J’avais des folies en tête
Tinha uma louca esperança
Tinha fé no meu destino
Tinha sonhos de criança
Tinha um mundo pequenino

J’avais une folle espérance
J’avais foi en mon destin
J’avais des rêves d’enfant
J’avais tout un monde minuscule
Tinha toda a minha rua
Tinha as outras raparigas
Tinha estrelas, tinha a lua
Tinha rodas de cantigas

J’avais toute ma rue
J’avais les autres filles
J’avais des étoiles, j’avais la lune
J’avais des chansons
Gostava de ser quem era
Pois quando eu era menina
Tinha toda a primavera
Só numa flor pequenina

J’aimerais être celle que j’étais,
Car quand j’étais enfant
J’avais le printemps tout entier
Dans une simple fleur petite.

Amália Rodrigues (1920-1999). Gostava de ser quem era (1980).
Amália Rodrigues (1920-1999). J’aimerais être celle que j’étais, traduit de Gostava de ser quem era (1980) par L. & L.

Frederico Santiago, le responsable de la nouvelle édition, fait valoir que les dix pièces qui constituaient la publication originale sont ici présentées remastérisées et débarrassées d’un effet « d’écho » qui y avait été ajouté en 1980, afin, selon lui, de masquer un tant soit peu la dégradation de la voix de la chanteuse (peine perdue). Cependant le véritable intérêt de cette réédition réside dans les 14 inédits enregistrés en studio tout au long de l’année 1980 (certains même en 1979), sans parler des 17 versions de travail ni des séquences enregistrées en public en janvier et février 1980.

À suivre bien sûr, dans un ou deux billets à venir.

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